CR Double Phaëton

Il était une fois…

Episode 2. Il était une fois…

La vente de jouets a longtemps été une vente saisonnière liée aux étrennes. Pour essayer de convaincre les commerçants que la vente de jouets pouvait constituer une vente régulière, les fabricants devront s’armer de pédagogie, user de courriers persuasifs et d’encarts publicitaires dans les revues spécialisées. Cela prendra du temps.

De ce fait, même à Paris au début du vingtième siècle, les magasins de jouets sont rares. Ils ne diffusent que des produits luxueux, réservés à une clientèle aisée, comme le fameux « Nain Bleu »  qui ouvre en 1836.

Les grands magasins comme la Samaritaine, le Bon marché, Le Printemps ont aussi un rayon jouets que l’on imagine modulable au moment des fêtes de fin d’année. Ils éditent en fin d’année de luxueux catalogues qui sont de précieuses sources d’information pour les amateurs de jouets anciens.

Parallèlement à ces jouets luxueux, il existe une autre production de jouets beaucoup plus ordinaire, plus abondante qui est écoulée chez les marchands de couleurs, dans les bazars et les établissements diffusant des articles bon marché ainsi que par les camelots sur les boulevards.

Ces jouets sont de taille plus réduite, leur finition est simple. Ils ne peuvent être comparés à ceux diffusés dans les magasins de jouets.

C’est dans cette catégorie de jouets de bazar que vont apparaitre les premières « petites autos » en France, ancêtres de nos miniatures.

Elles sont l’oeuvre de SR (Simon et Rivollet). L’échelle se situe entre le 1/70 et le 1/90. Elles sont injectées dans un alliage composé de plomb et d’étain.

Les carrosseries sont de type monobloc et, prouesse pour l’époque à cette échelle, possèdent des roues à rayons, montées sur des axes en acier d’une finesse surprenante.

A l’origine ce sont des petits objets distribués comme prime avec la confiserie ou même parfois comme fève dans des gâteaux d’anniversaire ou de mariage. On les trouve également dans les rayons réservés aux objets de décoration (sapins de Noël, cheminée) ou  comme accessoires de jeux de société. Dans la littérature anglo-saxonne on leur donne le nom de « novelties » (ce nom apparaît chez Dowst à Chicago, firme qui créera la marque « Tootsietoys » en 1924).

C’est l’idée de reproduction à une échelle très réduite, lilliputienne, qui semble séduire les acheteurs. A bien y regarder, ces premières petites autos sont des reproductions en miniature, non pas des automobiles que les enfants voient dans les rues mais des beaux jouets en tôle qu’ils ne peuvent qu’admirer dans les catalogues édités pour les étrennes.

A côté des automobiles, on trouve des bateaux, des avions (le fameux Blériot), des trains à vapeur mais aussi bien sûr du mobilier de poupée également reproduit dans cet esprit de « jouet parodié ». Il est à noter que ces thèmes (petit train, bateau, accessoire de poupée) perdureront chez les fabricants de jouets jusqu’à la seconde guerre mondiale, même chez les plus grands comme Dinky Toys, Solido, ou Tootsietoys en Amérique ! Preuve qu’ils ont marqué les esprits de plusieurs générations d’enfants.

Ces SR sont très fines et facilement identifiables. La gamme comporte des bus, des automobiles, des taxis, des attelages hippomobiles, des petites charrettes… La gravure de ces jouets est assez exceptionnelle et n’a rien à envier aux modèles reproduits 50 ans plus tard. Seul bémol, afin de réduire le coût de fabrication, ils ne reçoivent qu’une couche de peinture unicolore (souvent de couleur or)  assez épaisse d’ailleurs, ne mettant pas en valeur leur qualité ou alors subissent un traitement leur donnant un aspect cuivré. Je commencerais donc mon musée avec ce peu fréquent mais très abordable taxi yellow cab.

Le second objet choisi serait une production CR .

En 1894, CR est la première firme en France à proposer une reproduction en jouet d’une automobile. Elle fonctionne à l’alcool. C’est un phaéton reproduit au 1/20 environ. C’est un jouet luxueux destiné aux beaux magasins.

Parallèlement à ces beaux jouets, cette marque va fabriquer des jouets bon marché, à taille réduite, 1/43 environ, qui rentrent donc dans mes critères de sélection . C’est donc cette version que je choisis dans mon panthéon.

C’est une caractéristique de nombreux industriels du secteur du jouet que de produire pour ces deux créneaux. Tous les fabricants de jouets, tenteront l’expérience. On pense aussi à Dinky Toys et ses Junior, Solido et ses Mosquito, AR et ses 301 camionnettes, Champion et ses Racing , Norev et ses Baby, etc…

CR proposera donc une série de miniatures, réduites au 1/43 pour les autos et au 1/70 environ pour les bus De Dion.

On peut même créer une sous-division dans cette catégorie. Les plus économiques sont en tôle peinte et possèdent une petite perforation sur le devant du châssis afin que l’enfant y attache une ficelle. Ce sont des jouets dits « de parquet ». Ils sont à traîner.

Certaines versions plus luxueuses étaient en tôle lithographiée et possédaient un moteur à inertie consistant en une roue moulée en plomb, fixée sur un axe traversant le jouet et entrainant deux roues.

La marque aura affaire à une forte concurrence sur le marché français avec les jouets importés d’Allemagne produits par Meier, Fisher et autres. Ces jouets allemands étaient souvent plus sophistiqués, plus luxueux.

CR a cependant innové en étant le premier fabricant au monde, en 1888 à mettre au point l’assemblage par agrafage en place des soudures, nocives pour les ouvriers. Plus tard, toujours dans le souci de réduire la toxicité et de remplacer la peinture, CR achètera le brevet de la décoration par procédé d’impression lithographique.

Difficile de choisir entre le double phaéton et le bus De Dion pour ne conserver qu’un modèle…

Le troisième modèle à mettre dans ce panthéon imaginaire serait une des Delahaye de la marque CD produites vers la fin des années 20.

Cette miniature marque une étape importante. Ce fabricant injecte ses modèles en plomb. Les qualités de gravure et d’injection sont excellentes, si on les compare aux fabrications étrangères de la même époque.

Autre jalon important, leur échelle de reproduction se situe aux environs du 1/50. Elles se caractérisent par deux innovations majeures : l’utilisation d’un châssis commun à plusieurs modèles et le fait qu’elles reproduisent des modèles d’une marque identifiée et reconnaissable par l’enfant (gravure du nom du constructeur sur le châssis ).

Sur la Delahaye, outre son inscription sur le châssis, CD a reproduit un triangle sur la grille du radiateur, commun à tous ses modèles. Sous la marque « Delahaye » l’enfant avait le choix entre une camionnette, une berline, une limousine ou un coach.

La distribution de ces jouets reste mystérieuse. Je penche pour une distribution assez ordinaire, chez les marchands de couleurs ou d’autres enseignes bon marché.

Dans deux semaines, suite de l’aventure et des modèles de fabrication française qui ont marqué à mes yeux l’histoire. (lire l’article d’introduction à cette histoire de la miniature française publié il y a 15 jours )