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Belgitude.

Belgitude.

Ostende est située sur la côte flamande, en Belgique. Je n’y ai jamais mis les pieds. C’est à travers les chansons de Jacques Brel et de Léo Ferré (« L’Ostendaise », paroles de Jacques Brel et « Comme à Ostende » paroles de Jean-Roger Caussimon) que j’ai découvert cette cité  dont la vocation balnéaire c’est affirmée  au 19ème siècle.

Adolescent, je me suis donc construit un imaginaire à travers ces deux chansons que j’écoutais régulièrement : les casinos vides symboles d’une époque révolue, les rues chaudes de la ville, les bars, la bière qui coule à flot, la faune interlope. Mais aussi le petit peuple, les femmes de pêcheurs guettant le retour des marins.

J’ai pu tout récemment mettre des images concrètes sur cet imaginaire. Le musée d’Orsay, toujours bien inspiré, a consacré une petite exposition à un artiste ostendais un peu oublié, Léon Spilliaert.

Ce dernier est moins connu que James Ensor, son contemporain et ami, également originaire de cette ville des Flandres. L’exposition qui se tenait cet automne dans le musée parisien m’a dévoilé un artiste de talent, des plus singuliers. Les commissaires de l’exposition Leïla Jarbouai et Anne Adriaens ont centré leur exposition sur la première période de l’artiste s’étendant de 1900 à 1919. C’est le début de l’aventure, il doute, il cherche sa voie.

Il faut dire que cet artiste est autodidacte. Son oeuvre des débuts est inclassable. Epris de littérature, Léon Spilliaert a d’abord côtoyé les symbolistes, mais sans vivre dans le passé comme ces derniers. Son inspiration se nourrit des rencontres de la vie quotidienne. Puis ce sera l’expressionnisme et enfin l’abstraction en passant par le futurisme.

La reconnaissance ne sera pas au rendez-vous. Issu d’une famille bourgeoise, Léon Spilliaert est tourmenté, cela se ressent à travers sa production et ses autoportraits.

Son mariage avec Rachel Vergison en 1916 et la naissance de leur fille Madeleine semblent l’apaiser. Son oeuvre s’assagit. Il connaitra à partir de 1920 un petit succès auprès des collectionneurs parisiens. En 1922 James Ensor, saura même se montrer élogieux au sujet de sa production. Mais cette partie déborde le cadre de l’exposition.

Cela m’a fait penser à une marque de miniatures belges, qui, comme le peintre, aura connu deux périodes. Une première, assez exceptionnelle, et très courte. Et une seconde, plus longue, plus tranquille, mais dépourvue de génie créatif, de folie. Je veux parler de la firme liégeoise (Herstal) Gasquy Septoy.

Elle débute à l’aube des années cinquante. Les débuts sont un véritable feu d’artifice. Replaçons-nous dans le contexte. En 1947, Dinky Toys relance les machines. La nouveauté est bien sûr l’incontournable Willys Jeep. L’entreprise reprend l’outillage créé avant le début du conflit mondial : Série 38 (cabriolet) et série 39 (voitures américaines).

Mais au fin fond de la Belgique, une petite firme nommé Gasquy propose rien moins que les premières autos marquantes d’après-guerre : Studebaker Champion, Ford Tudor, Chevrolet, Willys break bois, Tatraplan, Renault 4cv. Elles sont injectées en zamac de belle qualité, sont fort détaillées, dotées d’une belle gravure et sont équipées d’un châssis en tôle.

Cerise sur le gâteau, les pneus sont estampillés Englebert, le fabricant de pneus d’Outre-Quievrain !

Les modèles sont au « standard  » Dinky Toys.

On se doute de la difficulté qu’à eue cette petite firme pour diffuser ces produits. Ils sont chers. La qualité a un prix.

Dans la Belgique d’après-guerre, pas facile de se faire une place face à l’ogre Dinky Toys. On l’oublie souvent, mais si Dinky Toys s’est si bien développée c’est qu’elle a bénéficié du réseau des points de vente Meccano, consolidé ensuite par celui d’Hornby.

En Belgique, même si le marché était conséquent, il était difficile de se faire une place. Les meilleures enseignes ont déjà Dinky Toys. Par voie de conséquence, les autres n’ont pas la clientèle pour écouler des produits réclamant le budget d’une Dinky Toys. M. Dufour et M. Sherpereel m’ont raconté comment, sur la côte flamande, ces produits étaient demeurés invendus.

Alors la firme liégeoise va revoir sa copie. Elle va abandonner cette gamme « luxe » et proposer des modèles plus simples, destinés au créneau de la clientèle de bazar.

Finis les pare-chocs rapportés comme sur la Studebaker Commander ou la Willys break vitrée. Les nouvelles Mercury seront conçues de manière monobloc. Finis également les châssis en tôle, seules les versions « luxe », mécaniques, en seront équipées. Finies les jantes personnalisées, place aux roues monobloc en zamac puis aux jantes en zamac concaves peintes.

Si elle dégage un certain charme, la série des Mercury est loin d’égaler la série  décrite plus haut au niveau esthétique. Les modèles sont plus grossiers, plus rustiques.

Les argentures « main » que l’on voyait sur les Tatra, les Studebaker et les Ford Tudor et qui pouvaient varier au gré de la production ont totalement disparu. Cependant, la gamme des Mercury reçoit de belles peintures bicolores, appliquées avec soin.

Le car est fort réussi. On appréciera la version des chemins de fer belges, décorée d’une lettre « B » majuscule dans un ovale, et l’ambulance, et ses croix rouges réalisées au pochoir.

Pour les rares versions mécaniques, la firme belge a été obligée de créer une ouverture à l’arrière de la carrosserie afin de loger le levier de commande du mécanisme. Certes, cela est efficace, mais l’installation nuit à l’équilibre esthétique du jouet.

Les premiers exemplaire des Willys jeep furent équipés de roues en zamac peintes. Elles sont bien sûr aux couleurs de l’US army. Il faut dire que les forêts liègeoises, proches de la petite fabrique, ont été le théatre des derniers combats acharnés, entre les belligérants de la dernière guerre mondiale. Très rapidement la « jeep » retrouva des couleurs civiles dans une logique que nous avons déjà analysée. (voir le blog consacré à la Willys jeep de Dinky Toys France).

Comme le peintre Spilliaert, la firme liégeoise a ses mystères. Prenons la Plymouth berline. Modèle économique, comme la jeep, elle fut équipée de roues en zamac et reçut aussi une finition militaire.

Il est troublant de retrouver de l’autre côté de la Manche, au Pays de Galles plus précisément, un clône de cette miniature. Le modèle est fort ressemblant. On note cependant des différences de traitement au niveau des phares, des baies vitrés. Le mystère reste total. Comment ce modèle est–il arrivé là ? Il reçoit même un étui individuel, ce qui lui confère un petit côté précieux. Qui saura m’expliquer l’histoire de cette miniature ?

Enfin, un second mystère existait qui a en partie été levé. Au milieu des années quatre-vingt-dix, une maison de vente anglaise a acquis une très large collection au Portugal. Cette dernière avait semble t-il été exposée au public.

Dans cette collection disparate se trouvait une très grande quantité de Gasquy Mercury : autocars, coupés et Willys qui avaient reçu une finition très différente des habituels modèles croisés auparavant. Les peintures étaient brillantes, les finitions fort différentes.

Dans le milieu des années soixante-dix un large stock de carrosseries brutes fut retrouvé en Belgique et acquis par ce collectionneur portuguais. Il les fit peindre chez Metosul, firme avec laquelle il entretenait d’étroites relations. Il fit d’ailleurs également repeindre des Dinky Toys et les décora notamment en version taxi portugais, taxis d’Amsterdam et autres policia.

Comme cela se faisait beaucoup à l’époque, il se servait de ce stock pour faire des échanges avec d’autres collectionneurs. Heureuse époque où les amateurs ne voulaient pas d’argent mais échangeaient leurs doubles contre les modèles manquants à leur collection.

Ainsi, il faut désormais distinguer les premières séries, les « vraies » Gasquy Septoys avec leur peinture satinée et les modèles aux peintures brillantes réalisées au milieu des années soixante-dix.

Ce ne sont pas des faux, appelons cela une « production tardive ». Pour ceux qui n’ont pas la chance d’avoir les premières, elles permettent à peu de frais de placer en vitrine des modèles intéressants. L’important est de le savoir.

Rendez vous le 7 Mars 2021.

 

 

 

L’empire contre attaque ?

L’empire contre-attaque ?

Un empire. Un véritable empire. Il est loin le modeste hangar en bois, au fond de la propriété familiale de Billancourt qui servit à la construction de la première Renault.

Après la seconde guerre mondiale, la Régie Renault a développé un empire. Ses usines produisent des autos, des camions, des utilitaires, des tracteurs, des métros, des autorails, des moteurs d’avion, de bateau mais également des produits dérivés comme les lubrifiants.

Renault symbolise l’essor économique de la France du 20 ème siècle. Quand on veut parler croissance, exportation, productivité du pays, c’est très souvent Boulogne-Billancourt qui sert d’exemple. Dans la même logique, quand Renault tousse c’est la France qui s’enrhume. En 1936, c’est du côté de chez Renault que naissent les revendications syndicales.

Le même phénomène se produira en 1968. Léo Ferré dans sa chanson « Le conditionnel de variété » aura ce couplet:

« Comme si je vous disais que les cadences chez Renault sont exténuantes

Comme si je vous disais que les cadences exténuent les ouvriers jamais les présidents ».

Renault concentre la lutte des classes. Pour connaitre la température sociale du pays, les dirigeants n’ont qu’à se tourner vers ses usines.

Mais Renault va également servir de laboratoire social et artistique. Des artistes, proches de courants progressistes, vont tenter une communion entre l’art moderne et les travailleurs, à l’image de ce qu’ont réalisé les artistes soviétiques.

Le peintre Fernand Léger n’hésitera pas à venir accrocher une de ses oeuvres, « les constructeurs » (version définitive) dans la cantine des usines. Il viendra sur place recueillir l’avis des travailleurs. Le photographe Robert Doisneau sera aussi un familier de la Régie, immortalisant avec tout son talent le rapport entre la machine et l’homme.

Tout cela peut faire sourire, mais démontre combien Renault avait une place particulière dans notre pays. Je n’ai pu m’empêcher de relier ce passé à une série d’articles parus dans le journal « Le Monde  » du 30 mai 2020 consacré au constructeur.

Le titre est révélateur : « La potion-choc du patron de Renault ».

Résumons: le nouveau patron, Jean-Dominique Senard, est soucieux de « la sous utilisation des usines françaises ». Il veut réduire les capacités de production pour améliorer la marge industrielle, et attirer des productions partenaires ce qui fera augmenter les volumes… J’avoue humblement que ces discours ne me parlent pas beaucoup et demeurent assez abstraits. J’ai parfois l’impression qu’en économie, avec les même chiffres on peut tout dire et son contraire.

Le chiffre qui a retenu mon attention, c’est le nombre de salariés à Flins en 2020 : 2600 !

Je ne peux n’empêcher de penser aux publications que la Régie imprimait dans les années cinquante. Afin de montrer toute la puissance de sa machine industrielle, la Régie avait publié un fascicule : « 24 heures chez Renault » où elle expliquait que chez Renault, l’activité ne s’arrêtait jamais.

Chaque tranche horaire se voyait attribuer une activité. Le publiciste en profitait pour utiliser les fuseaux horaires. Ainsi , il nous entrainait chez Hino au Japon, en Afrique du Sud à Johanesbourg, en Espagne… On était impressionné par cet empire où le temps ne s’arrêtait jamais.

Peu après, en 1957, la Régie a rompu son contrat d’exclusivité avec la C-I-J pour la reproduction de la Renault Dauphine ce qui a conduit à un rapprochement entre Dinky Toys et Renault. La Floride, et l’Estafette ont logiquement suivi.

En 1961, Renault joue gros. Comment va être accueillie la nouvelle 4L ? Visiblement satisfaite de ses rapports avec Dinky Toys, la Régie, va réaliser une grande opération médiatique commune.

Quand on réfléchit, il fallait oser confier les plans originaux d’un nouveau modèle près d’un an avant la sortie presse. On peut imaginer que d’importantes précautions ont été prises afin qu’il n’y ait pas de fuites.

Pour l’occasion Dinky Toys a fait éditer un présentoir en carton afin de placer la nouvelle auto en vitrine et d’attirer l’attention du grand public.

Qu’a-t’-elle choisi pour communiquer ? Une usine et sa chaîne de production. On retrouve là encore l’idée que la Régie est bien un symbole de la production de masse.

Une petite cheminée en carton finit d’habiller le diorama . Un emplacement est réservé à la boîte, qui pourrait faire penser à une caisse avec une auto finie à l’intérieur. J’ai récupéré le présentoir auprès de Robert Goirand.

C’est celui qui était dans la vitrine du magasin du Bébé Lorrain. J’ai eu une émotion particulière en apprenant cela. Je l’ai laissé dans l’état dans lequel Robert Goirand l’a récupéré. je n’ai pas voulu changer la boîte de la 4L, ni effacer la trace de ruban adhésif. Je le conserve telle une relique.

L’affichette publicitaire expliquant le tour de force de Meccano est évocatrice. Quelle époque ! Quelle prouesse que d’avoir réussi cet excercice ! Les gens ont-ils apprécié l’exploit à sa juste mesure ?

Pourtant le vent a tourné pour les fabricants de miniatures. La demande a évolué. Les sportives et les autos de course commencent à fasciner la jeune clientèle avide de sensations .

Cependant, laissons nous encore surprendre par cette petite berline qui est une superbe réussite. C’est incontestablement une digne héritière des séries 24. Elle connaitra une très longue carrière.

Cette époque d’après-guerre semble loin. Il va falloir des arguments solides pour persuader les salariés et l’opinion publique du bien fondé d’un énième plan de redressement chez Renault. Pour utiliser une image liée au cinéma on pourrait titrer : « l’empire contre-attaque ». Je me demande pourtant si le combat n’est pas perdu d’avance, au regard de l’avenir bien sombre de l’automobile dans notre société. 

Rendez-vous dans 15 jours le dimanche 13 Décembre pour la suite  et la fin de l’aventure de la 4L chez Dinky Toys.

 

 

 

La Ferrari de Léo

La Ferrari de Léo

La journaliste tente de le provoquer en l’interrogeant sur la contradiction qu’il y aurait entre ses convictions politiques et le fait d’avoir possédé une telle auto.

Léo Ferré répond : « Je vous attendais au tournant. Une Ferrari ce n’est contradictoire pour personne, si vous pouvez l’acheter. Moi, je gagne ma vie, je ne vais pas aller dans la rue donner de l’argent aux gens pour acheter des voitures. Qu’est ce que vous voulez que j’y fasse moi ?… »(1977 France Inter. )

Maurice Frot l’homme à tout faire et le confident de Ferré se chargera de revendre l’auto en 1969, deux ans après son achat. Pour ses tournées, qu’il compare comme Jacques Brel à des road movies il choisira alors une Citroën DS. (voir le blog consacré à Jacques Brel et la Citroën DS19). Plus tard, il optera pour une Citroën CX.

la biographie de Robert Belleret
la biographie de Robert Belleret

j’ai trouvé ces informations dans la passionnante biographie de Robert Belleret « Léo Ferré une vie d’artiste » chez  Acte Sud. Longtemps, la rumeur a colporté que l’artiste possédait une Rolls Royce. (voir le blog la Cadillac du peuple ).

J’ai cherché des informations sur cette fameuse Ferrari. J’aurais aimé trouver une photo par exemple. Sans succés. Il ne m’a donc pas été possible d’identifier le modèle. Robert Belleret ne s’étend pas sur le sujet. Par rapport aux années évoquées (1967) le type 250GT 2+2 m’a paru crédible. Mais l’avait-il acquis  neuve ? D’après le biographe, le  chanteur, et Madeleine, sa compagne à l’époque, étaient très fiers de cette auto. Il faut dire que la reconnaissance auprès du public avait été longue à venir.

Cette belle auto  fut sürement pour Léo et Madeleine  comme une revanche sur la vie de bohème du début.  Elle lui inspira une de ses plus belles chansons, « la vie d’artiste ».

« Cette fameuse fin du mois

Qui depuis qu’on est toi et moi,
Nous revient sept fois par semaine
Et nos soirées sans cinéma,
Et mon succès qui ne vient pas,
Et notre pitance incertaine.
Tu vois je n’ai rien oublié
Dans ce bilan triste à pleurer
Qui constate notre faillite. »

Il n’est pas sûr que la direction de Solido ait été aussi fière de la réalisation de sa Ferrari 250 GT 2+2 que Léo Ferré l’a été de son auto.

Je m’explique.  Elle porte la référence 123 et se situe logiquement juste après la référence 122, la Ferrari 156 monoplace mais surtout après la fameuse référence 121, la Lancia Flaminia, qui fut la première miniature au monde à être équipée de portes ouvrantes. (voir le blog sur la Lancia Flaminia Solido).

Cette Ferrari Solido est loin d’être parfaite. Elle n’est sûrement pas due au crayon de M. Brière qui avait notamment conçu la Lancia Flaminia (voir le blog consacré à la Jaguar Type D). Dans ces années là, il y avait au moins deux employés qui se partageaient la lourde tâche consistant à créer les prototypes. .

AMR Ferrari 250GT chassis court
AMR Ferrari 250GT chassis court

La voiture est trop large et trop courte. En la regardant de face elle fait penser à une 250 GT châssis court de compétition avec ses phares additionnels placés dans la calandre.

J’ai eu le bonheur de récupérer auprès de Mme Azéma le master en bois qui a servi à l’élaboration du moule. Il est intéressant de constater que le concepteur a dû fractionner son modèle en deux.

Ainsi, désormais quand vous regarderez votre miniature Solido vous saurez pourquoi une veine en relief traverse en largeur le capot avant, au niveau des phares. A partir de ce détail, on comprend bien que la réalisation de cette miniature n’a pas été simple.

Je suis persuadé que le prototypiste s’y est pris à deux fois pour concevoir le modèle. Une fois le premier master réalisé, on a scié l’avant qui devait présenter un défaut et on s’est remis à l’ouvrage. L’avant qui est très bien traité pourrait être dû à M. Brière venu à la rescousse de son collègue. C’est une hypothèse.

La version offerte par Dinky Toys de cette Ferrari 250 GT 2+2 est supérieure. (voir le blog consacré à la Ferrari 250 GT2+2).

La suite la semaine prochaine.

 

Sur les quais de Marseille

Sur les quais de Marseille

« J´connais un´ grue sur le Vieux Port

Avec des dents longu´s comm´ la faim

Et qui dégraf´ tous les marins

Qu´ont l´âme chagrine et le cœur d´or

C´est à Marseille que j´vais la voir

Quand le soleil se fout en tweed

Et que l´mistral joue les caïds

C´est à Marseille qu´ell´ traîn´ le soir »

Léo Ferré  La Marseillaise (écouter la chanson dans son intégralité)

 

Beaucoup d’artistes sont inspirés par les ports de marchandises. Photographes, cinéastes, poètes et peintres aiment l’atmosphère des quais, et la puissante silhouette des grues de déchargement.

Le port de Marseille a longtemps été l’un des plus actifs en France. Après la seconde guerre mondiale, l’Algérie est toujours un département français, et l’Algérie c’est en face de Marseille.

Lors de la conquête du pétrole en Algérie, le matériel nécessaire aux recherches et à l’exploitation transitait donc par ce port. Le transport des pipelines et les convois spectaculaires en direction du Sahara algérien ne pouvaient laisser insensible FJ, firme marseillaise.

Pour FJ qui avait déjà créé le moule du camion Pacific et de sa remorque, la déclinaison en convoi exceptionnel était une suite logique. Historiquement, le vrai camion a d’abord été conçu  pour l’armée américaine, dans un usage militaire (porte-char). FJ a également commencé avec une version militaire, un lance-missiles. Ensuite il lui a suffit de créer un berceau en tôle au-dessus de l’essieu arrière de la remorque pour recevoir le pipeline. Le tour était  joué.

Pour la création du pipeline lui-même, on peut dire que FJ a fait dans la débrouille : il s’agit d’un tube en carton peint de couleur argent (ensuite ce sera du PVC de couleur gris clair). Mais l’attrait du camion tient aussi dans sa décoration et la mention : « Destination  PETROLES DU SAHARA éléments de pipe line » encadrée de deux cocardes tricolores.

Comme nous l’avons déjà constaté  avec d’autres véhicules français ayant pour thème le Sahara français, l’exploitation de ces gisements s’accompagnait d’une grande fierté nationale. FJ est allé jusqu’à placer des cocardes sur les portes de la cabine du tracteur.

Comme la vantardise n’est jamais très loin de la fierté,  on peut relever la terminaison plurielle de « pétroles » et aussi du mot « élément » alors  que notre convoi n’en transporte qu’un !

La couleur la plus fréquente de l’ensemble, tracteur et remorque est le rouge. Les autres couleurs sont nettement moins courantes. La boîte est similaire à celle du lance-missile produite en même temps.

Plus tard, afin d’étoffer son catalogue FJ proposera des versions plus sophistiquées de ces camions Pacific transports exceptionnels.

Dans cette seconde période, elle proposa  notamment une version équipée de tubes, conçus pour être emboîtés les uns dans les autres. Dans cette seconde série que l’on peut également qualifier de plus luxueuse, une grue à flèche treillis est située derrière la cabine. Cette grue est empruntée à la série des camions GMC de chez FJ. Chez ce fabricant  rien  ne se perd et  tout est recyclé !

L’utilisation de pièces communes à plusieurs véhicules est le genre de détail qui fait le charme de ces petites firmes. Une boîte illustrée accompagne le modèle. Le camion  est parfaitement reproduit, en couleur,  sur l’étui. Cette seconde version, avec la grue derrière la cabine  et ses tubes  est peu fréquente.

(voir l’article consacré aux Berliet Stradair de chez FJ)

Il faut remarquer un dernier détail. Cette seconde série est apparue au milieu des années soixante alors que l’Algérie avait obtenu son indépendance.  Notre Pacific  a perdu ses cocardes tricolores et bien sûr sa décoration vantant la destination vers le Sahara.

Autre temps.

(voir un autre article consacré au transport dans le Sahara)

 

La Cadillac du peuple

La Cadillac du peuple

« Vous savez, avec l’amour on arrangerait bien des choses. Même dans les bureaux de vote. D’ailleurs faut pas voter. Chacun le sait. Les gens votent, c’est comme cela ; c’est la Cadillac du peuple. Alors on les fait monter de temps en temps dans la Cadillac. Ils en descendent vite. »

Les propos sont de Léo Ferré. Je les ai relevés dans une émission de France Musique qui rendait hommage au poète. J’ai été touché par ces mots que Ferré débitait sur un ton presque anodin, bien loin de la gravité du propos. Il part d’un constat, puis rebondit et va là où on ne l’attend vraiment pas. N’est-ce pas le rôle de l’artiste de provoquer, de questionner, de faire réfléchir?  Avec ces mots simples il nous interpelle sur un sujet qui nous concerne tous, la démocratie.
Ce qui m’a accroché c’est bien sûr la comparaison entre l’action d’aller voter et celle d’un voyage en automobile de luxe. Mais c’est aussi le fait d’avoir choisi une marque qui ne viendrait pas spontanément à l’esprit.

Comme symbole d’un voyage luxueux, on penserait plutôt à la marque anglaise Rolls-Royce. On sait qu’une rumeur circula dans les années soixante sur le fait que Léo Ferré possédait une Rolls Royce.

La rumeur avait sûrement été lancée dans le but de troubler dans l’opinion publique l’image d’un artiste engagé et dérangeant. Mais elle n’avait aucun fondement comme le confirme le biographe de l’artiste Robert Belleret.

C’est peut être pour cela qu’il a choisi dans sa démonstration la marque Cadillac et non Rolls-Royce, pour ne pas troubler davantage les esprits. Ceci n’est qu’une supposition car Léo Ferré n’était pas du genre à esquiver.

Personnellement, si je dois associer la représentation du suffrage universel à celle d’un voyage, c’est plutôt l’image d’Ulysse qui me vient à l’esprit, lorsque revenant de l’île des morts, il demande à ses compagnons de l’attacher au mât de son navire pour ne pas succomber aux chant des sirènes.

Afin d’illustrer ces propos, j’ai choisi des miniatures de la marque Mercury. En effet la firme de Turin a inscrit  de manière quasi  simultanée à son catalogue une Rolls-Royce et une Cadillac Eldorado cabriolet. L’occasion était trop belle.

Cette dernière est considérée par beaucoup comme la plus belle miniature jamais reproduite. Mon père a toujours eu une grande affection pour cette auto, qui nous a marqués à tout jamais.

Au début des années 80, il en acheta 18 exemplaires différents issus d’une même collection.  La personne les avaient  toutes acquises dans les années soixante en magasin, fait rarissime  à une époque où l’on se contentait d’un seul exemplaire. On imagine combien cette auto lui tenait à coeur.

 

C’est un superbe modèle, image du luxe à l’américaine, vendue sous la référence 28   dès 1956. Cette miniature n’aurait pas déplu à Léo Ferré, lui qui naquît à Monaco. Il dut en croiser plus d’une dans les rues de la Principauté.

Sera-t-elle fiable pour aller voter dimanche ? Une chose est sûre, d’une telle auto, on n’a pas envie de descendre.