L’odyssée en C4

Episode 3. L’odyssée en C4.

La Citroën C4 marqua son époque. André Citroën qui n’était pas avare dans la communication aurait même pu utiliser l’anecdote que je vais vous conter s’il en avait eu connaissance.

En 1929, Paul Signac est un peintre reconnu.Tout a commencé en 1881, mais c’est la rencontre avec Georges Seurat en 1884, qui va influencer son travail et sa technique qui s’oriente alors vers la division des couleurs. Le succès auprès des collectionneurs va être rapide.

Depuis toujours il est passionné par la navigation. Il possédera d’ailleurs toute sa vie des bateaux.

En 1929, il se lance dans un projet qu’il a en tête depuis longtemps : immortaliser par des aquarelles les principaux ports de France, de la Manche à la Méditerranée, à la manière de la commande que Louis XV avait passée à Joseph Vernet. Il parle de son projet au collectionneur Gaston Lévy, cofondateur des magasins Monoprix. Ce dernier est conquis. Il est convenu que le peintre réalisera dans chaque port deux aquarelles. Gaston Lévy en choisira une et Signac gardera l’autre.

En toute logique on aurait pu penser qu’un amateur de navigation de plaisance comme Signac allait choisir un beau voilier pour effectuer ce grand tour. Lors de l’exposition consacrée au peintre au musée Jacquemart-André, quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre que Gaston Lévy avait mis à la disposition de Signac un chauffeur et « la berline la plus élégante de l’époque » (sic) , la Citroën C4 , afin d’effectuer ce périple qui prendra bien plus de temps que prévu. Il devait durer six mois, l’aventure s’étalera sur près de deux ans ! On peut y voir la preuve de l’agrément d’un voyage en C4.

La reproduction miniature de la C4 est éligible à mon panthéon des 10 miniatures ayant marqué l’histoire du jouet français. Et cela à plusieurs titres.

En premier lieu on peut citer l’apparition des jouets commandités par un constructeur automobile.

André Citroën avait le don de la communication et de la publicité. C’est lui qui déclarait que les premiers mots que devaient prononcer un enfant étaient : « papa, maman, auto ! », ce qui devint rapidement : « papa, maman, Citroën ! C’était un précurseur.

Son approche du jouet est assez déconcertante, surtout pour l’époque. Citroën a surpassé tous ses concurrents. Avec son « model A » (1927), contemporain de la C4, Ford, apparaît bien timoré. Certes Tootsietoys et Barclay réaliseront un boîtage spécifique pour Ford avec comme inscription « The new Ford ».

Mais ce n’est rien par rapport à Citroën. André Citroën est conscient qu’il existe deux créneaux dans la vente de jouets. Il y aura donc deux gammes et des C4 pour toutes les bourses : des modèles en tôle, sophistiqués, avec parties ouvrantes et éclairage électrique, de grand format (1/20 environ) et des modèles au 1/43, de fabrication plus simple, plus économique.

Ces derniers possèdent un châssis en tôle, commun à tous les modèles. Pour la carrosserie Citroën opte pour une nouvelle matière : la plastiline (appelée vulgairement plâtre et farine) qui permet d’injecter à faible coût des carrosseries différentes et très réalistes. Ces carrosseries sont maintenues par un astucieux système d’agrafes au niveau des ailes arrière et une patte repliée sur le châssis au niveau du capot avant.

Les détails sont traités de manière artisanale et rendent le jouet vivant : les passagers de la torpédo, les cochons dans la bétaillère, les choux dans la ridelle ou le sable collé dans la benne sont quelques exemples.

Finis les personnages à plat figurés en tôle lithographiée, place aux personnages en trois dimensions. Une première en France.

Pour enfoncer le clou, et donner à son jouet un aspect encore plus réaliste, Citroën fait installer sur ces C4 une calandre en tôle emboutie d’une très grande finesse. Ce modèle marque une étape importante dans l’histoire du jouet français.

La constitution de coffrets contenant 6 modèles différents ouvre une nouvelle page de l’histoire du jouet que nous étudierons la prochaine fois.

Ces C4 étaient des jouets bon marché. Le père d’un ami d’enfance se souvient avoir acquis un camion Rosalie dans un distributeur à tirette en échange d’une pièce de 1 Franc. Nul doute que les C4 furent  vendues dans ce type de présentoir.

 

Il ne faut pas oublier, et là encore c’est une première, celles distribuées dans les concessions Citroën. Elles portent souvent le nom et l’adresse de la concession sur un carton, spécialement conçu qui se plaçait sur le châssis.

 

 

Il était une fois…

Episode 2. Il était une fois…

La vente de jouets a longtemps été une vente saisonnière liée aux étrennes. Pour essayer de convaincre les commerçants que la vente de jouets pouvait constituer une vente régulière, les fabricants devront s’armer de pédagogie, user de courriers persuasifs et d’encarts publicitaires dans les revues spécialisées. Cela prendra du temps.

De ce fait, même à Paris au début du vingtième siècle, les magasins de jouets sont rares. Ils ne diffusent que des produits luxueux, réservés à une clientèle aisée, comme le fameux « Nain Bleu »  qui ouvre en 1836.

Les grands magasins comme la Samaritaine, le Bon marché, Le Printemps ont aussi un rayon jouets que l’on imagine modulable au moment des fêtes de fin d’année. Ils éditent en fin d’année de luxueux catalogues qui sont de précieuses sources d’information pour les amateurs de jouets anciens.

Parallèlement à ces jouets luxueux, il existe une autre production de jouets beaucoup plus ordinaire, plus abondante qui est écoulée chez les marchands de couleurs, dans les bazars et les établissements diffusant des articles bon marché ainsi que par les camelots sur les boulevards.

Ces jouets sont de taille plus réduite, leur finition est simple. Ils ne peuvent être comparés à ceux diffusés dans les magasins de jouets.

C’est dans cette catégorie de jouets de bazar que vont apparaitre les premières « petites autos » en France, ancêtres de nos miniatures.

Elles sont l’oeuvre de SR (Simon et Rivollet). L’échelle se situe entre le 1/70 et le 1/90. Elles sont injectées dans un alliage composé de plomb et d’étain.

Les carrosseries sont de type monobloc et, prouesse pour l’époque à cette échelle, possèdent des roues à rayons, montées sur des axes en acier d’une finesse surprenante.

A l’origine ce sont des petits objets distribués comme prime avec la confiserie ou même parfois comme fève dans des gâteaux d’anniversaire ou de mariage. On les trouve également dans les rayons réservés aux objets de décoration (sapins de Noël, cheminée) ou  comme accessoires de jeux de société. Dans la littérature anglo-saxonne on leur donne le nom de « novelties » (ce nom apparaît chez Dowst à Chicago, firme qui créera la marque « Tootsietoys » en 1924).

C’est l’idée de reproduction à une échelle très réduite, lilliputienne, qui semble séduire les acheteurs. A bien y regarder, ces premières petites autos sont des reproductions en miniature, non pas des automobiles que les enfants voient dans les rues mais des beaux jouets en tôle qu’ils ne peuvent qu’admirer dans les catalogues édités pour les étrennes.

A côté des automobiles, on trouve des bateaux, des avions (le fameux Blériot), des trains à vapeur mais aussi bien sûr du mobilier de poupée également reproduit dans cet esprit de « jouet parodié ». Il est à noter que ces thèmes (petit train, bateau, accessoire de poupée) perdureront chez les fabricants de jouets jusqu’à la seconde guerre mondiale, même chez les plus grands comme Dinky Toys, Solido, ou Tootsietoys en Amérique ! Preuve qu’ils ont marqué les esprits de plusieurs générations d’enfants.

Ces SR sont très fines et facilement identifiables. La gamme comporte des bus, des automobiles, des taxis, des attelages hippomobiles, des petites charrettes… La gravure de ces jouets est assez exceptionnelle et n’a rien à envier aux modèles reproduits 50 ans plus tard. Seul bémol, afin de réduire le coût de fabrication, ils ne reçoivent qu’une couche de peinture unicolore (souvent de couleur or)  assez épaisse d’ailleurs, ne mettant pas en valeur leur qualité ou alors subissent un traitement leur donnant un aspect cuivré. Je commencerais donc mon musée avec ce peu fréquent mais très abordable taxi yellow cab.

Le second objet choisi serait une production CR .

En 1894, CR est la première firme en France à proposer une reproduction en jouet d’une automobile. Elle fonctionne à l’alcool. C’est un phaéton reproduit au 1/20 environ. C’est un jouet luxueux destiné aux beaux magasins.

Parallèlement à ces beaux jouets, cette marque va fabriquer des jouets bon marché, à taille réduite, 1/43 environ, qui rentrent donc dans mes critères de sélection . C’est donc cette version que je choisis dans mon panthéon.

C’est une caractéristique de nombreux industriels du secteur du jouet que de produire pour ces deux créneaux. Tous les fabricants de jouets, tenteront l’expérience. On pense aussi à Dinky Toys et ses Junior, Solido et ses Mosquito, AR et ses 301 camionnettes, Champion et ses Racing , Norev et ses Baby, etc…

CR proposera donc une série de miniatures, réduites au 1/43 pour les autos et au 1/70 environ pour les bus De Dion.

On peut même créer une sous-division dans cette catégorie. Les plus économiques sont en tôle peinte et possèdent une petite perforation sur le devant du châssis afin que l’enfant y attache une ficelle. Ce sont des jouets dits « de parquet ». Ils sont à traîner.

Certaines versions plus luxueuses étaient en tôle lithographiée et possédaient un moteur à inertie consistant en une roue moulée en plomb, fixée sur un axe traversant le jouet et entrainant deux roues.

La marque aura affaire à une forte concurrence sur le marché français avec les jouets importés d’Allemagne produits par Meier, Fisher et autres. Ces jouets allemands étaient souvent plus sophistiqués, plus luxueux.

CR a cependant innové en étant le premier fabricant au monde, en 1888 à mettre au point l’assemblage par agrafage en place des soudures, nocives pour les ouvriers. Plus tard, toujours dans le souci de réduire la toxicité et de remplacer la peinture, CR achètera le brevet de la décoration par procédé d’impression lithographique.

Difficile de choisir entre le double phaéton et le bus De Dion pour ne conserver qu’un modèle…

Le troisième modèle à mettre dans ce panthéon imaginaire serait une des Delahaye de la marque CD produites vers la fin des années 20.

Cette miniature marque une étape importante. Ce fabricant injecte ses modèles en plomb. Les qualités de gravure et d’injection sont excellentes, si on les compare aux fabrications étrangères de la même époque.

Autre jalon important, leur échelle de reproduction se situe aux environs du 1/50. Elles se caractérisent par deux innovations majeures : l’utilisation d’un châssis commun à plusieurs modèles et le fait qu’elles reproduisent des modèles d’une marque identifiée et reconnaissable par l’enfant (gravure du nom du constructeur sur le châssis ).

Sur la Delahaye, outre son inscription sur le châssis, CD a reproduit un triangle sur la grille du radiateur, commun à tous ses modèles. Sous la marque « Delahaye » l’enfant avait le choix entre une camionnette, une berline, une limousine ou un coach.

La distribution de ces jouets reste mystérieuse. Je penche pour une distribution assez ordinaire, chez les marchands de couleurs ou d’autres enseignes bon marché.

Dans deux semaines, suite de l’aventure et des modèles de fabrication française qui ont marqué à mes yeux l’histoire. (lire l’article d’introduction à cette histoire de la miniature française publié il y a 15 jours )

Un pari fou.

Episode 1. Un pari fou.

Mon trajet quotidien à bicyclette, de quelques 30 kilomètres, est ponctué d’arrêts aux feux rouges. J’en profite pour reprendre mon souffle, surtout dans la montée de la rue des Pyrénées, mais aussi pour lever le nez de mon guidon et observer la ville. Les gens, leur chien, les frontons des immeubles, les arbres, et bien sûr les affiches des kiosques et des panneaux publicitaires.

Ce matin-là, c’est la une du magazine, « Entreprendre », sur le kiosque situé place Gambetta qui attire mon attention.  » DOMINIQUE ROMANO – IL INVESTIT SUR DES PROJETS FOUS . Vente-privée, start-up , Seine St-Denis, La Pérouse…

Entreprendre Dominique Romano Il investit sur des projets fous
Entreprendre Dominique Romano Il investit sur des projets fous

Le feu passe au vert et je repars, tout ébouriffé encore par ce titre. Les héros sont désormais des capitalistes entrepreneurs. De mon temps c’était Tintin. Autre époque, autres références.

Le même jour, en fin d’après-midi, une personne avec des lunettes noires entre discrètement dans la boutique. Il reste 10 minutes à scruter minutieusement les vitrines, et pose une question. Au son de sa voix je le reconnais : Edmond Magne, un ancien confrère qui était établi à Drancy au milieu des années 80. Edmond est un passionné. C’est le genre d’amateur qui a du mal à contenir sa passion et qui, parfois, s’est laissé entrainer par ses pulsions d’achat. Certains ont ainsi gardé de lui des souvenirs mitigés.

Edmond indique avoir accumulé 70 000 modèles. Il a fondé une association: AAMAATOL .  J’admire chez Edmond la volonté qu’il a, et ce depuis que je le connais, d’ouvrir un musée. C’est son objectif, depuis près de 40 ans. A chacune de nos rencontres, je lui demande des nouvelles de son projet, le sujet revient comme un serpent de mer.

Cet aprés-midi, je renouvelle ma question. Et là, Edmond retire ses lunettes noires, me regarde dans les yeux et me répond : « Cela va se faire ! »

« J’ai acquis un terrain de 600 m2 » me dit-il. Et il continue à m’exposer son projet .Monter un complexe, dans la région de Troyes : un musée et une petite salle de spectacle…A ce niveau du récit, je me dois de préciser qu’Edmond a changé de métier et qu’il il est désormais dans le show business. Il programme des chanteurs et des groupes de musiciens.

Comme je m’inquiète de la restauration il me répond du tac au tac : « C’est prévu !  Et ce sera de la gastronomie française !  »

Aux détails et arguments qui étayent la réponse, je comprends qu’Edmond est assurément un fin gourmet voire un peu cordon bleu. Quel projet !

Certes c’est ambitieux mais je suis médusé et admiratif d’un tel enthousiasme. Le soir en vélo, je revois l’affiche et je ne peux n’empêcher de faire le lien entre le titre du magazine et l’ambitieux projet d’Edmond. J »imagine sa rencontre avec M. Romano.

Je me dois cependant ici de mettre en garde Edmond. C’est un projet que j’ai envisagé un moment, il est assez utopique. Le collectionneur prend facilement sa collection pour un musée. Or la collection est une démarche personnelle, sa constitution répond aux goûts et aux choix de ce dernier. Une collection personnelle n’est pas faite pour recevoir la visite du public. Quant au musée, il se doit d’éveiller la curiosité du spectateur, il a un rôle pédagogique.

Une récente visite au musée du Louvre, au département des arts de l’Islam m’a inspiré ces quelques idées. A l’entrée du département le musée a installé quelques vitrines avec des oeuvres phares qui permettent au grand public de mieux appréhender la visite. Ces quelques pièces maitresses sont replacées dans le temps et dans l’espace avec une carte. C’est simple et efficace.

Comme moi, Edmond est amateur de jouets français. Il aura d’ailleurs cette phrase : « Mon truc, c’est la France ! » il voulait bien sûr parler des fabrications françaises.

Cher Edmond, voilà ce que tu pourrais faire à l’entrée de ton musée : un classement chronologique des 10 modèles réduits d’automobiles de fabrication française qui ont marqué l’histoire par leur  innovation technique, le matériau utilisé ou la fonction ludique . Je te fournis ma liste :

  1.   SR Unic taxi (plomb)

2.   CR double phaeton (tôle)

3.  CD Delahaye (plomb)

CD Delahaye limousine
CD Delahaye limousine

4.  jouet Citroën, Citroën C4 (plastiline/tôle)

"Les jouets Citroën" Citroën C4 berline
« Les jouets Citroën » Citroën C4 berline

5.  Solido coffret d’autos Major démontables (zamac)

Coffret Solido Major pour le marché anglais
Coffret Solido Major pour le marché anglais

6.   Norev Simca Aronde (plastique/tôle)

Norev Simca Aronde premier modèle première boîte "lapin"
Norev Simca Aronde premier modèle première boîte « lapin »

7.   Solido Lancia Flaminia (zamac)

Solido Lancia Flaminia (rare couleur)
Solido Lancia Flaminia (rare couleur)

8.   RD Marmande. Panhard Levassor 13,6 L course 1902 (bois)

RD Marmande Panhard Levassor 13,6L course 1902
RD Marmande Panhard Levassor 13,6L course 1902

9.   Champion Lola T70 (plastique/zamac)

Safir Champion maquette bois Lola T70
Safir Champion maquette bois Lola T70

10.    AMR Porsche RSR turbo Martini Le Mans 1974(white metal).

Lors des  quatre prochains épisodes, je donnerai  et développerai les explications sur mes choix. Que ceux qui s’alarment de ne pas voir leur marque favorite dans cette liste attendent donc un peu pour m’écrire.

Et les Dinky Toys?

Elles ne ne viennent qu’après …en 1970-1980. Ces années marquent l’arrivée du phénomène de la collection de miniatures.

Dinky Toys n’a jamais innové. Si ses modèles ont marqué une époque, une génération, ce n’est pas pour leur innovation technique ni pour les choix audacieux des matériaux entrant dans leur fabrication. C’est la qualité de fabrication et le réseau de distribution (magasins de jouets renommés) qui ont contribué à la légende.

D’ailleurs l’idée de départ de Meccano, celle de créer des éléments d’animation pour les trains Hornby, à l’échelle « O » , donc au 1/43, est sérieusement écornée quand on analyse un peu la gamme des berlines Dinky Toys. Les premières en plomb, matériau déjà obsolète en 1934 sont réduites à une échelle proche du 1/50.

Les deux premières miniatures que l’enfant peut identifier sans se tromper, la Simca 5 et la Peugeot 402 sont également reproduites à des échelles nettement inférieures au 1/43. Il suffit de les comparer avec les modèles JRD en plastiline   ou Rivarossi   en bakélite !

Il faudra attendre la 24 N , la Citroën Traction avant pour avoir une vraie Dinky Toys France au 1/43 !

Dès les années soixante-dix, le modèle aura quelque chose de mythique et passera aux yeux de nombreux collectionneurs pour une pièce rare, malgré le nombre d’exemplaires produits, comme le souligne Jean-Michel Roulet dans son ouvrage.

 

Le Blues de la police.

Le Blues de la police.

Une prison. Des murs infranchissables, des barbelés, des miradors, des gardiens armés jusqu’aux dents. Voilà le décor du début du film « The Blues Brothers ». Rien de très original me direz-vous.

Un prisonnier, Jake Blues, va être libéré pour bonne conduite. Une voiture l’attend aux portes de la prison. Image connue et déjà vue… sauf qu’ici, c’est dans une voiture de police que son frère Elwood est venu le chercher. Jake ne manque pas de lui faire remarquer que ce choix manque de tact, et de s’étonner qu’il ait pu troquer la Cadillac aux couleurs de leur groupe de musiciens contre une Dodge Monaco aux couleurs de la police de Chicago !

Elwood ne tarde pas à démontrer le bien fondé de cet échange. Quelques kilomètres plus loin, un pont mobile. Les feux clignotants sont rouges, le pont se lève. C’est alors qu’il donne un grand coup d’accélérateur, les roues patinent, l’auto s’envole au dessus du vide et atterrit de l’autre côté du pont.

Le ton est donné. Le film est une suite de séquences toutes plus loufoques les unes que l’autre, entrecoupées de scènes musicales où l’on pourra reconnaître James Brown, Ray Charles, Aretha Franklin, Cab Calloway au sommet de leur art… (voir et écouter un extrait du film) .

L’auto servira de fil conducteur au récit. Elle se désintégrera à la toute fin du film comme le carrosse de Cendrillon disparaît à minuit.

Avant cela, le spectateur aura assisté à un nombre de carambolages frôlant l’indigestion. The Blues Brothers détiendrait le record du nombre d’autos détruites pour un film. Un vrai jeu de massacre dans lequel les autos de police s’auto-détruisent dans des chorégraphies ridiculisant parfois les représentants des forces de l’ordre. Le spectateur reste abasourdi par tant de tôles froissées.

Le film est un pastiche, une parodie qui puise son inspiration dans des films comme « French connection ».

J’imagine comment vos petits enfants pourraient avoir envie de recréer une scène du film chez vous en puisant dans vos vitrines garnies de miniatures. Afin de les détourner de cette entreprise qui s’avèrerait sans doute dommageable pour la bonne conservation de vos modèles, racontez-leur plutôt une histoire, celle de vos autos de police, plus précisément l’histoire de leur représentation en miniature. Vous allez voir cela est plus intéressant qu’il n’y paraît.

Observez vos vitrines. Vous n’avez quasiment que des véhicules de police datant du milieu des années cinquante, alors que vous avez des miniatures de bus, d’ambulances, de camions de pompiers qui datent de près d’un siècle.

Même dans ma vitrine de cast-iron américaines aucune trace de représentations de voitures de police. Chez Tootsietoys, doyenne des marques mondiales il faudra attendre les années quatre-vingt pour voir apparaitre un tel produit ! Hubley a été un peu plus précoce et en présente dès 1960.

Il y a quelques très rares exceptions : Barclay (USA) qui a créé une voiture police patrol et Best Toy (USA) une auto futuriste sans aucun lien avec la réalité. La conception même de ces miniatures (injection monobloc) a obligé les deux marques à créer un moule spécifique afin d’incorporer le projecteur et surtout les marquages latéraux (radio police).

On peut avancer une première explication. Avant la première mondiale, seuls les fourgons destinés au transport des prisonniers sont identifiables comme véhicules de police. C’est le type de véhicule popularisé sous le vocable de « panier à salade » ou « Black Maria » dans les pays anglo-saxons.

Les unités de police ont certes des autos mais peu d’accessoires les distinguent d’un véhicule ordinaire : un projecteur, souvent latéral et une sirène. Cela n’incite guère un fabricant de jouets à les reproduire.

Quant aux fourgons cellulaires, facilement identifiables par l’enfant grâce à leur couleur foncée et surtout à leurs grilles latérales imitant les barreaux des prisons, ils symbolisent la privation de liberté et sont très peu représentés. Il faut dire qu’ils sont peu avenants. Les fabricants se sont surtout interrogés sur l’intérêt qu’un enfant aurait à jouer avec un tel véhicule.

Aucune comparaison avec les ambulances : la guerre de 1914 les a sacralisées. L’ambulance vient sauver celui qui a risqué sa vie pour la patrie. Les reproductions d’ambulances, mais aussi d’infirmières seront légions, que se soit en Allemagne ou en France.

J’avance aussi ici une autre proposition pour expliquer l’absence de fourgon pénitentiaire. Est-ce moral de faire jouer un enfant avec un tel véhicule? Peut-on laisser l’enfant s’identifier à celui qui a mal tourné ? Il me semble qu’il y a eu un tabou sur ce type de véhicules comme il y en a un sur la représentation des corbillards.

Le plus ancien fourgon cellulaire que je possède est l’oeuvre de Savoye fabricant américain. Plus tard Tommy Toy  s’en inspirera pour en proposer une autre version. Ils datent du milieu des années 20. Ils seront vite modifiés et transformés en ambulance.

Ils sont pourtant des plus intéressants. Les fabricants ont même reproduit le policier qui se tient debout sur le marche-pied, image popularisée dans les films . Le personnage sera conservé sur la version ambulance qui connaitra  même une autre  copie en Grande-Bretagne chez Charbens !

Avant-guerre, les fabricants danois Micro, Birk, NS, et quelques autres non identifiés vont briser le tabou. Après-guerre, Tekno et Lego leur emboîtent le pas.

Ces fabricants ont pris le risque de créer de toutes pièces des moules spécifiques ou alors de les adapter, comme Birk, avec sa camionnette Graham, en gravant des barreaux, ne laissant aucun doute sur la fonction du modèle !

Après-guerre, Lego et Tekno utiliseront la décalcomanie pour transformer leurs modèles en fourgon cellulaire. Aucun des véhicules décrits ne reçoit la mention politi (police en danois). Il se peut que dans la réalité ces véhicules en étaient dépourvus. Cependant, pour sa version export, Tekno appliquera une décalcomanie « black maria ». Tekno utilisera sa Mercury berline pour décliner une version  » politi patrulievogn » comme indiqué sur la boîte. Un voile de peinture noire suffira et un dessin sur l’étui.

Etrangement, c’est ce même pays qui interdit dans les années soixante certains jouets comme les reproductions d’armes à feu.

Dans la même logique, une des firmes majeures, Tekno, préférera décliner des versions UN (nations-unies, blanches) que des versions « guerrières » de couleur kaki. Le Danemark est un petit pays mais qui a beaucoup innové dans le secteur du jouet.

La Scandinavie a compris très tôt le rôle du jouet dans l’éveil et l’éducation de l’enfant ainsi que dans le développement de sa personnalité. Tout le monde connaît le succès des briques Lego danoises ou des jouets en caoutchouc du norvégien Tomte.

Je profite de l’occasion pour vous présenter un modèle rarissime, qui m’était inconnu il y a peu. On ne sait identifier le fabricant. Ce dernier a aussi réalisé un camion de pompiers et une fourgonnette moulée de manière monobloc affublée de barreaux. C’est une copie de la Graham Birk. je possède une version de couleur rouge (déclinaison en ambulance  carcérale ? ). On peut imaginer qu’elle existe de couleur verte, en version police.

Le véhicule  suivant  m’a été vendu par mon ami Jacob Remien.  Il reproduit un engin paramilitaire transportant des policiers, de type section anti-émeute. Ce type de véhicule a été popularisé dans l’Allemagne nazie et même reproduit par Erzgebirge.

L’engin s’apparente à un char à banc transportant des élément de la milice SA, le genre de véhicule qui participait au maintien de l’ordre lors de manifestations. C’est un véhicule intrigant, dérangeant, qui correspond bien à cette période agitée, celle de l’immédiat avant-guerre.

Enfin j’ai trouvé une autre auto, plus paisible, moins angoissante, toujours de fabrication danoise inconnue. Là aussi, l’injection monobloc a contraint le fabricant à une utilisation unique de son moule. Il s’agit d’une berline équipée de deux panonceaux sur le pavillon, recevant chacune une étiquette en  papier collé « patruille »et une antenne. Elle reçoit une belle peinture noire. Elle est rare.

Elle restera longtemps le seul exemple de voiture de police danoise…Tekno attendra  avant de proposer des autos de police identifiables au premier regard.  Et encore ce sera pour le marché d’exportation, la Suisse et l’Allemagne.

 

L’air de rien.

L’air de rien.

« L’aérodynamique, c’est pour ceux qui ne savent pas construire de bons moteurs ». Cette phrase lapidaire est d’Enzo Ferrari.

Il était coutumier de ce genre de déclarations, quitte à expliquer plus tard, voyant qu’il avait fait fausse route :

« C’est en perdant que l’on voit avec plus de clarté les raisons de la défaite, alors qu’il est beaucoup plus difficile de comprendre les améliorations à apporter sur un modèle victorieux ».

Au début de l’année soixante, l’ingénieur Ferrari, Carlo Chiti, fait installer une soufflerie à Maranello. La concurrence est rude. Les constructeurs anglais ont infligé à Ferrari de lourdes défaites en Formule 1 et dans la catégorie « sport », Maserati devient menaçant avec ses Birdcage.

Les résultats sont là dès 1961, avec les TR61 qui marquent un vrai changement. Désormais les prototypes Ferrari entrent dans l’ère de la modernité.

François Hurel dans son livre « Ferrari au Mans 1961-1967 » estime que les Bugatti victorieuses au Mans avant la guerre étaient pourvues d’un Cx aérodynamique bien supérieur aux premières Testa Rosa, qui plafonnaient à 255km/h dans les Hunaudières.

Comme les constructeurs français qui utilisent des mécaniques de petite cylindrée DB, VP, ou Panhard, Porsche a toujours oeuvré dans l’efficacité aérodynamique  C’est le moyen de compenser le manque de chevaux du moteur, notamment au Mans, dans l’interminable ligne droite des Hunaudières. Ainsi dès 1956, Porsche présente des 550 en carrosserie coupé. (voir le blog sur la Porsche 550 de Solido).

La Porsche Carrera 6 va également faire l’objet d’une étude poussée dans le but de compenser son handicap moteur par rapport aux surpuissantes Ford MK2 de 7 litres de cylindrée ou aux Ferrari 330 P3. Les Carrera 6 utilisent des moteurs de 2 litres (1991cm3).

Il n’est pas question d’aller chercher ces autos en performance pure bien sûr, mais de de gommer une partie du handicap de puissance en travaillant intelligemment sur le Cx de la carrosserie pour l’adapter à la physionomie du circuit du Mans.

Porsche va se présenter au Mans en 1966 avec 6 autos. Trois sont engagées en catégorie sport, catégorie pour laquelle la Porsche Carrera 6 a été homologuée au départ. Les trois autres sont engagées en catégorie prototype, Porsche ayant adopté sur ses 6 cylindres une injection Bosch et un allumage électronique lui faisant gagner10cv (voir le livre de François Hurel « Sport et prototypes Porsche au Mans 1966-1971).

Ces trois autos arborent une carrosserie très différente. Elles sont équipées d’une carrosserie longue queue et d’un capot avant plus long, plus effilé. François Hurel avance un gain de 15Km/h par rapport aux modèles Carrera 6 engagés en sport. En ligne droite, la vitesse passe effectivement de 280Km/h à 295Km/h .

Discrètes aux essais, elles vont surprendre plus d’un observateur en course. Songez. Nous sommes en plein combat Ford-Ferrari. Chaque constructeur a engagé une armada. Ferrari va sombrer totalement. Ford triomphe avec les trois premières places mais, derrière, Porsche accroche les 4ème, 5 ème et 6 ème places.

Les autos ont tourné sans encombre et ont surclassé leurs concurrents en catégorie 2 litres. Porsche remporte l’indice de performance, et aussi la catégorie Sport avec la Carrera 6 courte. La toute nouvelle 911 fraîchement homologuée remporte elle aussi sa classe. Le public retiendra la victoire de Ford bien entendu, mais les spécialistes ont bien compris que désormais il allait falloir compter avec Porsche.

Il faudra attendre que le fabricant de kits en white metal, Mini Racing mette le modèle à son catalogue au début des années 80 pour que les collectionneurs puissent placer dans leurs vitrines une reproduction de ces fameuses versions longues.

Près de 40 ans plus tard, Spark proposera aux amateurs l’intégralité des Porsche Carrera 6 au départ de l’édition 1966. Comme très souvent avec ce fabricant d’origine marseillaise exilé en Chine, le résultat est exceptionnel.

Pourtant, les collectionneurs auraient pu avoir une reproduction de cette auto bien avant celle de Mini Racing.

Lors d’une rencontre avec Claude Thibivilliers à la suite de l’article sur le Berliet Stradair en plastique (lire cet article) j’ai eu la chance de découvrir un projet que ce dernier avait soumis à la direction de Bobigny.

Rappelons que Claude Thibivilliers a été projeteur maquettiste de février 1965 à décembre 1968 et chef de recherches de janvier 1969 jusqu’à son départ en février 1971.

Le projet n’est pas daté. Cependant, Claude Thibivilliers a gardé les photos de l’auto parues dans la presse et deux feuilles de croquis réalisés sur un bloc aux couleurs de l’imprimerie Henon dans le 20ème arrondissement, l’endroit même où étaient imprimés les boîtes et les catalogues !

Sur ces croquis, il a consigné les modifications à apporter au modèle de base : un capot avant plus effilé et surtout, le capot arrière long équipé de deux stabilisateurs. A la vue des croquis et des mesures qu’il a prises, on suppose qu’il était sur place au Mans. Le dessin du capot court, capot de secours, aperçu sans doute au fond du camion atelier ou dans l’enceinte de ravitaillement accrédite cette hypothèse. Claude Thibivilliers le réalisera également. Voulait-il proposer à la direction un modèle avec les deux capots interchangeables à la manière des gadgets que proposait Corgi Toys à l’époque ? On ne le saura jamais.

Claude Thibivilliers avait également gardé un châssis sur lequel il avait indiqué au marqueur les modifications à apporter afin de montrer à sa direction la charge de travail à effectuer.

Le plus surprenant est ailleurs. L’auto reproduisant cette fameuse longue queue portant le numéro 31 est injectée en plastique (rouge) puis peinte de couleur blanche. Il s’est servi de cette dernière pour réaliser son modèle. On peut donc imaginer que plusieurs exemplaires ont été injectés. Que sont-ils devenus ?

Il reste heureusement cet exemplaire et ces croquis. C’est une belle découverte que cette auto, surtout pour l’amateur de Porsche de ces années-là que je suis. (lire le blog précédent consacré à la Porsche Carrera 6)

P.S: Geoff  Goodson, lecteur assidu du blog et fin collectionneur d’outre-Manche,  me signale que Claude Thibivilliers avait publié dans le numéro  66 de Modélisme une photo de ce modèle. Monsieur Greilsamer s’était empressé d’ acquiescer à l’idée.  Merci Geoff pour ce complément d’informations fort intéressant.