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La loi du marché.

Episode. 5.   La loi du marché.

1958 est une année importante. La série 100 de chez Solido a été lancée il y a juste un an. Elle répond parfaitement à la demande qui a évolué depuis le début des années 50. Les clients veulent des reproductions de voitures de course ou de grand tourisme : monoplaces, cabriolets, coupés, bolides des 24 heures du Mans. C’est la vitesse qui fait rêver. Les berlines familiales ont perdu leur attrait.

La clientèle s’est élargie. En plus des enfants elle comprend désormais de jeunes adultes qui ont pour passion l’automobile.

Ces derniers souhaitent réunir un panorama de la production mondiale d’automobile en miniatures, et ils veulent rassembler les tout derniers bolides. Ils veulent également remonter le temps et aligner dans leurs vitrines les autos qui ont marqué l’histoire depuis le début de l’aventure automobile. Vaste programme.

C’est dans ce contexte qu’apparaît en France le club du CIAM sous l’impulsion de M. Geo-Ch Veran. Une révolution. Chaque année, au moment des fêtes de Pâques, le Club organise des expositions pour le grand public. Lors de la seconde exposition, le club publie le premier répertoire au monde recensant les miniatures automobiles par pays et par fabricant.

C’est à cette période que des industriels (Rami) ainsi que des artisans (Desormeaux) comprennent qu’il existe un marché pour les adultes collectionneurs. Le mot révolution n’est pas trop fort.

Pour illustrer cette période, j’ai choisi en huitième position de mon classement une RD Marmande car c’est à travers ces expositions du CIAM que Raymond Daffaure s’est fait connaître. Avec Desormeaux, c’est le début de l’artisanat français et même de l’artisanat mondial !

Ainsi, M. Dufour m’a raconté que c’est là qu’il avait découvert le produit et passé commande d’une Citroën 15cv présidentielle notamment. Raymond Daffaure proposait de créer les modèles à la demande. Au départ, Il proposait un catalogue, mais très vite, il a accepté des commandes particulières, quitte à les proposer ensuite à son réseau de clients qui a très vite grossi.

Les réalisations ont un côté artistique, elles ont la particularité d’être taillées dans du balsa. L’entreprise qui perdurera jusqu’à  son accident vasculaire e en 1978, a quelque chose d’utopique (Pour aller plus loin dans l’aventure RD Marmande, lisez le blog qui lui a été consacrée).

Puisqu’il faut choisir parmi les milliers de RD Marmande, j’ai privilégié une Panhard & Levassor 13,6L course de 1902 . Elle synthétise trois thèmes de la collection de miniatures qui me tiennent à coeur : c’est une auto française, de course, reproduisant un modèle du tout début de l’histoire automobile.

En neuvième position, je placerai la marque Safir Champion et sa Lola T70.

Le choix peut paraître surprenant. La première raison est l’association de deux matériaux : le plastique (carrosserie) et le zamac (châssis) permettant de donner de la consistance au jouet.

Je dis bien jouet. Le modèle est d’ailleurs équipé d’axes aiguilles, assurant un roulement parfait pour l’enfant et répondant ainsi aux standards de l’époque.

Mais le fabricant a également pris soin d’équiper ses jantes de pneus nylon, ce qui donne au modèle un aspect réaliste et permet au collectionneur de le mettre en bonne place dans sa vitrine. La seconde raison, c’est le positionnement de l’objet à la croisée des chemins : c’est encore un jouet mais déjà un objet de collection.

Le trait de génie de M. Juge est d’avoir été le premier au monde à décliner plusieurs versions sur une même base, six versions, toutes disponibles en même temps et déjà décorées lors de leur commercialisation.

Il a pu ainsi résoudre l’équation suivante : comment avoir un catalogue bien rempli quand on a peu de moules différents à sa disposition (lola T70, Porsche 917K, Porsche 917L et Ferrari 512M).

Un vrai tour de force. Chaque version réalisée est finie dans une couleur différente et réaliste . Ce concept de déclinaison de versions va faire école. Cela confirme l’importance du modèle dans l’histoire du modélisme français. Et pour preuve, Solido sera contrainte d’imiter Safir-Champion, en déclinant plusieurs versions de sa Porsche 917, et finira par comprendre l’intérêt de répondre à la demande des nouveaux clients : les collectionneurs. Petit à petit, la clientèle des enfants va être abandonnée.

Le dixième et dernier modèle de fabrication française dans mon panthéon est un modèle artisanal. Il a été produit par AMR.

Depuis le début des années soixante, à l’instar de ce qui se passe pour le modélisme ferroviaire, l’artisanat commence à s’intéresser à la reproduction de miniatures automobiles. L’arrivée des kits John Day est une première étape, mais il faut les monter, et les déceptions sont nombreuses. Les collectionneurs rêvent de ce type de produit qui serait vendu tout assemblé.

Evrat pour Modelisme sera le premier à offrir des modèles de grande qualité répondant à ces critères. Issus d’un moule, les modèles sont produits en résine, en petite quantité et sont réservés à un nombre réduit d’amateurs. La finition est supérieure à celle des RD Marmande, mais on devine que l’on peut aller bien plus loin.

Nous sommes en 1975. L’année précédente, la Porsche Carrera RSR turbo martini a failli créer la surprise au Mans. Elle termine à la seconde place mais c’est sa silhouette qui a marqué les amateurs.

L’auto préfigure ce que seront les autos du groupe V, du futur championnat silhouette de 1976 : des ailes larges, un aileron, un bouclier avant. L’auto ne peut laisser indifférent et elle ne laissera pas indifférent André-Marie Ruf. Il vient de quitter la Régie Renault, il est exigeant, doué. Il recherche la perfection. Il aime les autos qui ont des formes. La résine ne lui convient pas.

Il est attiré par le white metal, mais il trouve que les John Day et les FDS manquent de finesse, car trop chargées en plomb. Il s’alliera avec un fondeur français d’exception qui lui procurera des bases de grande qualité. La légende est lancée avec cette Porsche qui sera vite baptisée par les amateurs de miniatures la « 22 » du fait de son numéro de course. En 1975, vous faisiez partie ou non de ceux qui avaient la « 22 » .

L’homme sera toute sa vie durant à la recherche de la perfection, ne se contentant pas des acquis et allant toujours de l’avant. Il améliorera sans cesse ses produits, trouvant des innovations (décalques Cartograf, pièces chromées de qualité, pièces photodécoupées… )

Certains modèles, à juste titre, seront critiqués. André-Marie Ruf n’hésite pas quelquefois à interpréter les formes pour que le rendu à l’oeil soit plus agréable. Parfois l’échelle de reproduction est légèrement supérieure au 1/43. S’il a pu faire polémique, il a marqué son temps et ses modèles montés et ses kits sont une référence. Il a donné un côté luxueux à ses produits, notamment avec l’emballage et plus tard avec les plaquettes de présentation ou les coffrets.

Il vous appartient désormais d’établir votre classement. Il sera différent du mien, pour une simple raison, qui nous ramène au début de cette série de cinq épisodes. Nous collections tous de manière différente. Mais n’hésitez pas à envoyer vos classements avec vos commentaires surtout. 

« Tout ce qui brille n’est pas or ».

« Tout ce qui brille n’est pas or ».

Ne dit-on pas qu’il faut se méfier de l’ éclats trompeur du précieux métal ? Pourtant c’est bien d’or que le cigarettier Player’s habilla les monoplaces Lotus de Formule 1 : Gold Leaf (1968 à 1971) et J.P.S  (1972 à 1978).

Premier sponsor n’appartenant pas à la sphère automobile il sera suivi par Yardley (cosmétiques) avant que d’autres cigarettiers s’engouffrent dans la brèche.

L’intrusion de cet annonceur a modifié à tout jamais le sport automobile.

Peut-être aurait-il fallu se méfier de cette manne. Elle a rompu un équilibre fragile. A partir de cet évènement, les budgets vont augmenter chaque année, avec pour conséquence la mise en péril des écuries les moins fortunées. L’écart ne fera que se creuser.

Trouver un sponsor va bientôt être une activité à part entière pour chaque directeur d’équipe. Viendront ensuite les pilotes « payants », choisis davantage pour leur portefeuille bien garni que pour leur talent au volant.

Elles sont belles pourtant ces Lotus 72 aux couleurs J.P.S. Elles ont marqué les esprits et toute une génération.

Pour ma part, j’avais doté ma mobylette d’une décoration « J.P.S ». Malheusesement cela ne la fit pas avancer plus vite.

Il faut avouer que la Lotus 72 était déjà une très belle monoplace, avec ses formes en coin et ses radiateurs positionnés sur les flancs.

Avec l’écurie Tyrrell, Lotus va se partager les titres pilote entre 1968 et 1973. Les années paires à Lotus et les impaires à Tyrrell. Il en ressort un léger avantage pour Lotus qui remportera un titre constructeur de plus (En 1973, si le titre pilote revint à Jacky Stewart sur Tyrrell , celui récompensant la meilleur équipe reviendra à Lotus).

(voir le blog consacré à la Tyrrell 001)

La Lotus 72 apparue en 1970 aura une carrière exceptionnelle qui devait s’arrêter fin 1973. Pourtant, Colin Chapman, le directeur de l’écurie Lotus dut la « ressortir du garage » plusieurs fois tant ses remplaçantes n’arrivaient pas à la supplanter.

Une première fois en 1974 où la nouvelle Lotus 76 s’avéra moins compétitive que son aînée. Cette année-là, la Lotus 72 sortie du musée remporta trois Grand-Prix aux mains de Ronnie Peterson. Pas mal pour une retraitée.

On fit encore appel à elle en 1975 : ce fut l’année de trop. Les Lotus 72 furent cette fois totalement dépassées par les Ferrari 312T et les Mac Laren M23.

Je vais pourtant vous présenter une miniature, ou plutôt le projet d’une miniature qui n’a jamais vu le jour mais qui prouve combien cette Lotus 72 avait une place à part dans le coeur du public.

En 1977, c’est la Lotus 72 au 1/43 que choisit Safir Champion pour son éphémère série de Formule 1 apparue cette année- là !

Elle devait accompagner la Ferrari 312T, la Ligier JS5 et bien sûr les Tyrrell P34. C’est dire combien cette auto avait de l’importance pour la direction de Safir Champion. Soyons franc, sa livrée noir et or a fait beaucoup pour sa notoriété.

Il s’agit de l’empreinte d’enfonçage destinée à créer le moule. C’est donc au tout dernier moment que Safir Champion a décidé d’annuler ce projet.

C’est dans la cave de monsieur Juge que j’ai découvert cette empreinte qu’il m’a cédée plus tard. Elle trône sur mon bureau avec l’autre projet abandonné par Champion à la même époque, la Porsche 935.(voir le blog consacré à ce sujet)

Un musée en or.

C’est dans un musée que j’ai découvert l’autre modèle du jour. Cette « Lotus d’ or » fait partie d’un collage intitulé « tir à la raquette-séance galerie J.1961 ».

Je doute que son auteur, Niki de Saint Phalle, ait délibérément choisi une Lotus pour l’inclure dans son œuvre. Non, c’est l’idée de créer des œuvres avec des objets usuels qui l’a guidée.

Au milieu des années soixante, à l’instar de Martial Raysse, les artistes de « l’école de Nice» ont choisi d’incoporer dans leurs oeuvres des morceaux de vie de la « société moderne », notamment des jouets : baigneur, araignée en plastique, petits soldats.

Mamac Nice le journal
Mamac Nice le journal

Ils symbolisent notre société de consommation, sans en être la critique pour autant. L’artiste a ainsi placé quelques miniatures de la marque Clé ou Norev dans ses compositions. Ici, vous avez reconnu une Lotus 18, mais aussi une Peugeot 203 au 1/60 de chez Clé ou une Citroën 15cv de chez Norev.

Elles ont reçu, comme l’ensemble de l’œuvre, un voile de peinture or renvoyant ainsi aux objets de culte.

Cette œuvre est au Mamac à Nice. Reconnaissante envers la ville qui a symbolisé pour elle sa renaissance après une grave dépression, Niki de Saint Phalle fera une importante donation au musée. C’est le moment où,comme elle l’expliquera plus tard, plus sûre d’elle grâce à son compagnon Jean Tinguely, elle prit conscience de ses capacités artistiques.

Pour illustrer ce propos, je vous présente quelques autres versions de cette Lotus de chez Clé, moins fréquentes que le modèle de base  : celle distribuée en cadeau chez Familistère (Famy) et celle distribuée par Esso, dans son sachet plastique aux couleurs du pétrolier. La version chromée étant une version »luxe », moins courante du fabricant du Jura.

Pour celle de la composition, je vous invite à aller au Mamac de Nice où l’œuvre est exposée Il faut bien apprécier qu’elle soit offerte aux yeux de tous et non enfermée dans une collection privée.

«Tout ce qui brille n’est pas or», voilà bien une phrase à méditer..

 

Le taulier

Le taulier.

« Avec les cocos qui arrivent, moi je pars en Suisse ».

« Juge,  je vous donne les clefs et vous allez gérer la taule. J’ai laissé un petit matelas à la banque. Vous avez toute ma confiance. »

C’est en ces termes qu’en 1981 Jacques Greilsamer laissa à Jean-Paul Juge la gérance de Modélisme.

N’allons pas trop vite. Lors de l’épisode précédent (voir le blog « l’excellence française »), nous sommes en 1978 et Safir Champion doit fermer ses portes. C’est la fin des « miniatures jouets ». Jean- Paul Juge ne va pas  rester longtemps inactif.

Un tel personnage doit retrouver une fonction à la hauteur de son talent. Il a été repéré par M. Greilsamer qui vient juste d’abandonner le commerce de détail boulevard Sébastopol pour se lancer dans la fabrication (Eligor) et la distribution (importation des Brumm, Tekno NL… ).

En professionnel compétent, ce dernier a compris que le marché de la « miniature de collection » était non seulement viable mais, mieux, qu’il allait supplanter celui de la « miniature jouet ».

Peu d’industriels ont compris ce changement et je me souviens par exemple de M. De Vazeilles de chez Solido qui n’y croyait pas et jugeait ce marché marginal.

M. Juge va être recruté pour refaire avec Eligor ce qu’il avait fait pour Champion. Ce sera un succès. Mais quand la gauche arrive au pouvoir en 1981, M. Greilsamer prend peur et part en Suisse.

Pour gérer « la taule », qui d’autre pouvait -il choisir que M. Juge ?  Ce dernier sans trembler, et avec une poigne de fer gérera les affaires de la Segem, nouveau nom de la société.

L’importation

Comme aime à le raconter M. Juge, avec la marque Brumm, pas de contrat. Tout se passe par accord verbal et poignée de main. M. Tartaletti, patron de chez Brumm savait à qui il avait affaire avec M. Juge.

Les deux hommes étaient moulistes de formation, ils étaient du même sérail. Quand ils parlaient de miniatures, ils savaient de quoi ils parlaient. Il en était de même avec les Allemands Conrad et NZG. Un profond respect reliait tous ces hommes.

Ce que l’on sait moins est que Modelisme importa massivement les premiers kits en white metal de Grande- Bretagne. En bon commerçant, Modèlisme distribua aussi la colle, Cyanolit, pour les assembler.

 

Fabrication

Quand M. Greilsamer a récupéré l’outillage de chez Norev, c’est M. Juge qui a supervisé le volet technique. Il a fallu modifier l’emplacement des injecteurs car Norev et Surber n’utilisaient pas le même type de machine. L’opération sera longue et couteuse mais sera une grande réussite.

Eligor quelques modèles dont une peu fréquente Citroën 5cv "L'Automobiliste"
Eligor quelques modèles dont une peu fréquente Citroën 5cv « L’Automobiliste »

Comme Champion, Eligor choisira de multiplier les décorations. La demande était là, alors pourquoi se priver d’utiliser la « planche à décalcomanies » et les variantes de couleur ?

Ma première visite boulevard Sebastopol.

C’est à ce moment que j’ai rencontré M. Juge, en tant que jeune commerçant. Je venais d’ouvrir ma boutique en septembre 1984. J’avais été introduit par Jean-Marc Teissedre qui, lui, gérait la Boutique Auto Moto, et qui était un gros client de la Segem.

Malgré ce sésame, on n’en menait pas large quand on entrait dans cette institution. J’avoue avoir été dans mes petits souliers la première fois.

Il fallait montrer patte blanche, et le franc-parler de M. Juge en avait remis plus d’un en place. Il était respecté par toute la profession et tout filait droit dans cette boîte.

C’est là que j’avais aperçu sur son bureau la Porsche 935 au 1/43 et quelques autres prototypes de chez Champion jamais réalisés.

Quand 30 ans plus tard ce dernier me les a cédés, je sais qu’il n’a pas mesuré la fierté que j’avais eue à les récupérer. Ces pièces que je voyais sur son bureau sans oser en demander plus, je ne les ai pas mises en vitrine, mais sur mon bureau. Tous les jours, j’ai ainsi un petit souvenir de ces moments qui ont été si importants pour moi.

Lors de sa première année de compétition en 1976, cette Porsche 935 a connu de nombreuses modifications, capot avant et ailes arrières. Au milieu de la saison Porsche a en effet été obligé de revoir sa copie et de modifier son système de refroidissement moteur pour être conforme au règlement. Il en est résulté de profondes modifications de carrosserie. Encore une fois, c’est la « bonne version » que choisira Jean-Paul Juge. Elle ne verra malheureusement pas le jour pour les raisons évoquées dans le premier blog.(voir le blog « l’excellence française »)

Il m’a également cédé cette Lancia Stratos qui aurait sans doute été un gros succès tant il aurait pu multiplier les variantes.

Mais comme pour l’Alpine Renault A441 que je vous présente, Solido fut plus rapide et ces projets restèrent inachevés.

Il reste ces prototypes, magnifiques objets que je suis fier de posséder. Certain ont été conçus au 43 de la rue Cavendish !  (voir le blog le voisin du 43)

Ils marquent une époque extraordinaire.

Finalement, M. Greilsamer a vendu l’affaire. M. Juge avait fait son temps. Arrivistes argentés, les repreneurs ont réussi à couler la boîte en très peu de temps, n’accordant aucun crédit aux conseils d’un homme qui avait consacré sa vie aux miniatures automobiles.

Lorsqu’ il vient me rendre visite, c’est toute une partie de l’histoire du modèle réduit français qui débarque. Fabricant, importateur il aura tout connu de la grande époque. Longue vie à vous M. Juge et un très grand merci pour tout ce que vous nous avez offert.

PS: Bon courage monsieur Juge pour votre opération ce mardi 24 Septembre. Je penserai bien à vous. 

Vous pouvez retrouver toutes ces informations, sur l’excellent site www.supersafir.wifeo.com consacré à l’histoire de la marque « Safir Champion ».

L’excellence française

L’excellence française.

Aujourd’hui, tout homme politique d’envergure s’entoure d’un service de communication. On n’a rien inventé. Louis XIV avait déjà pensé à diffuser dans les cours princières d’Europe des estampes illustrant sa puissance.

Elles avaient pour thème des sujets assez variés : ses victoires militaires et les festivités qui en découlaient, mais aussi des représentations de pièces de Molière ou des feux d’artifice à Versailles. Très fier de sa collection d’art, le souverain n’hésitait pas à diffuser également des reproductions des oeuvres majeures de sa collection.

Ce travail de communication renforçait la grandeur de son règne. Versailles fut « le » modèle de toutes les grandes Cours d’Europe.

Pour cela, il avait fallu recruter des graveurs au talent exceptionnel. La France fournit de grands noms comme Gilles Rousselet, Israël Silvestre ou Jean Lepautre. D’autres vinrent de Grande-Bretagne ou des Pays-Bas .

C’est lors d’une somptueuse exposition au musée du Louvre que j’ai découvert l’univers des métiers de la gravure et toute l’importance qu’elle avait sous le règne de Louis XIV et au cours des siècles qui ont suivi.

Bien souvent la notoriété des oeuvres créées pour le Roi-soleil s’est étendue jusqu’au 19 ème siècle. C’est dire la qualité de la gravure et des estampes.

1/une rencontre décisive

En voyant cette exposition, je n’ai pu m’empêcher de penser à une personne qui habite le quartier de ma boutique, le 19ème arrondissement. Il s’agit de M. Jean-Paul Juge. En tant que graveur, il possède aussi des qualités artistiques indéniables. Sa technique, il l’a acquise à l’école des Arts et Métiers.

Après l’obtention de son diplôme, il a travaillé comme mouliste ( fabrication de moules métalliques). C’est à ce moment-là qu’il fait une rencontre décisive en la personne de M. Béqué. Ce dernier cherchait une machine à injecter afin de produire des modèles réduits d’ancêtres automobiles, dont il avait déjà les moules.

L’histoire est en marche. Le courant passe bien entre les deux hommes. Une confiance réciproque s’établit. M. Béqué propose à M. Juge de doubler son salaire. C’est un argument de poids, il le débauche.

Il sera donc chargé de la « fabrication ». Cette appellation regroupe les postes suivants : injection du zamac, du plastique, mais aussi peinture, montage, conditionnement, et expédition…Il ne fallait pas avoir les deux pieds dans le même sabot pour exercer cette fonction.
Ingénieux, débrouillard, M. Juge relève le défi. Sans tambour ni trompette, il va hisser cette petite firme à une place de tout premier ordre.

Si les Safir Champion n’ont pas la côte des Dinky Toys chez les collectionneurs aujourd’hui c’est simplement parce qu’elles ont connu un véritable succès commercial, et qu’elles ne sont pas rares. Les chiffres de production peuvent faire pâlir de jalousie les responsables de Meccano !

2/ Le premier qui…

Citons quelques innovations majeures dans la fabrication et le conditionnement des miniatures automobiles dont M. Juge est à l’origine.

Il fut le premier à livrer des miniatures en écrin plastique transparent. Il sera très vite imité par tous les autres fabricants .

Il fut également le premier à utiliser une base déclinée simultanément en plusieurs variantes. On comprend tout l’intérêt au niveau de la rentabilité ! Avec des moyens limités, Champion pouvait offrir un vrai catalogue riche de nombreuses versions, toutes plus attrayantes les unes que les autres.

Il fut aussi le premier à livrer des autos entièrement décorées en recourant à l’automatisation . Et quelles décorations ! On ne peut pas dire qu’il allait au plus simple. Il se rendait lui même sur les circuits pour prendre en photo les bolides qu’il allait reproduire ensuite.

Aux 24 Heures du Mans il était introduit auprès du personnel du pesage : « Et, Jean-Paul tu la veux comment la 917K Gulf ? Tu préfères qu’on la descende du pont ? « . Il faut le voir mimer la scène. Le personnel lui laissait toute liberté afin qu’il photographie tranquillement « ses » autos, celles qu’il allait sortir quelques mois après en miniature.

Je passe rapidement sur l’utilisation des axes aiguilles qui permirent à ses petits bolides d’avoir un roulement exceptionnel. Il avait travaillé avec un fabricant d’aiguilles à coudre pour que ce dernier lui adapte un modèle bouterollé.

On constate une polyvalence qui laisse admiratif.

Le résultat est des plus probants. Le succès est là. La série au 1/20 sera aussi une belle réussite. Le choix des modèles est excellent. Il m’a raconté qu’il était allé prendre lui-même les cotes de l’ Alpine Renault 1600S chez Rédélé.

Quand on voit le résultat final on se dit que notre homme a du talent. Surtout lorsqu’il explique que rien ne remplace l’oeil dans la traduction de la courbe d’un modèle et qu’il faut savoir interpréter les cotes : ce qui compte c’est l’aspect visuel du résultat. C’est un métier. C’est un art.

3/ « Elf « pour le meilleur et pour le pire.

Pour promouvoir ses produits, le pétrolier « Elf » décida de lancer une campagne publicitaire d’envergure. Fortement lié à la compétition automobile, l’entreprise se tourne naturellement vers Safir Champion afin que cette dernière lui fournisse des petites monoplaces au 1/64 qui seront offertes en prime aux clients.

Cette dernière décroche un mirifique contrat pour la fabrication de « Championnette en boîte Elf ». Il faut produire une importante quantité (un million et demi de miniatures!)  en trois mois.

Ce tour de force lui vaudra une prime promise par son patron en cas de réussite de l’opération. Elle lui permettra d’acheter comptant « sa » Citroën 2cv. Aujourd’hui il est très encore très fier de raconter cette anecdote.

Revers de la médaille, c’est Elf qui fera tomber Safir Champion. Ravi de la première commande, Elf passe une seconde commande encore plus importante. Pour la satisfaire, Safir Champion acquiert de nouveaux bâtiments.

Hélas, une nouvelle loi « interdisant la vente avec prime » (cadeau) entre en vigueur. Elf annule cette commande. Les terrains, les machines supplémentaires, tout l’investissement était fait. A l’époque on ne savait pas se prémunir contre ce genre d’imprévu.

M. Béqué ne se remettra pas de cette rupture unilatérale du contrat. Cela marque la fin de la première partie de la vie professionnelle de M. Juge. Celle de la  » miniature jouet ». Nous sommes en 1978. La suite au prochain épisode.