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Une union sans passion.

Une union sans passion.

En feuilletant les catalogues Solido du milieu des années soixante, peut- être avez-vous été étonnés de voir apparaître des miniatures provenant d’autres fabricants : des Tekno danoises, des Mebetoys et des Dugu italiennes et même des Lone Star anglaises.

Transposons cela dans l’univers automobile de la même époque : c’est comme si le catalogue publicitaire de la Peugeot 204 de 1966 consacrait deux pages à la Fiat 124 !

Impensable. A cette époque, les constructeurs européens n’avaient pas encore inventé les plates-formes et les motorisations communes. Une Peugeot était une Peugeot et une Fiat une Fiat. En 2020 la situation a changé à la suite du rapprochement de ces deux marques.

Comme bien d’autres secteurs industriels, les fabricants de jouets européens ont profité de la  création de la CEE (communauté économique européenne) en 1957, entre l’Allemagne de l’Ouest, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Italie et la France. L’union douanière et la politique économique commune ont facilité les rapprochements entre eux.

Les accords entre fabricants de jouets ont porté sur deux axes : la production mais surtout la distribution.

Certains fabricants ont donc mis à profit leur réseau de distribution national pour diffuser des produits étrangers. Ainsi, au lieu d’affronter de front la concurrence, cela leur a permis de mieux la gérer et surtout d’en tirer un substantiel profit financier. Ces alliances ont été à géométrie variable.

Dans le triangle formé par Tekno, Solido et Mebetoys, seuls Solido et Tekno ont pratiqué des accords de distribution dans les deux sens. Mebetoys n’importera pas les Tekno en Italie. C’est son concurrent, Mercury, qui le fera. Par contre Tekno profitera des liens tissés entre Solido, son partenaire, et Dalia, dans un accord portant sur le montage en Espagne de quelques miniatures danoises. (voir le blog consacré aux Tekno Dalia)

M. Juge m’a souvent parlé de sa fierté d’avoir distribué les Mercury en France.

En effet, Safir importera les miniatures de la marque italienne pendant quelques années. Il m’a raconté comment, lors d’une virée en Italie à l’occasion du salon du jouet avec M Becqué son patron, ils avaient réussi à signer quatre contrats d’importations : Mercury, Rio, Dugu et Togi. Rien que cela.

Un tour de force pour une firme qui en était encore à ses débuts. On mesure la reconnaissance et la confiance des Italiens envers la firme française. Pour l’occasion elle éditera des affichettes en français. Safir sera même à l’origine d’une série promotionnelle pour le vin Primior.

Ne cherchez pas ce vin parmi les grands crus, mais en échange des points collectés sur les bouteilles, le consommateur avait droit à une petite Mercury décorée d’ une étiquette portant le nom du breuvage et ornée de damiers noir et blanc, symbole de la course automobile.

Les firmes italiennes ont très rapidement compris l’intérêt économique, et ont su profiter de l’ouverture des frontières. Elles y ont vu une opportunité d’expansion. Les fabricants de jouets espagnols suivront cette voie peu de temps après.

Les firmes citées plus haut étaient complémentaires, leur association avait de l’allure. Ce ne fut pas le cas partout. L’association entre Märklin et Mercury fut assez déconcertante.

Reprenons l’histoire. Märklin est une des plus anciennes et sans aucun doute la plus renommée des firmes de jouets. Dans le monde entier, des collectionneurs lui vouent un véritable culte. La firme est née en 1859. Au début de son activité elle s’est concentrée sur le mobilier de poupée, puis rapidement elle s’est s’orientée vers les machines à vapeur et naturellement vers le modèlisme ferroviaire.

Ce sont pourtant des mécanismes à ressort qui équipent les premières motrices. L’histoire est en marche, d’innovation en innovation la firme devient la référence dans ce domaine. Märklin est synonyme de grande qualité. Elle pratique des tarifs élevés, sa production semble réservée à une certaine élite.

Photo originale de Jacques Greilsamer "la grande époque des Marklin"
Photo originale de Jacques Greilsamer « la grande époque des Marklin »

Au milieu des années trente, suivant en cela de très près Meccano avec ses Dinky Toys, la firme allemande offrira à sa clientèle une gamme de miniatures automobiles destinée à animer ses réseaux de chemin de fer à l’échelle « O ».

Une unité d’échelle de reproduction entre les véhicules ainsi qu’une très belle qualité d’exécution font de cette série un must, qu’après-guerre déjà, les collectionneurs s’acharneront à vouloir réunir. C’est l’acquisition d’une Auto Union type D de chez Märklin qui nous a fait entrer, mon père et moi dans le cercle des collectionneurs « avertis ».

La guerre va bien sûr interrompre cette série. Märklin revient à la production de miniatures automobiles dès 1949, avec une nouvelle gamme dominée par la reproduction de miniatures de marque allemande. Seul le premier modèle, une Buick Roadmaster, destinée on s’en doute à l’occupant américain fera exception. Ce sera une constante pour les fabricants de jouets allemands, Gama, Schuco, Märklin et Siku notamment, d’incorporer après-guerre quelques reproductions de voitures américaines.

A la lecture des catalogues, on comprend que les miniatures automobiles n’étaient pas la priorité de Märklin. Le développement après guerre du modélisme ferroviaire à l’écartement HO, qui correspond à l’échelle 1/87, va absorber une grande partie de l’énergie de Marklin. De ce fait, la vocation première des miniatures au 1/43, n’a plus lieu d’être.

Märklin continue cependant sa production mais sans la véritable volonté de développer une gamme de miniatures autonome et sans  liens avec le modèlisme ferroviaire, comme Meccano avec ses Dinky Toys.

La fabrication est certes de qualité, mais rustique. Les châssis sont vissés. la finition est manuelle : les argentures sont réalisées au pinceau. Si la gravure est exceptionnelle du fait de l’expérience acquise avec la reproduction des matériels de chemin de fer à l’échelle HO, les modèles ne brillent pas par l’innovation technique.

Quand vont apparaître les miniatures avec vitrages, suspensions et parties ouvrantes au début des années soixante, la firme de Göppingen ne pourra riposter aux attaques de la concurrence et devra changer d’orientation.

En 1959 sort la dernière miniature automobile au 1/43, la Mercedes 190SL.

A partir de là et sans beaucoup de conviction Märklin va se concentrer sur les miniatures de poids lourds, domaine dans lequel elle peut encore affronter la concurrence. Au début des années soixante la course aux gadgets a encore épargné ce secteur bien particulier.

Ce sera le Mercedes semi-remorque citerne en 1960, puis un beau Krupp ridelles (on appréciera la gravure exceptionnelle de la face avant), et, en 1964 le superbe Kaelble benne, un must et une référence pour les graveurs. Le catalogue est un concentré de beaux modèles, de beaux modèles qui datent : au milieu des années soixante, on y trouve encore la monoplace Mercedes W196 carénée de 1954 !

La direction de Märklin a pris conscience de la situation. Elle ne peut rester ainsi, à la traîne des autres fabricants de miniatures. Elle prépare son retour. J’avance l’idée que Märklin est allé chercher Mercury afin d’étoffer son catalogue, en attendant, que le bureau d’étude riposte avec une nouvelle gamme, prévue pour 1966-1967.

Les miniatures y seront équipées de vitrages, suspensions et parties ouvrantes : ce n’est qu’une mise à niveau par rapport à la concurrence. Le programme sera encore une fois axé sur la reproduction d’autos germaniques.

L’accord avec Mercury ne portera que sur l’importation en Allemagne de miniatures italiennes. Il ne concerne pas la distribution de produits Märklin en Italie. Märklin, avait déjà implanté son réseau il y a fort longtemps.

Cet accord avec la firme de Turin, est contemporain de celui signé avec Safir en France. N’en déplaise à certains, en 1964, Mercury est déjà sur le déclin.

Amusez-vous à comparer les portes des deux Fiat 2300S de Solido et de Mercury : celles de la Solido sont fines, bien gravées et joignent parfaitement lors de la fermeture. Celles de la Mercury sont épaisses et ferment mal. La miniature est certes très détaillée. Trop?

L’ensemble manque de finesse. Suivre Solido et Corgi Toys dans la course à l’innovation aura essoufflé plus d’un fabricant de jouets en Europe.

On est aussi bien loin de la finesse de gravure de Märklin. Comment le bureau d’étude de Göppingen appréciait-il ces miniatures italiennes ? Fermait-il les yeux sachant qu’il préparait la riposte avec des miniatures de qualité ? Entre Märklin et Mercury, c’est un mariage de raison mais la passion n’est pas là. Les mariés sont mal assortis.

Il est étrange de voir sur la couverture du catalogue Märklin la Mercedes 230SL Safari de Mercury ! Certes c’est une auto allemande, mais nous sommes loin des standards de qualité de chez Märklin. L’illustrateur a d’ailleurs fait un travail formidable. Il a su capter tout le charme de la miniature et gommer les aspects rustiques comme cette grille de protection en plastique chromé, assez grossière.

Toute la gamme Mercury du milieu des années soixante est présente dans ce catalogue au format inhabituel. Comment a réagi la clientèle allemande ? Les autos de course de chez Mercury, très populaires à cette période ont dû apporter un plus.

M. Juge me parle encore des grandes quantités de  Ferrari 250 LM qu’il a réussi à vendre aux détaillants français.

Il précise à juste titre : « Tu comprends, à cette époque, les Ferrari elles gagnaient partout ! Le nom faisait vendre.  » C’est une réalité que la firme italienne a dominé les courses d’endurance, pendant une petite décennie, comme plus tard Porsche le fera. Les autos de course Mercury ont de l’allure.

Märklin conservera jusqu’au bout de son aventure 1/43, en 1972, cette importation Mercury.

Les modèles post 68 de chez Mercury marqueront une nette décadence, difficile à expliquer. On a l’impression qu’un nouveau bureau d’étude est à l’origine de ces miniatures médiocres. Märklin traînera cette gamme comme un boulet. Désormais, dans ses catalogues, Märklin prend bien soin de séparer les deux gammes. Mais par rapport aux Märklin, le point positif des Mercury réside dans un prix de vente attractif. C’est peut-être la raison qui explique l’intérêt pour Märklin de diffuser cette série « premier prix ».

L’histoire se répétera. C’est encore une fois le modelisme ferroviaire qui aura raison des miniatures automobiles. Märklin s’apprête en 1973 à lancer une nouvelle gamme : Märklin Mini-Club (écartement Z, échelle du 1/220).

Cela marquera la fin de l’aventure des miniatures 1/43. Märklin ressortira, bien longtemps après, dans les années 90, des rééditions de quelques modèles au 1/43. D’abord une série de monoplaces issues des moules d’avant-guerre, puis des autos du milieu des années soixante-dix, sans intérêt car les modèles originaux sont courants.

Prochain blog le dimanche 1er Novembre.

Trois petits tours et puis s’en va …

Le salon Rétromobile a beaucoup évolué au fil des années. Il a perdu une partie de la magie et de la bonne humeur qui y régnaient. Pourtant, de temps en temps, il peut encore favoriser de belles rencontres.

Champion Lola T70
Champion Lola T70

La scène se passe au déballage, le mardi précédant l’ouverture au public. Au hasard des allées, je rencontre Jean Liatti. Je connais ce dernier depuis 1976, date à laquelle il est entré en qualité de maquettiste à la Boutique Auto Moto. A l’époque, pour convaincre les éventuels acheteurs de kits de modèles réduits, il fallait pouvoir présenter le produit fini. Grâce à son talent, Jean Liatti pouvait transformer un modeste kit John Day ou Mini racing en une superbe miniature dont chacun aurait aimé être propriétaire. Il formait avec son compère Jean-Claude Poussin un duo haut en couleur. La productivité n’était pas leur souci principal. Tant et si bien que les patrons de l’époque durent dissoudre le duo d’artistes. L’ami Jean créa sa marque, Nestor. C’est ainsi que ses amis l’avaient surnommé, trouvant quelque ressemblance entre sa silhouette et celle du valet de chambre du capitaine Haddock. Sa production porta sur les débuts de la marque Chaparral. Il livra ainsi aux connaisseurs de superbes miniatures fidèles et détaillées. La quantité produite était faible et la demande importante. Cela demeura du travail d’artiste. Ainsi, sa rencontre dans les allées me fit grand plaisir et je m’empressai de prendre de ses nouvelles.

C’est alors qu’une autre de mes connaissances fit son apparition. Il s’agissait de Francis Reste. Ancien journaliste auto à l’Equipe, ce dernier me fut présenté, il y a longtemps par Jean-Marc Teissedre, journaliste à Auto Hebdo, co-auteur chaque année du livre sur la dernière édition des 24 Heures du Mans, et, coïncidence, ancien patron de Jean Liatti. Outre son attachement pour la course automobile ce dernier, comme Francis Reste a une passion pour les poids lourds anciens et leur reproduction en miniature.

Après les présentations d’usage, la conversation dévia sur la Ferrari 330P4 qui venait juste d’arriver au salon Rétromobile et que Francis Reste s’apprêtait à aller voir. Chacun y allait de son anecdote savoureuse. Jean Liatti, en connaisseur, commença à énumérer les numéros de châssis des P4 fabriquées alors que Francis Reste et moi-même retracions la saison 1967 de cette auto.

Maquette en bois au 1/3
Maquette en bois au 1/3

Jean Liatti, déjà supporter de la marque Texane, s’était installé devant le stand de la Chaparral pour le départ. C’était sa première expérience de spectateur d’une course automobile, il avait 11 ans. Il en a d’abord gardé un souvenir sonore : le grand silence deux minutes avant le départ, quand le speaker de l’époque, Jean-Charles Laurens égrénait le compte à rebours, puis le bruit lourd du baisser de drapeau, immédiatement suivi du claquement des bottines des pilotes s’élançant sur l’asphalte vers leur auto. Enfin, le bruit assourdissant des moteurs. S’agissant du spectacle, notre ami mit plus d’une heure à comprendre comment regarder les bolides. A l’époque, il n’y avait pas le ralentisseur au début de la ligne droite des stands. Lancées dans cette ligne droite depuis Maison Blanche, les autos arrivaient à une telle vitesse qu’il était impossible de les fixer du regard. En fait, l’emplacement devant les stands permettait surtout d’admirer le départ et les arrêts au stand , qui sont assez rares juste après le départ. Francis Reste était lui aussi enfant. Pour qu’il puisse jouir confortablement du spectacle, son père l’avait installé sur un petit escabeau, près du restaurant « le Welcome », à l’intérieur de la courbe Dunlop. Le départ de la vrombissante Ford MK2 bleu pâle Nr57 suivie de la Ferrari 412P de Pedro Rodriguez parties en tête le déstabilisèrent et il tomba de son piédestal. Il est vrai que le départ de toute compétition automobile est un moment à part, et celui des 24 heures du Mans sûrement l’un des plus impressionnants.

Pour illustrer cette histoire, j’ai choisi une auto que mon ami Jean n’aura pas eu le loisir de voir passer correctement. En effet après trois tours, John Surtees rangera sur le bas-côté sa belle Lola T70 coupé, à moteur Aston Martin.

Cette maquette en bois au 1/3 est celle qui a servi, après avoir été réduite au pantographe, à réaliser le moule du modèle produit par Champion. C’est une pièce unique. Je reviendrai plus tard sur la marque Champion afin de vous présenter d’autres projets ou modèles ayant servi à la réalisation de ces miniatures qui connurent un immense succès commercial dans les années soixante-dix. M. Jean-Paul Juge qui gérait la conception et la fabrication des miniatures Champion fut un des pionniers sinon le pionnier de la déclinaison de variantes de livrées de voitures de course.

Admirez la petite vignette en haut à gauche. Il proposera 6 variantes exactes de ce beau coupé.