L’entrée dans le royaume de sa Gracieuse Majesté
« A mesure que l’on s ‘approche de la ville même, l’obscurité – ce fléau de Londres – s’épaissit de plus en plus ; l’on pénètre sous un véritable dôme de fumée (…) et l’on s’avance, à travers une quintuple avenue de navires, faisant une réalité de la poétique image qui nous montre, dans un grand port, une forêt de mâts. C’est par la Tamise, que l’étranger doit entrer à Londres pour la première fois. » Louis Enault.
Ces phrases étaient reproduites sur les murs de l’exposition du Petit Palais « les impressionnistes à Londres ». Cette exposition avait pour ambition d’évoquer les conséquences de la Commune de Paris sur la vie de quelques peintres français, contraints de s’exiler au Royaume-Uni pour des raisons politiques ou matérielles.
Par la magie d’une vidéo, nous nous retrouvions à bord d’un navire à vapeur effectuant une traversée agitée, histoire de restituer les conditions difficiles des voyageurs de cette époque.
Je connais bien le Channel. Avant que le tunnel ne soit construit, j’ai effectué de nombreuses traversées en Ferry. En hiver, elles peuvent être très agitées. Vues du bateau, les falaises de Douvres perdent parfois toute horizontalité au profit d’obliques plus ou moins inclinées.
Très intelligemment conçue, l’exposition nous amène logiquement, après la vidéo de la traversée, vers les quais de Londres. Ceux par où tout arrive, voyageurs bien sûr, mais aussi marchandises. On est impressionné par l’agitation qui règne. On comprend que Londres était le centre du monde. Les artistes ont été nombreux à croquer ces quais et à tenter de restituer leur agitation et leur ambiance parfois malfamée. Au vu du nombre d’oeuvres réalisées, ils semblent avoir été marqués par cette arrivée dans ce « nouveau monde ». Elle symbolisait pour eux la promesse d’une nouvelle vie.
Je n’ai pu m’empêcher de faire le rapprochement avec nos chers jouets. La Grande-Bretagne a longtemps été un pays qui compensait l’absence de fabricants de jouets par une importation massive, avant que n’émerge Meccano, bien sûr. Les soutes des navires devaient transporter des jouets importés majoritairement d’Allemagne mais également de France pour qu’enfin les grues les déchargent sur les quais de la Tamise,
Ce n’est pas un hasard si les petits jouets en tôle lithographiée, distribués par des vendeurs aux coins des rues ont pris le nom de « penny toy ». Ils étaient vendus un penny ! Les Allemands se sont fait une spécialité de ces beaux petits jouets.
Un siècle plus tard, leur simplicité et leur côté désuet dégagent un charme extraordinaire.
Comme il devait être bien difficile de vendre un camion militaire avec un soldat équipé d’un casque à pointe à Londres en 1920, les fabricants allemands n’ont pas hésité à produire des lithographies spécifiques, en langue anglaise bien sûr. Cela prouve l’importance du marché constitué par les rues de Londres. Les magnifiques bus à impériale ont logiquement séduit le public anglais. Fisher en a reproduit plusieurs exemplaires différents. Il adaptait ses matrices au marché britannique. C’est ainsi qu’il a réalisé une ambulance avec un marquage aux couleurs de l’hôpital de Londres.
Mon jouet préféré est ce superbe car réalisé par Kellerman (CKO) aux couleurs des « Midland Red Motor Services ». Vous avez bien sûr fait le rapprochement avec le Commer que réalisera Corgi Toys à ses débuts aux couleurs de cette même compagnie.
La camionnette postale aux couleurs de la « Royal Mail » provenant du même fabricant, est également des plus révélatrices. J’en profite pour présenter ce même véhicule, mais reproduit par une autre firme allemande, Erzgebirge.
Tootsietoys choisira une autre voie. Après avoir exporté directement, elle trouvera un accord avec la société Jo Hill Co. Les modèles issus de cette filière sont facilement reconnaissables au marquage « made in England » sous le châssis. Identiques à ceux produits aux USA, les coffrets sont également estampillés « made in England ».
Solido aussi exportera ses Majors du début de sa production en Grande-Bretagne, ainsi que le prouve ce splendide coffret en langue anglaise.
SR a également inondé Londres de ses petits modèles en plomb qui ont inspiré ensuite nombre de fabricants locaux avant de conquérir le monde.
On oublie facilement que SR a inspiré les premières Tootsietoys et également les premiers jouets japonais moulés en plomb.
Deux écoles de fabrication se sont donc opposées pour la reproduction d’automobiles à petite échelle. Londres a été le témoin privilégié de cette compétition. Les Allemands utilisaient la tôle lithographié tandis que les français moulaient en plomb. On sait ce qu’il en adviendra. Les techniques d’injection s’améliorant, le plomb, puis le zamac prendront le dessus. Il faut avouer que la technique permettait d’aller beaucoup plus loin dans la qualité et l’exactitude de la reproduction.
PS: le nouveau Pipelette (5) est disponible à la lecture sur la page d’accueil du site de l’Auto Jaune Paris. Bonne lecture.