» A l’américaine ! »

 » A l’américaine ! »

Dans « Jour de fête », film de Jacques Tati, il y a une réplique dont je ne me lasse pas :

« Le François, il fait sa tournée à l’américaine ! » Le tout dit avec un savoureux accent berrichon.

L'affiche de "Jour de fête" Jacques Tati
L’affiche de « Jour de fête » Jacques Tati

Jacques Tati était un citadin qui a découvert la campagne lors de sa démobilisation. En 1943, il s’installe dans le village de Saint-Sèvère-sur-Indre où la vie tranquille à la campagne, rythmée par les saisons le séduit. C’est ici qu’il écrira le synopsis de son film et qu’il reviendra le tourner.

Dans « Jour de fête », c’est l’arrivée de la caravane des forains qui vient troubler la vie paisible du village.

Jacques Tati dresse un constat grinçant des effets du progrès technique sur le rythme du travail. Il a sans doute pensé au personnage de Charlot dans « Les temps modernes ». Toujours plus vite semble être le seul credo.

Un cinéma en plein air est installé sur la place du village. La projection d’un documentaire sur les méthodes employées par la poste américaine pour le ramassage et la distribution du courrier, symbole des progrès venant des Etats-Unis est l’élément déclencheur. Tous les moyens sont bons pour aller plus vite semble dire le documentaire.

François, le facteur du village est légèrement éméché. Il est moqué par les forains. Piqué au vif, il se lance alors à bicyclette dans « une tournée à l’américaine », avec ses modestes moyens. Toute la mécanique burlesque de Jacques Tati se met alors en place.

La scène où il pédale tout en téléphonant est des plus réussies. Quand il arrive à la hauteur de la jeep des GI symbolisant la présence américaine sur le territoire, ces derniers semblent étonnés que la poste française soit ainsi équipée !

Dans la France d’après-guerre, le sentiment de la population vis à vis des Américains est contrasté. Une fois passée la liesse de la libération, une partie d’entre elle et du pouvoir politique se montre hostile à l’allié américain, prévenue par une sorte de méfiance. C’est peut être aussi cela le message du film. (voir le blog consacré aux Jeep fabriquées en France)

Les Américains sont venus en Europe lors de la seconde guerre mondiale et ils sont venus avec leur culture. Dans le domaine de l’automobile, outre la jeep, ils ont importé un type de spectacle qui était inconnu en Europe jusqu’alors et qui n’aurait jamais connu le succès sans la guerre.

Après cette noire période, les gens ont besoin de s’amuser. On sait le succès qu’ont connu les premières compétitions automobiles, que ce soit la coupe des prisonniers juste après le conflit (voir le blog consacré à ce sujet )  ou les premières 24 Heures du Mans d’après guerre en 1949.

Mais la faible quantité de voitures de course disponible par rapport à la demande du public donne l’idée à Charley Michaelis et Andy Dickson d’importer en France les courses de « Stock-cars ».

Dire que les américains ont le sens du spectacle est un euphémisme. Le spectateur doit en avoir pour son argent.

Pour faire des courses attrayantes il faut un règlement simple. Celui des courses de stock-cars « made in France » tient sur une demi-page du programme présentant la course du jour. Tout est autorisé dans la transformation de l’auto : moteur, puissance, cylindrée. Il est plus simple d’énoncer les restrictions : la seule réserve est de ne pas mettre en danger la vie des autres concurrents. Cela rappelle le règlement vu bien plus tard dans les courses de la Can-Am (voir le blog consacré à ce sujet).

N’oublions pas deux autres points essentiels du règlement : port du casque obligatoire et obéissance à la direction de course. Rien de très compliqué !

Le succès sera très rapidement au rendez-vous. Deux courses seront programmées chaque semaine au stade Buffalo à Montrouge, près de la porte d’Orleans entre 1953 et 1957, date de la destruction de ce dernier.

Il faut donc offrir du spectacle à l’assistance. Qu’à cela ne tienne, une prime est allouée à toutes les actions allant dans ce sens.

Ainsi, un concurrent sachant que la victoire est hors de portée n’hésitera pas à monter sur le talus et provoquer un tonneau ou un immense carambolage pour le grand plaisir du public. Ce spectacle, digne des jeux du cirque enthousiasme.

Ces courses ont pour origine la prohibition. Ce n’est pas une légende. Afin d’avoir des autos  nerveuses capables de semer facilement celles de la police, la pègre modifie les moteurs et les accessoires de ses autos dans le but de les rendre plus performantes.

Les véhicules transformés trouveront assez rapidement une autre fonction. Des courses entre bandes rivales sont organisées afin de déterminer les meilleures préparations. Le « stock-cars » littéralement « voiture de série » est né.

« Stock-cars » c’est aussi l’intitulé du superbe et rare coffret contenant trois autos de type générique reproduites au 1/43 que je vous présente aujourd’hui. Ce produit, je l’ai découvert il y a quelques années en visitant la magnifique collection de M Dufour. J’étais tombé immédiatement sous le charme. Je ne l’avais jamais vu auparavant, ni revu ailleurs !

Lors de l’édition 2019 de l’incontournable bourse d’Orléans, j’ai enfin pu dénicher un exemplaire de ce coffret réalisé par G-G (Gaspard et Gaubier). Cette petite firme française était située au 4bis passage Kuszner dans le 19ème arrondissement.

Ne cherchez pas cette adresse sur un plan, ce passage a été détruit. Il se situe non loin de la fameuse rue Rebeval, chère aux amateurs de Dinky Toys. Après BS,(Beuzen et Sordet) avenue Jean-Jaurès et Désormeaux rue de Meaux, voici encore une autre petite firme voisine de ma boutique.

Il semble évident que la personne chargée dans cette petite fabrique de la réalisation des prototypes et autres projets devait être un fervent spectateur de ces courses de stock car au stade Buffalo.

Cela se perçoit déjà dans le graphisme du coffret. L’illustration du couvercle de la boîte vous plonge dans l’univers bariolé de ces compétitions.

Comme sur les affiches des matchs de catch, très populaires aussi à cette époque, le dessinateur nous présente un univers où règne une certaine violence, qui semble, heureusement sous contrôle.

Observez l’allure décontractée des deux pilotes. L’un deux n’a même pas cru devoir sangler la lanière de son casque. Il a parfaitement su retranscrire et synthétiser cet univers tout fraichement importé des Etats-Unis.

Il est bien évident que les organisateurs cherchent à impressionner les spectateurs avides de sensations fortes. Observez les photos figurant dans le programme de la course du jour.

Le rédacteur n’hésite pas à vanter une virile touchette, où l’un des protagonistes fini sur le flanc avec cette remarque : « Les USA n’ont rien à envier aux français ! » et conclut avec cette phrase laconique : » Un télescopage d’une rare violence ».

Pourtant, ces autos sont lourdes, leur vitesse de pointe n’est pas très élvée. La violence est sous contrôle. Pour s’en convaincre il suffit d’aller voir quelques videos d’époque que je n’ai malheureusement pas le droit de diffuser.

Comme dans une bande dessinée, à l’aide de bulles, les deux pilotes figurant sur le couvercle du coffret invitent l’enfant à les imiter dans leurs courses intrépides et leurs carambolages.

Pour cela, rien de plus simple. Lorsque le pare-chocs rencontre un obstacle, un mécanisme astucieux libère un ressort qui a pour effet de catapulter l’auto en l’air ! Impressionnant. On comprend mieux la rareté de ces autos ! Combien d’entre elles ont survécu à de tels traitements ?

Grace à l’aide de la technique lithographiée GG a pu proposer trois livrées fort différentes et hautes en couleur traduisant fort bien ce que devaient être ces autos transformées et repeintes dans des couleurs extravagantes. On appréciera aussi le panneau sur le pavillon ainsi que les renforts simulés sur les ailes.

Enfin les fûts en bois finissent de compléter le coffret. Dans la réalité ces fut servaient aussi bien de balises marquant la piste que d’obstacles pour arrêter la course d’un concurrent un peu trop pressé de vous dépasser.

La firme G-G (Gaspard Gaubier) fut éphémère. Elle est bien sûr listée dans la rubrique des fabricants. Le logo apparaît également dans l’index. Par contre Je n’ai même pas retrouvé de publicité dans la fameuse revue professionnelle.

Pire, elle disparaît assez vite de ce listing des fabricants en cours d’activité au début des années soixante. Cela ne l’a pas empêchée de produire un superbe ensemble caravaning, créant pour l’occasion une mignonne petite caravane. L’étui, illustré d’un beau dessin, est d’un style graphique fort différent du coffret Stock cars.

Il ya fort fort longtemps, à l’époque où nous avions commencé notre collection avec les autos de course et de record, nous avions acquis un joli petit coffret en carton, portant les initiales G-G , aux couleurs de Delespaul.

C’est l’auto de record, façon tank caréné qui nous avait séduit. Le coffret contenait donc cette auto de record et cette fameuse limousine de type générique. Chacune portait sur son châssis un tampon Delespaul. L’auto de record, je l’ai trouvée ensuite dans une petite boîte avec le marquage « Simoun » qui est le nom d’un vent violent au Moyen Orient.

GG eut donc une existence courte. Pourtant, quels beaux objets elle a su offrir aux enfants.

Jacques Tati avait bien vu. Tout va vite, trop vite. Pourtant, quand sur la table j’ai vu le coffret, le temps s’est arrêté. Quelques instants. Mais il s’est arrêté. C’est la réponse du vendeur sur le prix de l’objet qui m’a brutalement replongé dans la réalité.

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La rouge et la noire

La rouge et la noire.

Au lycée, l’étude du roman de Stendhal «Le rouge et le noir » a été un moment important pour l’élève moyen que j’étais. Selon mon professeur de français, ce roman marquait une étape dans la vie des élèves. Il devait  opérer sur nous sa magie et nous ouvrir les portes d’un nouveau monde. Bref, il y avait un avant et un après « Le rouge et le noir ».

"Le rouge et le noir" de Stendhal
« Le rouge et le noir » de Stendhal

J’avoue pourtant que c’est le nombre de pages à lire qui m’inquiéta d’abord et mon inquiétude s’aggrava à la découverte de la police choisie par l’éditeur : plus c’est écrit petit, plus il y a à lire. Et tout cela venait en soustraction du temps consacré à monter mes maquettes de voitures et à m’occuper de notre collection naissante.

Ce fut néanmoins un moment important, pour moi, celui où j’ai pris conscience de mes capacités.

L’étude du roman avait pourtant bien commencé. Les développements fournis par mon professeur pour expliquer le titre du roman m’avaient captivé. Ils en résumaient l’intrigue : le héros hésitait durant tout le récit entre une vie militaire (le rouge)  et une vie ecclésiastique  (le noir).

affiche du film "le rouge et le noir"
affiche du film « le rouge et le noir »

Depuis, j’ai appris que d’autres interprétations du titre étaient possibles, comme celle de la roulette au casino,et du jeu de hasard.

Le noir peut aussi symboliser la face sombre d’un personnage prêt à tout pour s’élever socialement et le rouge la passion amoureuse. Stendhal semble n’avoir jamais fourni d’explications quant au choix de son titre.

"Le rouge et le noir" de Stendhal
« Le rouge et le noir » de Stendhal

En revanche, je ne me rappelle pas qu’un de mes camarades, ni moi-même, ayons cherché à savoir pourquoi la couleur noire était celle du clergé. Je ne me souviens pas non plus que notre professeur ait évoqué cette chose acquise de tous. Pourtant les symboles véhiculés par une couleur ne sont pas le fruit du hasard.

Quarante ans plus tard, c’est lors d’une visite au musée du Louvre que j’ai eu l’explication. Elle se trouve sur les murs de la salle consacrée à Rembrandt. Elle est très simple.

noix de galle
noix de galle

Au Moyen Age, teindre un vêtement de couleur noire de manière uniforme nécessite l’utilisation de pigments rares, donc chers. Ce sont les excroissances des chênes, dues à des parasites, appelées « galle du chêne », qui sont broyées pour obtenir cette fameuse teinture. Seuls les arbres situés en Europe de l’Est et au Moyen-Orient étaient touchés par ce parasite.

L’aristocratie, les riches marchands et aussi le haut clergé avaient seuls les moyens de se payer des étoffes ainsi teintées.

Cette couleur est donc devenue le signe distinctif d’une certaine opulence. Elle distinguait de fait les classes sociales. Quand, plus tard, d’autres pigments plus abordables furent découverts, les classes dominantes interdirent alors aux roturiers le port du noir.

Il suffit d’aller dans un musée, pour s’en rendre compte. Regardez les portraits exécutés par  Titien, Rembrandt, Van Eyck, Le Greco : toute la classe dominante portraiturée arbore fièrement la couleur noire.

La charge symbolique de cette couleur est toujours présente, malgré les siècles passés. Ce qui est une exception. Aucune autre couleur n’a conservé ce pouvoir symbolique. Ainsi une automobile de couleur noire symbolise le pouvoir et indique un certain rang social.

Quand Stéphane Pourqué m’annonça il y a quelque temps avoir trouvé deux Renault Dauphine Dinky Toys de couleur noire, la première réaction qui me vint fut de constater l’inadéquation entre cette teinte et cette auto populaire. Sans vouloir vexer les amateurs de Dauphine, cette auto n’a pas la charge symbolique d’une Cadillac, d’une Rolls Royce ou d’une Mercedes et le noir ne lui convient pas.

Pourtant Dinky Toys en a produit une petite série. La chose est acquise désormais avec certitude. Longtemps je n’avais eu en main que l’exemplaire ayant appartenu à Jean Vital-Remy, qui était en très mauvais état de conservation. Son examen m’avait permis d’en confirmer l’authenticité.

Donc, quand M. Pourqué m’annonça qu’il avait récupéré deux exemplaires auprès d’une même personne, je ne fus pas surpris.

Sachant qu’il était amateur de « petites voitures » une voisine lui avait remis une boîte à chaussures contenant quelques modèles. Il fallait bien sûr les examiner.

Pas de doute, elles étaient d’origine. J’ai incité M Pourqué à se renseigner auprès de la personne qui lui avait remis ces autos sur leur origine. Elle n’avait aucun souvenir. Le seul indice qu’il avait pu recueillir était que cette personne travaillait dans une société de transport pharmaceutique qui utilisait des fourgons 1000Kgs et qui était donc en lien avec Renault.

Nous pouvons situer cette petite série juste avant le passage aux modèles équipés de vitrage, du fait de la présence du châssis en tôle de couleur noire et de la finition brillante et non marbrée, comme sur les premiers modèles.

N’hésitez surtout pas à me contacter si vous avez des informations supplémentaires.

En attendant, clin d’oeil au titre du roman de Stendhal, je vous présente un exemplaire fini de couleur rouge. C’est une version très peu fréquente. Elle arbore une décalcomanie « PKZ », cette célébre chaîne de magasins de vêtements suisse. (voir le blog c onsacré à ce sujet).

Il faut sans doute relativiser l’intérêt de ces modèles. En Suisse, de nombreux amateurs ont un certain dédain pour ces exemplaires du fait de l’ajout de la décalcomanie. Elle est pour eux la verrue qui défigure. Ce point de vue se défend .

En fonction des critères individuels de collection (thématique) ces miniatures prennent une dimension plus ou moins importante dans le coeur de chacun. Ce ne sont que des code 2. Dinky Toys n’a fait que livrer des modèles de base et une société s’est chargée de la fabrication et de la pose de la décalcomanie.

L’examen de plusieurs modèles révèle un certain manque de rigueur dans la pose de ces décalcomanie : les même modèles peuvent, en fonction de la période de fabrication, avoir la décalcomanie positionnée sur la malle ou sur le capot.

Je possède un break Austin countryman qui l’a sur le pare-brise !

Prochainement nous nous pencherons sur l’histoire et la symbolique de la couleur rouge.

PS: merci à monsieur Stéphane Pourqué de m’avoir cédé un de ses deux  exemplaires.

Pas de quoi en faire un disque !

Pas de quoi en faire un disque !

Désormais, rien n’arrête les metteurs en scène d’opéra, Calixto Bieito introduit des Mercedes de seconde main dans Carmen tandis que Laurent Pelly invite un kombi Volkswagen dans son Arianne à Naxos. Alors, pourquoi pas un tracteur dans le ballet « Appalachian Spring » de Martha Graham ? (voir le blog consacré à cette commande de Martha Graham au compositeur Aaron Copland )

En 1944, date de la création du ballet, la mécanisation est une chose acquise pour les campagnes américaines. La chorégraphe aurait donc pu choisir un tracteur d’occasion, parfait pour épauler le jeune couple débutant dans la dure vie de fermier. Voici quelques jouets représentant le matériel qu’elle aurait pu choisir pour son décor.

Un tracteur de seconde main.

La marque qui me semble répondre le mieux aux attentes des petits paysans en herbe est Kansas Toys. Son Fordson est de bonne facture.

Mais ce sont surtout les accessoires créés pour être attelés au tracteur et animer les travaux des champs qui sont somptueux. Charrue, semoir, rouleau et brise-mottes ont été proposés par ce fabricant. Ces ensembles articulés sont de belle qualité. Les couleurs vives finissent d’habiller ces jouets.

Kansas proposa aussi une locomobile à vapeur. Le fabricant est ici facilement identifiable, ce qui n’est pas toujours le cas avec ce type de jouets, du fait qu’il a choisi de cercler d’un trait de couleur le pourtour des roues, simulant un bandage.

Barclay qui est le fabricant le plus prolifique pour ce type de jouets injectés en plomb a bien sûr également proposé des tracteurs. Celui équipé de roues jumelées avant (row crop) est en fait emprunté à la série militaire. Observez le fermier : il a revêtu un casque. Barclay n’a pas jugé utile de modifier le personnage militaire de son tracteur d’artillerie.

L’autre modèle de taille plus modeste semble reproduire un Fordson. Il a aussi été vendu en coffret tractant trois wagonnets.

Savoye a également inscrit deux tracteurs à son catalogue. Le premier est équipé de roues de type artillerie, assez succinctes..On adhère ou pas à ce type de jouets, il faut peut-être du temps pour en apprécier le charme désuet.

L’autre version de forme simplifiée, inspire la puissance. Elle est équipée des fameuses et facilement identifiables jantes en bois de grand diamètre de couleur rouge.

Enfin, Tootsietoys a reproduit un beau tracteur de la marque Star. A l’inverse de Barclay, la firme de Chicago modifiera son tracteur pour l’adapter à l’univers militaire et le transformer en tracteur d’artillerie. Le capot moteur reste identique, mais on notera l’ajout d’un caisson à munitions et la présence d’un soldat au volant. La boîte en carton est des plus rares. Elle contenait des accessoires.

Le tracteur d’avant-garde

Une autre hypothèse fort séduisante pour la chorégraphe d’avant-garde que fut Martha Graham aurait été de présenter sur scène, dans son décor, un tracteur » ultramoderne ».

Alors, imaginons donc ces jeunes fermiers miser sur l’avenir avec du matériel sophistiqué. Le temps de faire les démarches à la banque, deux ans se sont écoulés pour obtenir l’emprunt permettant l’achat du tout nouveau et ultramoderne Ferguson TE20 .

Vous le connaissez sûrement par son nom : « Petit Gris ». C’est un « outil » qui a contribué au développement des campagnes. Il bénéficie surtout d’une invention révolutionnaire : un attelage hydraulique pour accrocher les outils.

Dans l’esprit du grand public ce tracteur marque un tournant esthétique. Fini les tracteurs aux formes cubiques. Les angles droit des « Fordson » et autres tracteurs de la marque « Star » ont fait place aux rondeurs du Ferguson.

De manière étrange, ce tracteur n’aura pas le même succès chez les fabricants de jouets. J’avance l’hypothèse selon laquelle c’est la couleur de ce dernier, gris, peu engageante pour un jouet, qui a conduit les fabricants a préférer les teintes vives, le rouge du Massey Harris, l’orange, du Field Marshall ou même le plus sobre bleu du Fordson.(voir l’article sur le Massey Harris).

Tekno, qui n’avait pas encore de tracteur à son catalogue a choisi ce petit Ferguson. Dans la même  logique, le fabricant danois choisira la couleur orange pour décorer sa miniature. Plus tard quelques exemplaires seront réalisés de couleur grise. C’est un grand classique. C’est surtout le coffret avec tous les accessoires qui provoque la convoitise. Tekno a su mettre en avant tout l’intérêt technique de ce tracteur et notamment son système hydraulique .

Un autre fabricant danois, Lion Molberg a offert en reproduction son descendant qui porte sur le capot l’inscription « Massey Ferguson ». En effet, en 1953 Ferguson s’associera à l’un de ses concurrents, Massey Harris pour créer Massey Ferguson. C’est un jouet splendide et une vraie rareté.

La vie des jouets étant tout sauf un long fleuve tranquille, le moule sera cédé en …Colombie. Chico Toys, l’heureux nouveau propriétaire de l’outillage sortira son modèle dans les années soixante-dix. C’est bien évidemment comme toutes les productions sud-américaines de l’époque une pièce rare, d’autant qu’une partie de la production a été injectée avec du zamac de médiocre qualité qui n’a pas bien résisté dans le temps.

J’en ai croisé deux dans ma vie et je les ai pieusement conservés.

Enfin le modèle produit par Micro Modèls, de couleur grise est tout simplement une rareté.Il est injecté en zamac. Dans les années 90 des copies en white metal furent réalisées .  Il est reproduit  au 1/32. On appréciera le commentaire sur la boîte: « Le tracteur le plus populaire au monde, utilisé quotidiennement dans plus de 76 pays » .

Je l’ai eu en 1986.  Je ne me souviens pas en avoir revu un autre neuf en boîte. Je l’avais acquis à Donnington, auprès d’un amateur venu en vacances  de Nouvelle-Zélande, voir sa famille restée dans la « vieille Europe ». J’ai revu cette personne 25 ans plus tard aux Etats-Unis lors d’une manifestation de jouets anciens et elle se souvenait de notre rencontre en Grande-Bretagne et de ce fameux tracteur.

Qui mettra en scène « La marcha  de triunfo » ?

Y avait-il des mélomanes à la direction de chez Massey Ferguson ? C’est la question que l’on peut se poser à la vue de la pochette de ce disque qui, dans une logique qui m’échappe, sera offert dans ses concessions.

La photo de la pochette ainsi que le titre laissent interrogateur : « La marcha de triunfo » en espagnol. On y voit en photo une parade de tracteurs et autres engins de la marque Massey Ferguson. Les fières postures des conducteurs sont également une interrogation.

Certes, ce sont des Massey Ferguson qu’ils ont entre les mains, mais de là à parader si fièrement ! On est loin de l’image du paysan partant aux champs.

Le titre du disque, « La marcha de triunfo  » semblerait plus indiqué pour un opéra ballet à la gloire du roi Louis XIV, composé par Lully. Les beaux habits de nos glorieux conducteurs pourraient presque nous transporter à Versailles.

Cependant en cherchant le nom et l’origine de l’orchestre on s’aperçoit qu’il s’agit en fait de morceaux d’accordéon, plus près du bal musette du samedi soir que de la galerie des glaces.

Et puis, observez bien. Aucune présence féminine sur la photo. Dans les années cinquante, pour vendre des tracteurs il fallait placer de solides paysans pour conforter l’acheteur sur l’aspect viril de l’engin. Aujourd’hui, aucune marque ne se risquerait à une telle photo. On sait combien, à la campagne comme ailleurs, le rôle de la femme a son importance.

C’est bien ce que Martha Graham mettait en scène dans son ballet : un jeune couple à la campagne, et la vie devant lui.

Restons sur cette belle image.

 

 

 

 

 

 

Coup de balai sur le projet 51

Coup de balai sur le projet 51

« Ces modèles me semblent improbables. Et encore, je suis modéré. »

C’est en ces termes qu’un collectionneur, amateur de Dinky Toys me parla des deux modèles Dinky Toys France que je vous présente ce jour. D’autres amateurs, plus tard, ont eu la même appréciation.

Pour être objectif, ces modèles ont tout ce qu’il faut pour déstabiliser les plus grands connaisseurs de la marque.

Vous avez bien sûr reconnu les deux modèles. Il s’agit de deux classiques de la firme de Bobigny.

Mais ce qui déroute l’amateur, en premier lieu, c’est l’échelle de reproduction. Les modèles sont reproduits à des échelles nettement inférieures à celle que Dinky Toys utilisa pour ses modèles de série. De plus, quelques détails diffèrent.

J’avoue que si je n’avais pas eu connaissance de certains éléments, j’aurais également été dubitatif et je n’aurais pas pu élucider le mystère. Mais une fois de plus, les plans découverts récemment m’ont éclairé sur ces modèles.(voir le blog consacré à une autre découverte faites grâce aux plans: le prototype de la Simca 8 sport)

Ils aident à mieux comprendre la gestation des Dinky Toys.

La première chose révélée par la lecture et l’étude de ces plans, c’est que pour un très grand nombre de ses modèles, Dinky Toys a souvent hésité entre deux échelles de reproduction. On comprend mieux l’intérêt des fameux modèles en bois.

Placés sur un plan de travail au milieu des autres modèles du catalogue ils aidaient les décisionnaires dans leurs choix. L’existence des deux Peugeot D3A au 1/43 et au 1/50 est un parfait exemple.

Ainsi dans un premier temps, dès 1956, le 1er  Février1956 pour être précis, la balayeuse a été programmée au 1/60 sous le numéro 51. J’ai quatre plans, datés de 1956 à 1959 : la gestation a été mouvementée. On voit nettement le marquage 51 sous le châssis. Et en 1958, une petite note en bas du plan 596 explique que ce nouveau projet reprend celui du numéro 51.

Ce modèle de série est en fait au 1/50 ! Le plan daté du 19/02/1959 le prouve.

Un oeil attentif découvre en outre des différences notables entre le modèle définitif et le projet 51 : les parties vitrées, la grille du capot moteur, l’absence de phare sur le dessus de la cabine et bien sûr l’absence de vitrage (nous sommes en 1956).

Vous l’avez reconnu, c’est bien le modèle « mystère », celui qui a suscité les commentaires. Il reprend au millimètre près les cotes établies sur le plan. Le travail sur ce modèle en métal (laiton très épais) est bien différent de celui mené sur un modèle en bois. Il est logiquement plus élaboré.

Pour des raisons qui m’échappent, Meccano a remis son ouvrage sur la planche à dessin. On peut se demander si LMV n’a pas modifié ou modernisé la production de sa balayeuse, obligeant Dinky Toys a revoir sa copie. Il est également possible qu’on ait dû adapter le modèle pour qu’il puisse recevoir un vitrage en plastique. Ce qui est sûr c’est qu’outre les modifications, Dinky Toys a opté pour une échelle de reproduction plus importante.

On note également des liens entre la firme LMV et Meccano. Les inscriptions sur le modèle retrouvé au bureau d’étude aux couleurs d’une LMV pour la ville de Florence le prouvent (prototype ivoire et bleu positionné sur sa boîte)

L’histoire ne s’arrête pas là. La grue Salev a connu le même sort. Là aussi les plans et leurs dates confirment cet état de fait (4/05/55).

En main, le premier projet semble assez frêle. Il est réalisé en métal, comme la balayeuse. On a du mal à imaginer cette petite grue soulever le container du Berliet.

C’est une piste pour essayer de comprendre le changement d’échelle subi par ce modèle.Comme la balayeuse, le modèle reprend au millimètre près les cotes des plans. Il est donc au 1/43e, comme indiqué sur ceux-ci. La grue de série, bien plus imposante, sera pour sa part au 1/38e

Je possède également la grue Salev, en bois, deuxième mouture (réduite au 1/38 environ). Elle a été conçue logiquement après l’arrêt du projet de la « petite Salev » vu plus haut. Elle a servi à la validation du projet qui passait obligatoirement par la création de ce type de modèle. Le plan avec annotations en langue anglaise et l’étiquette en papier « Salev crane » restent un mystère. Nos amis anglais ont-ils commandé ce projet au bureau français?

Ces atermoiements ont dû avoir un coût financier, d’autant qu’il s’agit de modèles qui n’ont pas connu le succès auprès du public.

On comprend ici toute la difficulté qu’avait la direction à faire des choix. Rien n’était laissé au hasard, quitte à y laisser du temps et de l’argent. A cette époque on pensait que le succès était à ce prix.

 

La vision des Appalaches selon Copland

La vision des Appalaches selon Copland

La vie est faite de hasards et de petits riens. Un mot, perdu au milieu d’une phrase, un simple mot et vous voilà parti ailleurs. C’est le titre d’une oeuvre qui a éveillé mon imagination.

Cela s’est produit en écoutant France Musique, en l’occurence la passionnante émission d’Anne-Charlotte Rémond, « Musicopolis ». L’émission du jour prenait pour sujet l’histoire d’une commande passée à Aaron Copland, compositeur américain, un des premiers à avoir été reconnu comme tel par la critique internationale.

le compositeur Aaron Copland
le compositeur Aaron Copland

Aaron Copland a fait ses classes de compositeur en France entre 1921 et 1924, auprès de la grande Nadia Boulanger.

L’œuvre en question est devenue une de ses compositions les plus célèbres : «Appalachian Spring». j’avais déjà entendu des extraits de cette suite pour orchestre et elle m’avait marqué.

Comment ne pas voir dans ce titre et à l’écoute de cette musique, les grands espaces, la nature, mais aussi les premiers habitants, les indiens. C’était en tout cas ma vision personnelle.

Peu de temps avant cette émission, j’avais acquis une miniature des plus singulières, et je n’ai pu m’empêcher de faire le rapprochement avec cette oeuvre.

C’est une des dernières pièces que j’ai acquises auprès de mon vénérable confrère Gilles Scherpereel. Il s’agit d’une torpédo (peut- être de la marque Mors) avec un indien au volant. M. Scherpereel m’a expliqué que ce modèle faisait partie d’un ensemble. Il connaissait également une version avec la figurine de Buffalo Bill. C’est une fabrication ancienne. En la voyant, vous allez sans doute penser qu’il s’agit d’une caricature.

Pourtant, Buffalo Bill a bien importé en Europe un spectacle dénommé « Wild West Show » qu’il avait rodé aux Etats-Unis. La première représentation eut lieu en 1889 année de l’exposition universelle. Il reviendra en 1905 pour une grande tournée dans toute la France. Il se mettait en scène avec des indiens et des centaines de figurants. A lire les commentaires de l’époque, le spectacle était haut en couleurs. Il était précédé d’une parade à cheval.

Il est fort possible que des automobiles aient été utilisées lors de cette cavalcade. Le fabricant de jouets, malheureusement inconnu, n’a pu avoir une imagination telle qu’il ait placé un sioux au volant. On imagine la surprise des passants dans les rues où défilait le cortège annonçant le spectacle.

Au moment de la diffusion de  l’émission d’Anne Charlotte Rémond, fruit du hasard, j’avais trouvé un article, que j’avais précieusement conservé ainsi qu’une photo faisant un lien parfait avec cette miniature. L’article portait sur une tribu d’indiens, les Osages, dont plusieurs dizaines de membres avaient été assassinés dans les années 20, provoquant une enquête fédérale et l’arrestation du commanditaire des meurtres, un important homme d’affaires local qui voulait faire main basse sur leurs biens..

A l’origine ces indiens occupaient un territoire dans l’actuel Kansas. Ils avaient été déplacés vers des terres situées  dans l’actuel Oklahoma, infertiles en surface, mais qui par la suite s’étaient révélées riches en pétrole .

Ces indiens avaient prospéré et vivaient, à en croire les colons blancs, comme « des rois du pétrole ».

Tootsietoys Ford T devant la pompe à essence
Tootsietoys Ford T devant la pompe à essence

La photo m’avait beaucoup plu. On voyait une Ford T conduite par un indien de la tribu avec une femme assise à l’arrière. Des légendes couraient pour discréditer cette tribu. On racontait que les Osages n‘hésitaient pas à changer d’auto lorsqu’un des pneus était crevé !

Fort de cette intrigante photo, je vais vous présenter quelques représentations de la Ford T, mythique automobile. Elle fut la première voiture a avoir été produite en grande série.(voir le blog consacré à l’arrivée de cette auto en Europe).

Tootsietoys Ford T
Tootsietoys Ford T

Pour faire mentir Henry Ford qui avait donné comme choix de couleur aux acheteurs le noir et …le noir, Tootsietoys a décliné sa miniature en de multiples couleurs. Une telle fantaisie n’est possible que dans le domaine du jouet.

 

Le petit coffret « Baby Ford and outfit » , sous-traité par Tootsietoys pour la firme H.F & Co est exceptionnel. C’est l’histoire qui est là sous vos yeux. Combien de coffrets sont parvenus jusqu’à nous et combien d’entre eux étaient complets avec tous les accessoires ? Ce sont sûrement des invendus de magasins.

En Grande-Bretagne, après avoir importé les Tootsietoys, Jo Hill Co les produira en série, sur place, à Londres. Datant d’avant la seconde guerre mondiale, elles sont tout de même très postérieures aux modèles fabriqués à Chicago. Les grandes roues monobloc peintes de couleur grise sont très reconnaissables. Ces modèles ne sont pas rares mais il est peu fréquents de les trouver en bel état de conservation.

SR, a également reproduit de manière convaincante cette auto. Est-ce l’importance historique du modèle qui a fait que cette firme française ait choisi de la livrer de couleur or ?

Bref, voilà comment j’avais établi un lien entre un morceau de musique et une miniature. Tout s’écroula lors de la diffusion de l’émission d’Anne-Charlotte Rémond. Voici donc le récit que la journaliste donna à l’antenne.

« Appalachian Spring » était une commande de la chorégraphe américaine Martha Graham. Cette dernière avait présenté l’argument suivant à Aaron Copland : une ferme, un jeune couple de fermiers américains, quelques habitants de la petite ville perdue, un pasteur.

Le compositeur se mit au travail et livra la partition. L’œuvre ne portait pas encore de nom. C’est Aaron Copland lui même qui livre l’explication aux auditeurs de la BBC. Quand Martha Graham donna à Aaron Copland le nom du ballet qu’elle avait choisi pour la partition celui-ci s’esclaffa « Oh ! Appalachian Spring, quel joli nom. Où l’avez-vous trouvé ? » Elle lui répondit qu’il s’agissait du titre d’un ouvrage de Hart Crane qu’elle venait de lire et qui l’avait marqué. Aucun lien donc avec les Appalaches.

Aaron Copland explique encore que le ballet eut un grand succès et que ses admirateurs  lui confiaient très souvent que lorsqu’ils écoutaient sa musique, ils voyaient les Appalaches ! Avec un humour au diapason il concluait que lui aussi désormais commençait à voir les Appalaches.

 

J’ai beaucoup aimé cette émission. Moi, j’y voyais des indiens, d’autres auditeurs y ont vu des montagnes.

Chacun livre sa version en fonction de son histoire, de son imagination, et de sa culture. L’important est que chacun y trouve une émotion.