Les voyages forment la jeunesse

Je garde de mon premier voyage en Suède un souvenir inoubliable. Deux superbes Geno Toys neuves en boîte trônaient sur la table d’un des participants de la bourse de Göteborg. Aujourd’hui encore, ces pièces susciteraient la convoitise de quelques collectionneurs connaisseurs. C’est dire avec quelle excitation le jeune collectionneur marchand que j’étais demandait au vendeur les prix de ces miniatures. Tranquillement, avec un petit sourire malicieux, ce dernier me répondit qu’elles n’étaient pas à vendre mais à échanger. On imagine la frustration du collectionneur en réalisant que l’argent ne pouvait pas tout acheter.

Geno Toys Volvo Model PV 444
Geno Toys Volvo Model PV 444

C’est ainsi que je fis la connaissance de M. Odvik de Stockholm. Ce dernier me dressa la liste des modèles qu’il souhaitait acquérir. Parmi cette liste figuraient des modèles que je possédais dans mon stock. Nous convînmes donc de nous revoir six mois plus tard et il promit de me garder les miniatures.
Six mois plus tard, au même endroit, toujours aussi tranquille, M. Odvik, me sortit les deux miniatures promises et nous fîmes nos affaires.

J’avoue que cette pratique était très peu fréquente à l’époque. L’argent régnait déjà dans les bourses d’échanges. Rares étaient les passionnés qui agissaient par voie d’échange. Pourtant, je me suis aperçu au fil de mes voyages en Scandinavie qu’en Suède, particulièrement, chez un noyau de passionnés, la pratique était de mise. Peu importe la valeur de l’échange, ces amateurs souhaitaient faire rentrer dans leur vitrine un modèle convoité plutôt que d’avoir quelques billets pour acquérir par eux-même l’objet. Cet épisode qui se répétera m’a beaucoup marqué. Pour deux raisons. La première est celle du respect de la parole donnée. Jamais un collectionneur suédois ne m’a fait faux bond dans ce genre de pratique. La seconde est la notion d’échange entre collectionneurs qui se respectent : au final, les deux parties sont ravies. La difficulté qu’il y a eu à trouver le modèle nécessaire à l’échange décuple le plaisir à l’heure de ranger en vitrine le modèle acquis. Il y a enfin des souvenirs qui resteront. En voici pour preuve cette histoire qui me sert à vous présenter cette série de Geno Toys.

Quelques années après j’ai eu la chance de rentrer d’autres couleurs. Mais voyez-vous, je n’ai plus le souvenir exact des conditions d’achat, alors que celles que j’ai échangées avec M. Odvik sont toujours présentes dans ma mémoire.
Pour la petite histoire, Geno Toys fabriquera une Volvo PV444 puis modifiera son moule (montant de pare-brise central supprimé) pour offrir une PV544. Selon mes amis suédois le prix élevé de ces jouets a freiné leur diffusion. L’outillage sera repris par Lenyko à Göteborg, sans plus de succès. La différence se situe au niveau du châssis qui est en simple tôle et sans inscriptions et au niveau des jantes qui sont désormais en plastique de couleur blanche. D’après mes renseignements, cette petite fabrication cessera au milieu des années soixante suite à un incendie.

À l’ouest du nouveau !

Si Nuremberg était considérée à juste titre comme la capitale de l’industrie du jouet allemand, aux États-Unis, c’est à Chicago que revient ce titre. C’est en effet à Chicago que l’on trouvait les entreprises Tootsietoys, Strombecker, Banthrico et National Products. C’est de cette dernière firme dont je vais vous parler aujourd’hui.

National Products Mobil
National Products Mobil

Je connais cette marque depuis longtemps, mais très rares sont les modèles qui ont franchi l’Atlantique. Il m’est arrivé d’en croiser en Allemagne. C’est vraisemblablement la présence des troupes américaines sur le sol allemand qui a favorisé cette intrusion : les soldats américains venus avec leur famille en Europe avaient des jouets dans leurs bagages.

J’ai véritablement découvert et apprécié les jouets de cette firme au cours de mes voyages aux Etats-Unis. Je me suis limité aux premières productions qui commencent au milieu des années trente. Comme je l’ai déjà indiqué dans un précédent blog, l’échelle de reproduction va évoluer au fil des ans. Au départ, ce sont des modèles au 1/40 environ ; après la guerre, l’échelle s’établit au 1/32 puis quand la fabrication est reprise par Banthrico elle se rapproche du 1/25 environ.

Contrairement aux deux autos russes, les modèles de National Products n’ont jamais été commercialisés par le biais du réseau des magasins de jouets. Ils n‘étaient distribués que dans le réseau commercial des garages automobiles. Aux Etats-Unis, Les amateurs qualifient ce type de collection « promos ». Les modèles ne sont pas vraiment faits pour jouer. Ce sont des reproductions qui se veulent les plus fidèles possible car elles font partie de la campagne de publicité du constructeur. A ce titre elles sont peintes dans les couleurs que le constructeur propose à ses clients. On imagine bien le père de famille qui vient de commander sa Dodge bleu marine et qui ramène fièrement à la maison la miniature de l’exacte couleur de celle que le garage doit lui livrer.

Le matériau retenu est le zamac. Il est évident que pour des raisons de coût la qualité de ce dernier laisse à désirer, surtout sur les premiers modèles. En Europe, à cette époque Dinky Toys ou Märklin n’offraient pas non plus à leurs clients un zamac de bonne qualité. Ce sont donc des modèles fragiles. Peu d’entre eux ont survécu.

Il est intéressant de placer ces miniatures face à une Pobieda par exemple. On reconnaît la source d’inspiration du bureau d’étude russe. Mais on pourrait faire de même avec beaucoup d’autos françaises d’après-guerre qui s’inspiraient généreusement des modèles américains.

Désormais, ce ne sont plus les constructeurs américains qui inspirent les constructeurs automobiles mondiaux. La roue a tourné. Il semble que les autos n’ont plus d’âme. Elles se copient, sans génie, dans la banalité générale. Par contre, elles possèdent désormais de nombreux gadgets, parfois très pratiques. Si l’industrie automobile américaine est mal en point, ce n’est pas non plus l’industrie automobile russe qui sert de modèle !

Dialogue impossible

Il est toujours intéressant de faire cohabiter des objets ayant un point commun. Les responsables de la scénographie des musées l’ont bien compris. Lors d’une visite au Louvre-Lens, j’ai été charmé par le choix des juxtapositions qui incitaient le visiteur à réfléchir. C’est ainsi qu’une toile de Boucher, « Le Nid », cohabitait avec un groupe en porcelaine de Meissen intitulé « le Baisemain » datant de la même époque. En cherchant les points communs entre ces deux œuvres si différentes, le visiteur comprend mieux ce qu’est une « scène »galante.

Gaz Pobieda M20
Gaz Pobieda M20

On peut aussi réunir des objets qui s’opposent. Ainsi, pour notre petite chronique hebdomadaire, j’ai souhaité rassembler des berlines des années cinquante issues des deux blocs idéologiques : celui de l’est et celui de l’ouest.
J’ai fait un saut dans le passé, à l’époque de la guerre froide, époque où justement le dialogue semblait bien difficile entre les deux superpuissances.

Dans un premier temps, voici deux productions venant tout droit de l’ex-URSS. Le matériau retenu est le plastique. Il faut avouer que les reproductions de ces deux autos sont succinctes et assez grossières. Il s’en dégage pourtant un charme évident. Cela est certainement dû au fait que ces deux jouets sont assez rares et notre regard surpris par ces formes. Le modèle de grande taille est une Gaz Pobieda M20. Pobieda signifie « victoire » et sa date de mise en circulation, 1945, n’est sûrement pas étrangère à son appellation !

Voulue par Staline et sortie en grandes pompes, elle essuya nombre de déboires techniques à tel point qu’il fallut interrompre sa production en 1948. Afin de tester sa robustesse, des exemplaires de cette voiture furent placés dans le désert kazakh, lors de la première explosion atomique russe le 29 août 1949 ! (source Bernard Vermeylen voitures des pays de l’Est ETAI). Elle est reproduite à une échelle proche du 1/41 environ. Je ne connais malheureusement pas le nom du fabricant. La conception de l’auto autorise à penser qu’elle faisait partie d’une série.

La seconde est une Gaz Volga M22. Cette auto est la remplaçante de la Pobieda. Son allure est fortement inspirée des autos américaines de l’époque. Sa production débutera en 1956. Le jouet présenté est d’ailleurs estampillé 1956 sur la plaque d’immatriculation arrière. Elle est réduite à une échelle proche du 1/43. Bien que je possède la boîte, il m’est également impossible de vous donner le nom du fabricant. La boîte fait penser à un modèle promotionnel. On admirera son graphisme. J’ai acquis cette auto il y a fort longtemps auprès d’un pionnier de la collection. Pour cet homme qui avait débuté sa collection à l’aube des années cinquante, on imagine combien elle avait de l’intérêt. Les miniatures du bloc de l’est ne circulaient quasiment pas sur le marché. De plus, leur aspect très rustique rebutait beaucoup d’amateurs. Plus tard, mais bien plus tard, les Novoexport, bien finies, attireront les amateurs occidentaux.
La semaine prochaine, je vous emmènerai de l’autre côté du mur à l’ouest, et même dans le grand-ouest.

De bonnes raisons d’espérer !

« C’était mieux avant » « Il y a une époque où le matériel débordait des tables » Voilà le genre de phrases que j’ai entendu à deux endroits différents : la semaine dernière aux Pays-Bas, à Utrecht et hier à Chicago. Mes interlocuteurs parlaient bien entendu de manifestations de jouets anciens. Mais leur discours peut sans doute s’appliquer à d’autres activités.

Tekno et Mecline
Tekno et Mecline

Il me semble qu’il y a 10 ans les gens tenaient déjà ce type de discours qu’eux-mêmes avaient entendu une décennie plus tôt. C’est peut-être une manière de se rassurer et de se dire qu’eux- mêmes ont eu la chance de connaître une précédente époque qui était formidable. En avaient-ils alors conscience ? Je vous laisse réfléchir sur ce point. Même si l’on constate des changements importants, je trouve pour ma part que l’époque actuelle est pleine de bonnes choses dans le domaine de la miniature.

La première est la baisse des prix ce qui est dû à la forte baisse du pouvoir d’achat des collectionneurs. La demande demeure forte : contrairement au discours de certains professionnels du secteur et de l’édition, le nombre de collectionneurs est en hausse. La seconde et la plus importante à mes yeux est que les collectionneurs sont devenus plus connaisseurs. Ils spécialisent davantage leur collection, et surtout la valeur monétaire d’un jouet n’est plus le critère d’achat. Il y a eu une époque où certaines personnes n’achetaient que dans un but spéculatif. C’était il y a vingt ans. Les belles années, dites vous ?

Ainsi, je trouve que les collectionneurs achètent mieux et plus intelligemment qu’il y a 20 ans. Autre critère très important pour moi, ils achètent les miniatures qui leur font plaisir et non les miniatures qu’il faut acheter afin de compléter une liste. J’ai connu des gens qui, collectionnant Dinky Toys, se croyaient obligés d’acheter toute la production. Il leur fallait tout avoir, du numéro un au dernier modèle hideux des années quatre-vingt, même s’ils reconnaissaient que ces modèles ne leur plaisaient pas du tout. Personnellement je ne suis jamais tombé dans cet excès.

J’affectionne particulièrement la firme Tekno, mais je ne suis pas tellement intéressé par les variantes de couleurs des modèles du milieu des années soixante. Je n’ai jamais acheté la machine-outil par exemple. J’ai tout de même fait quelques entorses. Ainsi, j’ai acquis il y a fort longtemps le modèle Miraco que Tekno avait fabriqué sous licence. Je ne suis pas sensible à ce type de jouet mais il était intéressant d’avoir un exemplaire de cette miniature résultant d’un accord entre Schuco et Tekno. La couleur du modèle et la présence de la boîte ont fini de me convaincre. Par contre je n’ai jamais cherché à en acquérir une autre. S’agissant d’un jouet rare, les prix demandés sont excessifs par rapport à l’intérêt que je porte à ce modèle. Près de trente ans se sont écoulés et l’année dernière à la bourse de Göteborg j’ai eu la surprise de trouver un dérivé de cette copie danoise. Une variante qui m’était inconnue jusque- là : une version norvégienne de chez Mecline. Tekno avait contourné l’embargo norvégien sur les jouets en installant sur place des filières de fabrication. La encore, la présence de l’emballage d’origine a fini de me convaincre. Un an plus tard, même endroit, je suis attiré par un étal ou trône une étrange boîte : une boîte qui m’est inconnue alors que le texte est en français. Il s’agit encore d’une fabrication sous licence d’un modèle Schuco réalisé par les jouets Richard. L’objet et la boîte sont neufs. La calandre est particulièrement réussie avec un personnage dessiné au centre de celle ci.

Et voilà comment naît une nouvelle branche dans une collection ! Des modèles auxquels je trouve peu de charme mais qui ont un lien avec la firme Tekno et sont rares. Chacun vit avec ses contradictions…

J’ai écrit ce petit texte pendant mon séjour à Chicago, la veille du début de la manifestation de jouets anciens. Tôt le matin, sur le parking, je rencontre un client de Montréal. Savez-vous quelle a été sa première phrase ? « Vous-vous rendez compte le changement en 20 ans ! C’était les beaux jours … » Je n’ai pas pu m’empêcher de rire et de lui résumer la teneur du petit texte que je venais de terminer.

L’instinct du chasseur

Je me souviens fort bien de l’instant où je me suis aperçu que ma vue avait commencé à faiblir. J’étais dans la banlieue de Stuttgart, et d’importants travaux m’avaient conduit à dévier de mon itinéraire initial. A l’époque je n’avais pas de GPS, et j’avais du plaisir à tracer ma route sur une carte en papier. Nous étions en décembre, il faisait nuit, et m’arrêtant sur le bord de la route afin de visualiser ma position, je me suis aperçu que ma vue mettait un certain temps à s’adapter à la lumière du plafonnier de l’auto.

Mercedes-Benz 180 Tekno
Mercedes-Benz 180 Tekno

Ce constat m’a contrarié. Dans l’exercice de ma profession, il est essentiel d’avoir le regard perçant afin de repérer sur un étal un objet sortant de l’ordinaire. Tel un chasseur traquant sa proie, le collectionneur doit affronter des tables couvertes de miniatures afin de dénicher « le » modèle. Dans les grandes manifestations comme les bourses de Birmingham ou de Chicago, dans les années 90, il était amusant de voir toutes les camionnettes, et même les camions chargés de jouets attendant l’ouverture des grilles. Trouver dans cet ensemble la pièce convoitée s’apparente à chercher une aiguille dans une botte de foin, mais avec une telle quantité de marchandises, il est très rare de ne pas trouver quelques bons modèles. Encore faut-il être au bon endroit au bon moment, avec la bonne personne. C’est là que réside la clef du succès. Il est souvent plus intéressant de repérer un vendeur que l’on apprécie pour la qualité de ses produits que de chiner au hasard des allées. Les belles pièces sortent rarement par hasard.

Lors de la dernière manifestation de Göteborg, justement, je me trouvais avec un marchand de Jönköping, une figure familière des manifestations nordiques. Son stand est le genre de stand où je vais m’arrêter afin d’examiner consciencieusement les modèles offerts à la vente. En bon professionnel, ce dernier avait classé sa marchandise par fabricant de miniatures. Pour celui qui veut vendre ses produits, il est déterminant d’aider l’éventuel acheteur par un classement rigoureux. Beaucoup l’oublient.

Alors que mon regard balayait son étal, j’ai remarqué une peu fréquente Mercedes 180 taxi de chez Tekno. C’est une miniature que j’affectionne et mes nombreux voyages en Scandinavie m’ont appris combien les versions taxi (Suède) étaient peu fréquentes et bien plus rares que la version taxa (Danemark). Bien sûr, la plus désirée est la version promotionnelle pour la compagnie Ring Billen. L’auto était neuve mais son prix ne permettait pas de l’acheter en vue d’une revente en boutique. Comme j’avais déjà cette couleur en collection, je passai mon tour. La bourse avait lieu sur deux jours et notre homme m’avait invité à repasser le lendemain afin de visualiser l’ensemble de ses modèles. C’est toujours plus facile pour un marchand de faire un prix pour un ensemble que pour un modèle. Le lendemain donc, mon choix se porte sur deux camions Tekno et un Volkswagen Kombi. Je voyais toujours du coin de l’œil cette belle Mercedes taxi sur le stand. Je calculai alors un prix pour les trois modèles et lui soumis mon offre. L’homme était vendeur. Du coup je repris en main la Mercedes taxi afin de l’inclure dans une nouvelle proposition englobant les quatre modèles. Et là, en la prenant en main je me suis aperçu d’un détail qui avait échappé à tout le monde, y compris à moi-même la veille. L’auto était équipée d’un aménagement intérieur, ce qui est très peu fréquent sur la Mercedes 180. Cela je l’avais déjà remarqué. Mais elle était équipée d’un volant installé à droite ! Il faut savoir que la Suède, pays à qui ce modèle était destiné ne passa à la conduite à gauche qu’en 1961. Le plus drôle, et les souvenirs me sont immédiatement revenus, c’est que mon ami avait acheté cette auto lors de la fameuse vente à Copenhague où j’acquis de nombreux prototypes. Elle faisait partie d’un lot de plusieurs modèles et personne n’avait remarqué ce détail. Il y a fort à parier que ce modèle est une présérie. Le bureau d’étude a volontairement souligné le volant afin que d’éventuels décideurs puissent mieux visualiser ce détail lors des réunions. Après avoir acheté le modèle j’ai montré à mon vendeur ce détail fort intéressant. Je l’ai finalement gardé pour ma collection. J’ai eu la confirmation de la provenance quelque temps après.