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L’air de rien.

L’air de rien.

« L’aérodynamique, c’est pour ceux qui ne savent pas construire de bons moteurs ». Cette phrase lapidaire est d’Enzo Ferrari.

Il était coutumier de ce genre de déclarations, quitte à expliquer plus tard, voyant qu’il avait fait fausse route :

« C’est en perdant que l’on voit avec plus de clarté les raisons de la défaite, alors qu’il est beaucoup plus difficile de comprendre les améliorations à apporter sur un modèle victorieux ».

Au début de l’année soixante, l’ingénieur Ferrari, Carlo Chiti, fait installer une soufflerie à Maranello. La concurrence est rude. Les constructeurs anglais ont infligé à Ferrari de lourdes défaites en Formule 1 et dans la catégorie « sport », Maserati devient menaçant avec ses Birdcage.

Les résultats sont là dès 1961, avec les TR61 qui marquent un vrai changement. Désormais les prototypes Ferrari entrent dans l’ère de la modernité.

François Hurel dans son livre « Ferrari au Mans 1961-1967 » estime que les Bugatti victorieuses au Mans avant la guerre étaient pourvues d’un Cx aérodynamique bien supérieur aux premières Testa Rosa, qui plafonnaient à 255km/h dans les Hunaudières.

Comme les constructeurs français qui utilisent des mécaniques de petite cylindrée DB, VP, ou Panhard, Porsche a toujours oeuvré dans l’efficacité aérodynamique  C’est le moyen de compenser le manque de chevaux du moteur, notamment au Mans, dans l’interminable ligne droite des Hunaudières. Ainsi dès 1956, Porsche présente des 550 en carrosserie coupé. (voir le blog sur la Porsche 550 de Solido).

La Porsche Carrera 6 va également faire l’objet d’une étude poussée dans le but de compenser son handicap moteur par rapport aux surpuissantes Ford MK2 de 7 litres de cylindrée ou aux Ferrari 330 P3. Les Carrera 6 utilisent des moteurs de 2 litres (1991cm3).

Il n’est pas question d’aller chercher ces autos en performance pure bien sûr, mais de de gommer une partie du handicap de puissance en travaillant intelligemment sur le Cx de la carrosserie pour l’adapter à la physionomie du circuit du Mans.

Porsche va se présenter au Mans en 1966 avec 6 autos. Trois sont engagées en catégorie sport, catégorie pour laquelle la Porsche Carrera 6 a été homologuée au départ. Les trois autres sont engagées en catégorie prototype, Porsche ayant adopté sur ses 6 cylindres une injection Bosch et un allumage électronique lui faisant gagner10cv (voir le livre de François Hurel « Sport et prototypes Porsche au Mans 1966-1971).

Ces trois autos arborent une carrosserie très différente. Elles sont équipées d’une carrosserie longue queue et d’un capot avant plus long, plus effilé. François Hurel avance un gain de 15Km/h par rapport aux modèles Carrera 6 engagés en sport. En ligne droite, la vitesse passe effectivement de 280Km/h à 295Km/h .

Discrètes aux essais, elles vont surprendre plus d’un observateur en course. Songez. Nous sommes en plein combat Ford-Ferrari. Chaque constructeur a engagé une armada. Ferrari va sombrer totalement. Ford triomphe avec les trois premières places mais, derrière, Porsche accroche les 4ème, 5 ème et 6 ème places.

Les autos ont tourné sans encombre et ont surclassé leurs concurrents en catégorie 2 litres. Porsche remporte l’indice de performance, et aussi la catégorie Sport avec la Carrera 6 courte. La toute nouvelle 911 fraîchement homologuée remporte elle aussi sa classe. Le public retiendra la victoire de Ford bien entendu, mais les spécialistes ont bien compris que désormais il allait falloir compter avec Porsche.

Il faudra attendre que le fabricant de kits en white metal, Mini Racing mette le modèle à son catalogue au début des années 80 pour que les collectionneurs puissent placer dans leurs vitrines une reproduction de ces fameuses versions longues.

Près de 40 ans plus tard, Spark proposera aux amateurs l’intégralité des Porsche Carrera 6 au départ de l’édition 1966. Comme très souvent avec ce fabricant d’origine marseillaise exilé en Chine, le résultat est exceptionnel.

Pourtant, les collectionneurs auraient pu avoir une reproduction de cette auto bien avant celle de Mini Racing.

Lors d’une rencontre avec Claude Thibivilliers à la suite de l’article sur le Berliet Stradair en plastique (lire cet article) j’ai eu la chance de découvrir un projet que ce dernier avait soumis à la direction de Bobigny.

Rappelons que Claude Thibivilliers a été projeteur maquettiste de février 1965 à décembre 1968 et chef de recherches de janvier 1969 jusqu’à son départ en février 1971.

Le projet n’est pas daté. Cependant, Claude Thibivilliers a gardé les photos de l’auto parues dans la presse et deux feuilles de croquis réalisés sur un bloc aux couleurs de l’imprimerie Henon dans le 20ème arrondissement, l’endroit même où étaient imprimés les boîtes et les catalogues !

Sur ces croquis, il a consigné les modifications à apporter au modèle de base : un capot avant plus effilé et surtout, le capot arrière long équipé de deux stabilisateurs. A la vue des croquis et des mesures qu’il a prises, on suppose qu’il était sur place au Mans. Le dessin du capot court, capot de secours, aperçu sans doute au fond du camion atelier ou dans l’enceinte de ravitaillement accrédite cette hypothèse. Claude Thibivilliers le réalisera également. Voulait-il proposer à la direction un modèle avec les deux capots interchangeables à la manière des gadgets que proposait Corgi Toys à l’époque ? On ne le saura jamais.

Claude Thibivilliers avait également gardé un châssis sur lequel il avait indiqué au marqueur les modifications à apporter afin de montrer à sa direction la charge de travail à effectuer.

Le plus surprenant est ailleurs. L’auto reproduisant cette fameuse longue queue portant le numéro 31 est injectée en plastique (rouge) puis peinte de couleur blanche. Il s’est servi de cette dernière pour réaliser son modèle. On peut donc imaginer que plusieurs exemplaires ont été injectés. Que sont-ils devenus ?

Il reste heureusement cet exemplaire et ces croquis. C’est une belle découverte que cette auto, surtout pour l’amateur de Porsche de ces années-là que je suis. (lire le blog précédent consacré à la Porsche Carrera 6)

P.S: Geoff  Goodson, lecteur assidu du blog et fin collectionneur d’outre-Manche,  me signale que Claude Thibivilliers avait publié dans le numéro  66 de Modélisme une photo de ce modèle. Monsieur Greilsamer s’était empressé d’ acquiescer à l’idée.  Merci Geoff pour ce complément d’informations fort intéressant.