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Citroën 11cv Traction Avant de chez CIJ

« Je veux finir sur un coup de génie ! »

Ainsi s’exprime La Folie dans l’opéra Platée et c’est Jean-Philippe Rameau qui s’exprime lui-même par le truchement de la muse de la musique.
Rameau a dû attendre d’avoir cinquante ans pour accéder à la reconnaissance et avait auparavant beaucoup composé pour les théâtres de foire où se jouaient des parodies d’œuvres connues. Certains ont donc vu dans le personnage de la Folie une raillerie de l’opéra italien.

Finir sur un coup de génie voilà bien la devise qu’aurait pu s’imposer la personne responsable du bureau d’étude chez CIJ ! Il faut rappeler que la fin de CIJ est liée étroitement à celle de JRD.

Mais reprenons l’histoire à son commencement. La reprise de la firme Citroën par la famille Michelin sonnera le glas des Jouets Citroën. Il faut redresser la firme et la nouvelle direction coupe toutes les branches jugées superflues. Bien évidemment, celle des Jouets Citroën en fait partie. La CIJ qui fabriquait les jouets pour Citroën se tourne vers Renault tandis qu’un de ses cadres, M. Rabier fonde la JRD qui continuera à reproduire les modèles de la firme aux chevrons. Les deux entités poursuivent ainsi leur chemin, chacune de leur côté avec un certain succès.
En 1963, la firme JEX, qui avait absorbé JRD est à son tour absorbée par Johnson. La multinationale américaine ne semble intéressée que par les produits ménagers et se sépare des sociétés sans rapport avec cette activité. JRD, qui ne fonctionnait pas trop mal va être ainsi liquidée. La CIJ est approchée pour le rachat de JRD mais les finances ne devaient pas être florissantes à Briare.

On avance souvent que la CIJ a racheté les moules de JRD, ce dont je doute. En effet, il est avéré que dans les années 80, un certain M. Jungblut a racheté les moules JRD. Or, il ne les a pas acquis auprès de la CIJ qui existait encore.

M. Jungblut aura le temps de produire des Citroën (DS, DS cabriolet, 11cv traction avant, 2cv, 2cv camionnette et 1200Kgs). Il semble qu’il possédait aussi les moules des camions.
Ce qui est troublant c’est qu’après la fermeture de l’usine JRD, la CIJ a produit quelques-uns de ces modèles : Citroën 2cv camionnette postes, Citroën 1200kgs et Citroën Traction avant. Comment cela peut-il s’expliquer alors que j’avance que la CIJ n’avait pas les outils de production? Je pense qu’en fait CIJ a racheté le fond de l’atelier de production JRD, coques, châssis, décalcomanies et autres accessoires, tandis que les moules étaient vendus à une autre entité qui les exhumera dans les années 80. Ainsi s’expliquent les toutes petites séries de ces fameuses JRD fabriquées par CIJ. Cela nous éclaire aussi sur les très nombreuses variantes de ces objets pourtant produits en petite quantité. Prenons l’exemple du Berliet TLR Kronenbourg. Au début de sa production CIJ il est équipé des roulettes en zamac d’origine JRD. Les pièces venant à manquer il reçoit ensuite des jantes équipées des pneus de la 4CV police, ces dernières faisant office de roulettes. Suivant la même logique, en manque de tracteurs Berliet d’origine JRD, CIJ adaptera le Saviem maison. Puis, faute de décalcomanie, la fabrication cessera et le modèle finira sa carrière en version « Transcontinental ».

On observe le même phénomène avec notre modèle du jour, la Citroën 11cv traction avant. Au départ, le modèle produit par CIJ est encore équipé de jantes en zamac.

Puis on verra apparaître des modèles hybrides équipés de jantes JRD sur un essieu et de jantes en acier d’origine CIJ sur l’autre. Enfin, lorsque le stock de pièces détachées sera épuisé elles ne recevront plus que des jantes acier CIJ.

La Citroën Traction 11cv de CIJ est intéressante à plus d’un titre. A l’époque de sa sortie, vers 1966, la Traction Citroën est une auto qui fait se retourner les gens dans la rue, par nostalgie sans doute. Mais elle n’est pas assez ancienne pour être considérée comme une ancêtre. Ce qualificatif est réservé aux modèles du début du siècle.
En parallèle les fabricants de miniatures ont bien compris que le créneau des ancêtres dans lequel ils se sont plongés au début des années soixante commence à se tarir. CIJ comprend que la demande porte désormais sur les autos de l’immédiat avant-guerre. L’idée germe et prend forme à peu de frais : le coût d’un papier collant sur la boîte! Elle va être la première à remettre au goût du jour et à rééditer une miniature qui est sortie depuis bien longtemps du catalogue. Cette étiquette que fait imprimer CIJ est révélatrice de la volonté de faire revivre cet objet comme une reproduction. On parlerait aujourd’hui d’un « collector ». CIJ indiquera la date de sortie de la vraie voiture accolée à celle de la réédition du jouet « 1934-1966 ».
Hélas, il ne semble pas que l’idée ait été un coup de génie. Il était trop tôt. Mais peu de temps après l’idée, de reproduire ce type d’auto sera reprise par Norev et sa belle série « Moyen Age » : Simca 5 et 1200, Renault Juvaquatre et bien sûr Citroën Traction avant. Preuve que l’idée n’était pas mauvaise. Solido attendra encore un peu, au milieu de années soixante-dix pour proposer une Traction dans sa gamme Âge d’or.

CIJ était fort mal en point et ce coup de génie fera long feu. La Citroën sera proposée dans une autre couleur, beaucoup plus rare, gris clair.

CIJ jettera ses toutes dernières forces dans la bataille en l’équipant d’un boîtage moderne : un socle en plastique de couleur verte et une bulle transparente. Vu la rareté de cette dernière on peut penser que le nombre de pièces produit ainsi fut des plus limité.

L’histoire est assez singulière. CIJ et JRD sont nées de la scission des jouets Citroën comme nous avons vu plus haut. C’est la Citroën Traction qui a sonné le glas des jouets Citroën et c’est aussi cette auto, cette fois réduite au 1/43, créée par JRD puis cédée à CIJ qui verra Briare fermer ses portes.

Le voisin du 43.

Le voisin du 43.

C’est l’histoire banale d’une rue du 19 ème arrondissement. Une rue sans histoires. Une rue calme, quasiment sans commerces, ce qui est révélateur à Paris du peu d’intérêt de l’endroit. C’est pourtant dans cette rue, qu’il y a trente deux-ans, en 1984, j’ai choisi d’ouvrir mon magasin au 41. 

C’est la modicité du prix de la boutique qui m’a motivé. Il faut dire que le commerce qu’elle abritait était fermé depuis plus de 20 ans. Le plancher était en piteux état, à travers ses découpes on voyait la cave. A cette époque, la seule boutique de la rue se situait tout en amont, à l’angle du parc. Il s’agissait d’une boutique de jouets qui faisait aussi papeterie et librairie.

A la droite de la boutique, on trouvait un plombier qui était le descendant du peintre Mucha.

J’étais à peine ouvert, quand un couple qui habitait la rue est venu me voir pour me confier que la vue des Dinky Toys éveillait en eux des souvenirs car les deux époux avaient travaillé à l’usine de Bobigny au début de leur vie professionnelle. Il faut dire que Bobigny n’est pas très loin de ma boutique.

Un an après, j’ai rencontré l’homme qui allait me fournir plus de quatre-vingt Dauphine Dinky Toys aux couleurs « bleu Bobigny ». Encore une fois c’est bien le quartier où j’avais élu domicile qui fût à l’origine de cette rencontre. Elle eut d’ailleurs des conséquences tardives. Bien après l’acquisition des Dauphine Bobigny j’ai acquis auprès de la même personne des prototypes en bois et des essais de couleur.

C’est elle également  qui m’a appris que la direction de Meccano s’était installée au début des années soixante-dix, après le départ de Bobigny, avenue Jean Jaurès au lieu dit « Le Belvédère », à 400 mètres de ma boutique.

Puis vint la collection de M. Chaudey. Comme le couple qui était venu me voir à l’ouverture de la boutique, il avait habité le quartier à l’époque où avec son épouse il travaillait à Bobigny. Ce fut la plus belle collection de Dinky Toys qu’il m’a été donné d’acquérir. Elle comprenait plus de trente prototypes ! Finalement, ce petit quartier qui semblait de prime abord sans attrait m’avait comblé de surprises toutes plus agréables les unes que les autres. 

Puis un jour, mes voisins du 43 décidèrent de partir. J’avoue que jusqu’à ce qu’un des deux frères pousse la porte de ma boutique j’avais j’ignoré l’activité du 43. Je ne suis pas curieux de nature. Nous n’avions jamais poussé la conversation au-delà des politesses d’usage. Il m’indiqua qu’il partait parce que les locaux étaient devenus trop exigus pour poursuivre leur activité de mouliste.

Il m’apprit que c’était leur officine qui avait notamment réalisé le moule de la DS présidentielle de Dinky Toys. Selon lui, quelques coques brutes, issues des premiers tests d’injection devaient encore traîner quelque part.

On imagine aisément qu’avant d’être livré à son commanditaire, le moule devait être testé. Il ne retrouva jamais ces coques. Mais bien plus tard, au moment de la rédaction du dernier opus du livre de Jean-Michel Roulet, comme je lui racontais cette anecdote, il se souvint qu’il avait acquis au marché aux puces quelques coques brutes dont certaines avaient encore leurs carottes d’injection. Elles n’avaient pas été perdues pour tout le monde. On peut imaginer que le compagnon qui avait trouvé ces carrosseries les avait cédées à un brocanteur de Saint-Ouen.

Quelques années plus tard, j’allais rendre visite à M. Juge. Ce dernier était le responsable technique de la firme Champion. Il me parla longuement du voisin du 43. Il y était venu très souvent et se rappelait très bien du nom du mouliste qui lui avait réalisé quelques miniatures : André Fétu.

J’appris à cette occasion que ce mouliste réalisait les moules mais également le modèle en amont, c’est à dire le prototype en bois, à une échelle trois fois plus importante que celle du modèle envisagé. Les défauts, les déformations, les asymétries sont bien plus visibles sur un modèle trois fois plus grand.

Je me souviens lui avoir montré les prototypes et les empreintes servant à l’enfonçage chez Tekno. M. Juge admira la finesse et la grande dextérité des Danois, au niveau des micros soudures, technique qu’il n’utilisait visiblement pas. C’est à cette occasion qu’il me céda un ensemble de maquettes en bois ayant été réalisées au 43 rue Cavendish.

Certaines ont connu la série en série, comme la Lola T70, la Ligier JS5 ou la Ferrari 312T. Par contre, la Lancia Stratos, la Mirage Ford de 1967 ou l’Alpine Renault A442 de 1977 n’ont jamais vu le jour. J’avais aussi vu dans son bureau du boulevard Sébastopol, dans les années 90, une Porsche 935 Mugello 1976 qui a disparu. La mise en route d’un modèle nécessite de lourds investissements. Parfois la raison l’a emporté. Par exemple, la Mirage n’a connu qu’une saison et elle a toujours été aux couleurs Gulf. Dans ces conditions, il n’était pas facile de créer des versions différentes. Il en est de même pour la Porsche 935 qui dans sa carrosserie Mugello, phares dans le spoiler et ailes arrières rondes, n’a couru qu’une fois.

A l’opposé, la Lancia Stratos aurait pu être un vrai filon pour les amateurs de variantes. Mais la sortie du modèle Solido a dû tempérer les ardeurs des décideurs chez Champion.

la carte postale appartenant à Mr Raymond
la carte postale appartenant à Mr Raymond

M. Raymond, connu pour sa collection unique au monde de Peugeot 404 habite le quartier, comme son papa, qui lui habite la rue Cavendish. Intéressé par l’histoire du quartier, ce dernier m’a confié une carte postale des plus intéressantes. La vue est prise en bas de la rue Cavendish. En fait c’est l’immeuble du 43 qui est le sujet de la photo et plus précisément, le fameux local décrit ci dessus. Le fronton de l’entrée porte l’inscription « Monnier Modeleur ». Une quinzaine d’ouvriers et d’apprentis posent devant l’entrée. Notre modeleur des années 80 était donc le descendant d’une lignée établie au moins depuis le début du siècle dernier.

« Poète… vos papiers ! » Léo Ferré

 

« Poète… vos papiers ! » Léo Ferré

« Il faut que ce que l’on appelle la police soit une chose bien terrible disait plaisamment Madame de… puisque les Anglais aiment mieux les voleurs et que les Turcs aiment mieux la peste ». 
(Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort, « Maximes et pensées – Caractères et anecdotes »)

Quiralu plaquette avec Simca Ariane
Quiralu plaquette avec Simca Ariane

Le français a un rapport complexe avec les forces de l’ordre. Il me semble que cela a toujours été le cas, tout au moins depuis la révolution. Il n’aurait pas été judicieux sous Louis XIV de railler le maintien de l’ordre. Cela revenait à mettre en cause l’autorité royale, on risquait de se retrouver embastillé. Molière ne s’y est pas risqué.

C’est dans les spectacles de rue, les spectacles de cabarets, que vont apparaître bien plus tard les railleries contre les représentants des forces de l’ordre. Dans Guignol, le gendarme  (Chibroc, Flageolet, La Ramée…) est rarement à son avantage.

Quiralu Simca Versailles
Quiralu Simca Versailles

Depuis près de deux cents ans, la littérature et les arts plastiques raillent la profession, écrivains et artistes acceptent mal l’ordre qu’elle est supposée faire respecter, comme l’indique l’historien Jean-Marc Berlière. Pour ce dernier le malaise s’est accentué depuis le régime de Vichy. C’est ce dernier qui a unifié et étatisé les polices de France, à l’exception de la préfecture de police de Paris, qui conserve aujourd’hui encore un statut particulier.

Vichy a donc conçu une police d’Etat centralisée dont la vocation est plus la protection de l’Etat que celle du citoyen. Il en est résulté une modification des rapports du citoyen et de sa police. Il semble qu’aujourd’hui un fossé important se soit creusé.

Pour ma part, je constate que je n’ai pas le même ressenti en France et à l’étranger devant les représentants des forces de l’ordre. Il m’est arrivé une fois d’être arrêté en Grande-Bretagne pour vitesse excessive sous la pluie. Le policier m’a d’abord demandé si je comprenais la langue de Shakespeare. Logique me direz-vous. Il m’a ensuite sermonné sur le fait que je mettais ma vie en danger et plus grave encore, celle des autres. Il m’a demandé si j’approuvais son discours. J’ai acquiescé. Il m’a autorisé à repartir en me demandant de respecter les consignes de sécurité. Cet épisode m’a beaucoup marqué. En France, on constate que l’Etat a choisi la répression. Le représentant des forces est là pour réprimer toute atteinte à la loi, il n’y a pas d’espace pour la pédagogie. Dans ce contexte, il est alors bien évident que la profession n’est pas appréciée.

Pourtant si l’on se réfère à notre passion de la collection de miniatures automobiles, les fabricants de jouets français ont largement contribué à essayer de donner à l’enfant une image positive de cette profession.

On ne compte plus les reproductions de policiers, gendarmes motorisés en miniature. En plomb, en aluminium, en plastique que ce soit Cofalu, Aludo, Metallix, Starlux, tous ont mis sur le marché des représentants des forces de l’ordre. Il est intéressant de constater que ces reproductions ont eu un grand succès dans les années cinquante à soixante-dix.

Ensuite, les fabrications ont disparu en même temps que les miniatures. Une question me taraude tout de même. Auraient-elles actuellement le même succès auprès des acheteurs de jouets ? Je me souviens bien de la reproduction au milieu des années soixante dix du coffret Solido avec les figurines Starlux et surtout la reproduction du radar et du buisson tous les deux en plastique ! A l’époque cet outil était rare !

Ces personnages décorent agréablement nos vitrines. Je suis sensible aux poses de ces petites figurines : il y a de la poésie dans les attitudes. J’apprécie celle du policier et de sa grande cape au vent. Même l’agent de police dressant un procès  verbal me rebute pas, tant que ce n’est pas moi qui suis concerné ! (voir lhttps://autojauneblog.fr/2015/11/30/dinky-toys-ford-galaxie-police/e « Gendarme à bobigny »)

Le Peugeot J7 de chez Bourbon

Le Peugeot J7 de chez Bourbon

Il y a quarante ans nous étions très peu nombreux à nous intéresser à ce type de jouets dont le côté naîf et rustique rebutait nombre de collectionneurs. Avec le temps qui passe, bon nombre d’amateurs ont appris à aimer le Peugeot J7 de chez Bourbon.

Le  Peugeot J9 qui lui a succédé puis les autres Peugeot qui ont suivi lui ont donné un passé et une histoire. Il en va ainsi avec tous ces véhicules industriels. Vingt ans après leur sortie, alors qu’ ils sont démodés  ils révèlent  leurs charmes.

Cette semaine, nous allons essayer de dresser une liste de ces Peugeot J7 de chez  Bourbon.  Le Peugeot J7 a logiquement succédé au Peugeot D3A pour lequel nous avions déjà par le passé listé les versions. Bourbon a donc choisi de proposer à ses éventuels clients la reproduction de ce fourgon permettant d’apposer leurs publicités. N’oublions  pas que c’était le but de ce type de produit qui constitue un véritable objet publicitaire.

Peugeot J7 avec ou sans mécanisme
Peugeot J7 avec ou sans mécanisme

Le coût de revient est l’élément moteur de ce genre de produit. A ce titre Bourbon proposait deux finitions en fonction du budget du commanditaire: avec ou  sans moteur à friction. Il est bien moins fréquent  que son prédécesseur.

Quelques versions du Peugeot J7 Bourbon dans des livrées bien précises, sont apparues sur le marché en grande quantité donnant l’illusion que ce fourgon est en fait très fréquent.

Comme celui arborant la publicité « Epargne scolaire Caisse épargne des B.D.R ».

Mais ce n’est qu’une illusion. La grande majorité des modèles est  peu fréquente.

Voici la liste des modèles que j’ai rassemblés. N’hésitez pas à la compléter Continuer la lecture de Le Peugeot J7 de chez Bourbon

Chronique d’une catastrophe annoncée

En prévision des travaux que j’ai effectués au magasin l’année dernière, j’ai rangé et trié toute la documentation que j’avais accumulée pendant plus de trente ans. Ce genre de travail n’est pas désagréable, car il permet d’exhumer des documents oubliés. J’ai pris plaisir à me replonger dans un catalogue Berliet consacré au modèle Stradair. Le document m’est apparu édifiant, surtout avec près de 50 ans de recul.

Berliet Stradair
Berliet Stradair

Après l’avoir feuilleté, ma première réflexion a été de me demander comment une firme qui paraissait solide, qui avait une histoire et donc une expérience hors du commun avait pu se fourvoyer de cette manière dans cette aventure. Chaque page est la chronique d’une catastrophe annoncée.
Le titre du catalogue interpelle déjà le lecteur, qui, ne l’oublions pas, est avant tout un acheteur éventuel. « Un Stradair pour quoi faire ? » Après avoir feuilleté le catalogue, la question demeure sans réponse !

Le catalogue est beau. Les photos sont superbes. De toute évidence, le studio photo qui a eu le marché a fait du bon travail. On appréciera notamment les photos prises au CNIT à la défense. La confrontation entre les lignes modernes du bâtiment en béton et celles du Stradair est une réussite. On remarque que le studio a retouché une des photos en apposant sur les parois du fourgon une publicité pour les ordinateurs IBM, alors que sur une autre vue cette publicité a disparu.

Après lecture du catalogue, on ne peut s’empêcher de penser que le camion a été conçu pour des « niches », c’est à dire pour des utilisations très particulières. Deux axes sont mis en avant par Berliet pour promouvoir son camion : la suspension et l’espace, le confort de la cabine. Pour illustrer ces qualités, le constructeur lyonnais va prendre des exemples qui, avec le recul, sont assez savoureux.

Ainsi, pour commencer, deux pages sont consacrées au transport des œufs de chez Lustucru. Le texte explique que grâce aux suspensions révolutionnaires, Lustucru est en mesure de transporter sans casse sa précieuse cargaison. Plus loin, c’est le transport de porcelaine, de flacons et de tubes électriques qui illustre le confort du camion. Mais Berliet va plus loin dans la démonstration. Si le transport des comprimés en tube est à la portée de n’importe quel camion, s’agissant d’antibiotiques ou de placenta, c’est vers le Stradair qu’il faut se tourner. On voit ainsi, photographié derrière les vitres d’un laboratoire et devant une cornue fumante, un Stradair carrossé en fourgon aux couleurs des laboratoires Meyrieux.

Pour vanter le confort du camion, les publicitaires n’ont pas été à court d’idées. Le texte annonce clairement que : « si vos voyageurs pouvaient parler …ils diraient qu’on est bien en Stradair ». Les voyageurs en question ne sont autres que des vaches. C’est ma photo préférée : une foire aux bestiaux en milieu rural, avec des maquignons, hilares, devant un Stradair comme égaré au milieu d’antiquités des années 50-60 (Renault Gallion, Citroën et Peugeot D4A). On imagine les commentaires des maquignons en train de se moquer de celui qui vient d’acheter ce gros Stradair flambant neuf, se disant que s’il pense que ses vaches vont le remercier, autant leur apprendre l’anglais !
A la fin du catalogue, on a compris que le Stradair allait avoir du mal à trouver sa place sur le marché.

Berliet, va jeter toutes ses forces mais aussi toutes ses finances dans le projet Stradair. Le lancement en 1965 sera sans précédent pour un utilitaire. Les publicitaires vont convaincre la famille Berliet de réaliser des messages publicitaires à la télévision. La campagne publicitaire fut aussi ample qu’onéreuse. Bourbon en sera un des bénéficiaires. Berliet commanda en effet une série de porte-clefs, support publicitaire très en vogue à cette époque. Bourbon était capable de réaliser de très beaux produits. A l’époque du Stradair, la mode était aux porte-clefs que je qualifierais de « à complications ». Il y eut ainsi un œuf duquel sortait un Stradair, puis un camion carrossé en fourgon réduit au 1/75ème environ, muni à l’arrière d’un crochet permettant de faire coulisser un compartiment dans lequel se situait un autre Stradair qui lui même en transportait un troisième. Bourbon fut aussi sollicité pour une reproduction au 1/55ème environ, tout en plastique, carrossée en fourgon et distribuée avec un étui aux couleurs Berliet. Equipé d’un mécanisme à friction (très souvent poussif !) le modèle était distribué dans les concessions Berliet afin de séduire les éventuels acheteurs. On peut penser que le budget publicitaire ayant été englouti dans d’autres supports, ce petit jouet avait été conçu pour un prix de revient assez bas. Plusieurs déclinaisons de couleurs existent. Comme très souvent avec Bourbon, ce dernier obtiendra le droit de réaliser pour son compte des versions promotionnelles pour des clients cherchant à apposer leur logo sur les flancs du camion. Pour cela, Bourbon simplifiera son fourgon (parois lisses) afin de pouvoir plus facilement le décorer. Un dernier souvenir qui ne parlera qu’aux collectionneurs les plus anciens. Jacques Glickman avait offert à mon père un de ces modèles pour un service que mon père lui avait rendu. Son souvenir est pour toujours associé à cette version « Le Fossé Blanc ». Il faut dire que dans les année quatre-vingt, on était très peu nombreux à être intéressé par ces jouets. Cela a changé et Jacques n’avait pas dû anticiper cette demande.