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La loi du marché.

Episode. 5.   La loi du marché.

1958 est une année importante. La série 100 de chez Solido a été lancée il y a juste un an. Elle répond parfaitement à la demande qui a évolué depuis le début des années 50. Les clients veulent des reproductions de voitures de course ou de grand tourisme : monoplaces, cabriolets, coupés, bolides des 24 heures du Mans. C’est la vitesse qui fait rêver. Les berlines familiales ont perdu leur attrait.

La clientèle s’est élargie. En plus des enfants elle comprend désormais de jeunes adultes qui ont pour passion l’automobile.

Ces derniers souhaitent réunir un panorama de la production mondiale d’automobile en miniatures, et ils veulent rassembler les tout derniers bolides. Ils veulent également remonter le temps et aligner dans leurs vitrines les autos qui ont marqué l’histoire depuis le début de l’aventure automobile. Vaste programme.

C’est dans ce contexte qu’apparaît en France le club du CIAM sous l’impulsion de M. Geo-Ch Veran. Une révolution. Chaque année, au moment des fêtes de Pâques, le Club organise des expositions pour le grand public. Lors de la seconde exposition, le club publie le premier répertoire au monde recensant les miniatures automobiles par pays et par fabricant.

C’est à cette période que des industriels (Rami) ainsi que des artisans (Desormeaux) comprennent qu’il existe un marché pour les adultes collectionneurs. Le mot révolution n’est pas trop fort.

Pour illustrer cette période, j’ai choisi en huitième position de mon classement une RD Marmande car c’est à travers ces expositions du CIAM que Raymond Daffaure s’est fait connaître. Avec Desormeaux, c’est le début de l’artisanat français et même de l’artisanat mondial !

Ainsi, M. Dufour m’a raconté que c’est là qu’il avait découvert le produit et passé commande d’une Citroën 15cv présidentielle notamment. Raymond Daffaure proposait de créer les modèles à la demande. Au départ, Il proposait un catalogue, mais très vite, il a accepté des commandes particulières, quitte à les proposer ensuite à son réseau de clients qui a très vite grossi.

Les réalisations ont un côté artistique, elles ont la particularité d’être taillées dans du balsa. L’entreprise qui perdurera jusqu’à  son accident vasculaire e en 1978, a quelque chose d’utopique (Pour aller plus loin dans l’aventure RD Marmande, lisez le blog qui lui a été consacrée).

Puisqu’il faut choisir parmi les milliers de RD Marmande, j’ai privilégié une Panhard & Levassor 13,6L course de 1902 . Elle synthétise trois thèmes de la collection de miniatures qui me tiennent à coeur : c’est une auto française, de course, reproduisant un modèle du tout début de l’histoire automobile.

En neuvième position, je placerai la marque Safir Champion et sa Lola T70.

Le choix peut paraître surprenant. La première raison est l’association de deux matériaux : le plastique (carrosserie) et le zamac (châssis) permettant de donner de la consistance au jouet.

Je dis bien jouet. Le modèle est d’ailleurs équipé d’axes aiguilles, assurant un roulement parfait pour l’enfant et répondant ainsi aux standards de l’époque.

Mais le fabricant a également pris soin d’équiper ses jantes de pneus nylon, ce qui donne au modèle un aspect réaliste et permet au collectionneur de le mettre en bonne place dans sa vitrine. La seconde raison, c’est le positionnement de l’objet à la croisée des chemins : c’est encore un jouet mais déjà un objet de collection.

Le trait de génie de M. Juge est d’avoir été le premier au monde à décliner plusieurs versions sur une même base, six versions, toutes disponibles en même temps et déjà décorées lors de leur commercialisation.

Il a pu ainsi résoudre l’équation suivante : comment avoir un catalogue bien rempli quand on a peu de moules différents à sa disposition (lola T70, Porsche 917K, Porsche 917L et Ferrari 512M).

Un vrai tour de force. Chaque version réalisée est finie dans une couleur différente et réaliste . Ce concept de déclinaison de versions va faire école. Cela confirme l’importance du modèle dans l’histoire du modélisme français. Et pour preuve, Solido sera contrainte d’imiter Safir-Champion, en déclinant plusieurs versions de sa Porsche 917, et finira par comprendre l’intérêt de répondre à la demande des nouveaux clients : les collectionneurs. Petit à petit, la clientèle des enfants va être abandonnée.

Le dixième et dernier modèle de fabrication française dans mon panthéon est un modèle artisanal. Il a été produit par AMR.

Depuis le début des années soixante, à l’instar de ce qui se passe pour le modélisme ferroviaire, l’artisanat commence à s’intéresser à la reproduction de miniatures automobiles. L’arrivée des kits John Day est une première étape, mais il faut les monter, et les déceptions sont nombreuses. Les collectionneurs rêvent de ce type de produit qui serait vendu tout assemblé.

Evrat pour Modelisme sera le premier à offrir des modèles de grande qualité répondant à ces critères. Issus d’un moule, les modèles sont produits en résine, en petite quantité et sont réservés à un nombre réduit d’amateurs. La finition est supérieure à celle des RD Marmande, mais on devine que l’on peut aller bien plus loin.

Nous sommes en 1975. L’année précédente, la Porsche Carrera RSR turbo martini a failli créer la surprise au Mans. Elle termine à la seconde place mais c’est sa silhouette qui a marqué les amateurs.

L’auto préfigure ce que seront les autos du groupe V, du futur championnat silhouette de 1976 : des ailes larges, un aileron, un bouclier avant. L’auto ne peut laisser indifférent et elle ne laissera pas indifférent André-Marie Ruf. Il vient de quitter la Régie Renault, il est exigeant, doué. Il recherche la perfection. Il aime les autos qui ont des formes. La résine ne lui convient pas.

Il est attiré par le white metal, mais il trouve que les John Day et les FDS manquent de finesse, car trop chargées en plomb. Il s’alliera avec un fondeur français d’exception qui lui procurera des bases de grande qualité. La légende est lancée avec cette Porsche qui sera vite baptisée par les amateurs de miniatures la « 22 » du fait de son numéro de course. En 1975, vous faisiez partie ou non de ceux qui avaient la « 22 » .

L’homme sera toute sa vie durant à la recherche de la perfection, ne se contentant pas des acquis et allant toujours de l’avant. Il améliorera sans cesse ses produits, trouvant des innovations (décalques Cartograf, pièces chromées de qualité, pièces photodécoupées… )

Certains modèles, à juste titre, seront critiqués. André-Marie Ruf n’hésite pas quelquefois à interpréter les formes pour que le rendu à l’oeil soit plus agréable. Parfois l’échelle de reproduction est légèrement supérieure au 1/43. S’il a pu faire polémique, il a marqué son temps et ses modèles montés et ses kits sont une référence. Il a donné un côté luxueux à ses produits, notamment avec l’emballage et plus tard avec les plaquettes de présentation ou les coffrets.

Il vous appartient désormais d’établir votre classement. Il sera différent du mien, pour une simple raison, qui nous ramène au début de cette série de cinq épisodes. Nous collections tous de manière différente. Mais n’hésitez pas à envoyer vos classements avec vos commentaires surtout. 

13 ème tour

13 ème tour.

30 juillet 1967. Cette date marque la fin d’une époque. Les gens ne le savent pas encore. Ils ne le comprendront que bien plus tard. Une décennie plus tard. Parfois, dans la vie on se pose et on repense au passé. On réalise alors que l’on a vécu une époque incroyable. On le constate en voyant comment les générations suivantes, celles qui n’ont pas connu cette période en parlent avec des lumières dans les yeux.

C’est ce jour là, le 30 juillet 1967 que s’est déroulée la dernière épreuve du championnat du monde des marques à Brands Hatch en Grande-Bretagne, le B.O.A.C. 500, du nom de la compagnie aérienne de transport, sponsor de l’épreuve.

On voit déjà les changements à venir avec l’apparition de cette publicité accolée au nom de l’épreuve.

Les législateurs sont pris de vitesse, c’est bien le cas de le dire, par les prototypes de grosse cylindrée engagés dans ce championnat. Ils vont purement et simplement les exclure du championnat 1968. Le changement de réglementation se fait dans la précipitation. Alain Bienvenu l’évoque  dans son livre (l’endurance tome 2).

Une semaine après les 24 heures du Mans, la commission se réunit en urgence, sans même avoir convoqué ses membres américains. Elle décide d’exclure ces autos. Il n’y aura aucune concertation avec les constructeurs.

Il faut dire que les chiffres parlent d’eux-même : au Mans, le record de la distance a été battu (plus de 5000 km !)  et le record du tour a progressé en deux ans de 24 secondes !

Le championnat sera désormais réservé aux modèles équipés de moteurs 3 litres. Une dérogation est faite pour les autos équipées de moteurs d’une cylindrée supérieure, dès lors qu’il s’agit d’une mécanique issue de la série. C’est ainsi que naît la catégorie Sport : un minimum de 50 autos doit être réalisé pour intégrer la catégorie.

Il faut bien présenter au public des plateaux conséquents et les organisateurs ont peur de se retrouver avec des grille de départs clairsemées.

Que reste -t-il en 1968 du plateau de 1967 ? Ferrari a claqué la porte, ses 330P4 ne sont pas compatibles avec la nouvelle réglementation. On gardera donc les Ford et les Lola.

Pour ces dernières, on se contentera de la promesse de leur propriétaire, Eric Broadley, de produire 50 exemplaires…ce qui ne sera jamais réalisé.

En 1969, le règlement abaissera le seuil à 25 exemplaires, en oubliant, cette fois de stipuler l’utilisation d’une mécanique de « série ». Porsche s’engouffrera dans cette catégorie suivi par Ferrari.(voir le blog consacré à la Porsche 917).

En modifiant les règles relatives à la dimension du pare-brise, le règlement de 1969 aura une autre conséquence.

Conjuguée à la suppression du coffre à bagages prévue par les règlements précédents, cette nouvelle réglementation donnera naissance à une nouvelle génération d’autos, celle des autos ouvertes : les barquettes. Ces dernières apparaissent moins spectaculaires pour le grand public.

Esthétiquement, il est sûr que les autos de 1967 sont toutes plus belles les unes que les autres. De plus, chacune est facilement identifiable, même pour un public profane. (voir le blog consacré à la Chaparral 2F).

Les fabricants de miniatures et de jouets ne s’y sont pas trompés. Ils en ont compris tout l’intérêt . Il suffit de regarder le nombre de reproductions de Chaparral 2F, de Ferrari 330 P4 ou de Ford MK IV qui ont été proposées, toutes échelles confondues.

Jamais des autos de course n’auront eu autant de succès. Mebetoys l’a bien compris qui a inscrit à son catalogue tous les modèles ayant marqué cette année exceptionnelle. Afin d’écouler ses stocks, le fabricant italien a même créé un coffret cadeau. Il est d’une grande rareté.

Il y a là les quatre marques qui ont dominé cette année si l’on excepte la Mirage qui s’est imposée à Spa. La Ferrari 330P4, championne du monde avec deux victoires dont le fameux triplé en terre américaine à Daytona. Porsche sa concurrente qui lutta jusqu’à la dernière course. Chaparral l’animatrice du championnat qui clôturera le championnat par une victoire. Enfin, Ford qui s’est imposé à Sebring et bien sûr au Mans avec sa MK IV.

Désormais, c’est avec une certaine émotion que l’on regarde ce coffret. Un détail ne vous a pas échappé. Pour compléter son coffret le fabricant de jouets a créé un panneau : le type de panneau que les mécaniciens présentaient à chaque tour au pilote de l’auto afin de le renseigner sur sa position, son avance sur son suivant et le retard sur l’auto qui le précédait.

Bref un mode d’information qui paraît bien dépassé aux pilotes d’aujourd’hui, ces derniers ayant la radio et l’informatique à bord.

Superstition ou pas, les italiens ont choisi d’immortaliser la course au 13eme tour !

C’est vrai qu’en Italie, le 13 est un nombre comme les autres, c’est le chiffre 17 qui fait peur. Une chose est certaine ce 30 juillet 1967 est une date dans l’histoire automobile. Rien ne sera plus comme avant..

Le voisin du 43.

Le voisin du 43.

C’est l’histoire banale d’une rue du 19 ème arrondissement. Une rue sans histoires. Une rue calme, quasiment sans commerces, ce qui est révélateur à Paris du peu d’intérêt de l’endroit. C’est pourtant dans cette rue, qu’il y a trente deux-ans, en 1984, j’ai choisi d’ouvrir mon magasin au 41. 

C’est la modicité du prix de la boutique qui m’a motivé. Il faut dire que le commerce qu’elle abritait était fermé depuis plus de 20 ans. Le plancher était en piteux état, à travers ses découpes on voyait la cave. A cette époque, la seule boutique de la rue se situait tout en amont, à l’angle du parc. Il s’agissait d’une boutique de jouets qui faisait aussi papeterie et librairie.

A la droite de la boutique, on trouvait un plombier qui était le descendant du peintre Mucha.

J’étais à peine ouvert, quand un couple qui habitait la rue est venu me voir pour me confier que la vue des Dinky Toys éveillait en eux des souvenirs car les deux époux avaient travaillé à l’usine de Bobigny au début de leur vie professionnelle. Il faut dire que Bobigny n’est pas très loin de ma boutique.

Un an après, j’ai rencontré l’homme qui allait me fournir plus de quatre-vingt Dauphine Dinky Toys aux couleurs « bleu Bobigny ». Encore une fois c’est bien le quartier où j’avais élu domicile qui fût à l’origine de cette rencontre. Elle eut d’ailleurs des conséquences tardives. Bien après l’acquisition des Dauphine Bobigny j’ai acquis auprès de la même personne des prototypes en bois et des essais de couleur.

C’est elle également  qui m’a appris que la direction de Meccano s’était installée au début des années soixante-dix, après le départ de Bobigny, avenue Jean Jaurès au lieu dit « Le Belvédère », à 400 mètres de ma boutique.

Puis vint la collection de M. Chaudey. Comme le couple qui était venu me voir à l’ouverture de la boutique, il avait habité le quartier à l’époque où avec son épouse il travaillait à Bobigny. Ce fut la plus belle collection de Dinky Toys qu’il m’a été donné d’acquérir. Elle comprenait plus de trente prototypes ! Finalement, ce petit quartier qui semblait de prime abord sans attrait m’avait comblé de surprises toutes plus agréables les unes que les autres. 

Puis un jour, mes voisins du 43 décidèrent de partir. J’avoue que jusqu’à ce qu’un des deux frères pousse la porte de ma boutique j’avais j’ignoré l’activité du 43. Je ne suis pas curieux de nature. Nous n’avions jamais poussé la conversation au-delà des politesses d’usage. Il m’indiqua qu’il partait parce que les locaux étaient devenus trop exigus pour poursuivre leur activité de mouliste.

Il m’apprit que c’était leur officine qui avait notamment réalisé le moule de la DS présidentielle de Dinky Toys. Selon lui, quelques coques brutes, issues des premiers tests d’injection devaient encore traîner quelque part.

On imagine aisément qu’avant d’être livré à son commanditaire, le moule devait être testé. Il ne retrouva jamais ces coques. Mais bien plus tard, au moment de la rédaction du dernier opus du livre de Jean-Michel Roulet, comme je lui racontais cette anecdote, il se souvint qu’il avait acquis au marché aux puces quelques coques brutes dont certaines avaient encore leurs carottes d’injection. Elles n’avaient pas été perdues pour tout le monde. On peut imaginer que le compagnon qui avait trouvé ces carrosseries les avait cédées à un brocanteur de Saint-Ouen.

Quelques années plus tard, j’allais rendre visite à M. Juge. Ce dernier était le responsable technique de la firme Champion. Il me parla longuement du voisin du 43. Il y était venu très souvent et se rappelait très bien du nom du mouliste qui lui avait réalisé quelques miniatures : André Fétu.

J’appris à cette occasion que ce mouliste réalisait les moules mais également le modèle en amont, c’est à dire le prototype en bois, à une échelle trois fois plus importante que celle du modèle envisagé. Les défauts, les déformations, les asymétries sont bien plus visibles sur un modèle trois fois plus grand.

Je me souviens lui avoir montré les prototypes et les empreintes servant à l’enfonçage chez Tekno. M. Juge admira la finesse et la grande dextérité des Danois, au niveau des micros soudures, technique qu’il n’utilisait visiblement pas. C’est à cette occasion qu’il me céda un ensemble de maquettes en bois ayant été réalisées au 43 rue Cavendish.

Certaines ont connu la série en série, comme la Lola T70, la Ligier JS5 ou la Ferrari 312T. Par contre, la Lancia Stratos, la Mirage Ford de 1967 ou l’Alpine Renault A442 de 1977 n’ont jamais vu le jour. J’avais aussi vu dans son bureau du boulevard Sébastopol, dans les années 90, une Porsche 935 Mugello 1976 qui a disparu. La mise en route d’un modèle nécessite de lourds investissements. Parfois la raison l’a emporté. Par exemple, la Mirage n’a connu qu’une saison et elle a toujours été aux couleurs Gulf. Dans ces conditions, il n’était pas facile de créer des versions différentes. Il en est de même pour la Porsche 935 qui dans sa carrosserie Mugello, phares dans le spoiler et ailes arrières rondes, n’a couru qu’une fois.

A l’opposé, la Lancia Stratos aurait pu être un vrai filon pour les amateurs de variantes. Mais la sortie du modèle Solido a dû tempérer les ardeurs des décideurs chez Champion.

la carte postale appartenant à Mr Raymond
la carte postale appartenant à Mr Raymond

M. Raymond, connu pour sa collection unique au monde de Peugeot 404 habite le quartier, comme son papa, qui lui habite la rue Cavendish. Intéressé par l’histoire du quartier, ce dernier m’a confié une carte postale des plus intéressantes. La vue est prise en bas de la rue Cavendish. En fait c’est l’immeuble du 43 qui est le sujet de la photo et plus précisément, le fameux local décrit ci dessus. Le fronton de l’entrée porte l’inscription « Monnier Modeleur ». Une quinzaine d’ouvriers et d’apprentis posent devant l’entrée. Notre modeleur des années 80 était donc le descendant d’une lignée établie au moins depuis le début du siècle dernier.