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Déménagement sur le Bosphore

Les miniatures Edil Toys avaient toutes les caractéristiques qu’on reconnaît aux productions de la capitale lombarde : luxueuses, élégantes, chic et d’avant-garde. A une finition irréprochable s’ajoutaient de belles peintures. Cependant, un choix de modèles peu inspiré et un coût de production assurément trop élevé conduisirent cette marque prometteuse à sa perte. N’oublions pas qu’au milieu des années soixante, la demande avait évolué. Il fallait proposer des autos de course, des prototypes, des voitures de rêve.

Edil Toys et Meboto
Edil Toys et Meboto

On ne sait pas dans quelles conditions l’industriel milanais céda son outillage à Meboto en Turquie. Une chose est sûre, l’industriel d’Istanbul essaya de produire des miniatures de la même qualité que la production milanaise d’origine. Il ne chercha pas à simplifier les moules. Or un transfert d’outillage n’est pas une mince affaire et il est souvent nécessaire d’adapter les moules au système d’injection en place dans la nouvelle usine.

A titre d’exemple, M. Juge qui avait supervisé le rachat des moules de Norev pour Eligor m’avait raconté qu’il avait fallu un long et coûteux travail d’adaptation pour que LBS qui sous-traitait la fabrication des Eligor puisse sortir les premiers modèles issus des moules Norev. Visiblement, ce travail d’adaptation ne fut pas réalisé en Turquie. Rapidement, la qualité déclina. Pire, les modèles commencèrent à sortir sans accessoires. La Ferrari 275GTB reçut ainsi une couche de peinture argent à la place de ses phares en plastique translucide d’origine. La Lancia Flavia perdit également ses strass. Puis le chromage des pare-chocs disparut. Quant à l’ajustement des parties ouvrantes, au fur et à mesure de la production, l’écart entre la caisse et les portes ne fit que croître. Ce fut un long déclin pour ces modèles produits sur la rive du Bosphore.

Les collectionneurs sont parfois imprévisibles. Les premières moutures, de belle qualité ont toujours été prisées. Désormais, malgré leur médiocre qualité, même les ultimes Meboto sont recherchées. Il faut dire qu’en Italie, elles sont l’équivalent de nos Dalia par rapport à nos Solido. Ces dernières ont également connu des envolées spectaculaires. Cependant, les modèles espagnols n’ont jamais été produits en deçà d’une certaine qualité, ce qui n’est pas le cas des Meboto tardives. Sur ces dernières, même le carton des boîtes est de piètre qualité. A ce sujet, il est intéressant de noter que Meboto n’a pas repris le schéma de couleurs des boîtes Edil, mais a adopté celui des étuis Dinky Toys en utilisant le rouge et le jaune et le dessin de la silhouette de l’auto. Toute la ressemblance avec Dinky Toys s’arrête là.

Les voyages forment la jeunesse

Je garde de mon premier voyage en Suède un souvenir inoubliable. Deux superbes Geno Toys neuves en boîte trônaient sur la table d’un des participants de la bourse de Göteborg. Aujourd’hui encore, ces pièces susciteraient la convoitise de quelques collectionneurs connaisseurs. C’est dire avec quelle excitation le jeune collectionneur marchand que j’étais demandait au vendeur les prix de ces miniatures. Tranquillement, avec un petit sourire malicieux, ce dernier me répondit qu’elles n’étaient pas à vendre mais à échanger. On imagine la frustration du collectionneur en réalisant que l’argent ne pouvait pas tout acheter.

Geno Toys Volvo Model PV 444
Geno Toys Volvo Model PV 444

C’est ainsi que je fis la connaissance de M. Odvik de Stockholm. Ce dernier me dressa la liste des modèles qu’il souhaitait acquérir. Parmi cette liste figuraient des modèles que je possédais dans mon stock. Nous convînmes donc de nous revoir six mois plus tard et il promit de me garder les miniatures.
Six mois plus tard, au même endroit, toujours aussi tranquille, M. Odvik, me sortit les deux miniatures promises et nous fîmes nos affaires.

J’avoue que cette pratique était très peu fréquente à l’époque. L’argent régnait déjà dans les bourses d’échanges. Rares étaient les passionnés qui agissaient par voie d’échange. Pourtant, je me suis aperçu au fil de mes voyages en Scandinavie qu’en Suède, particulièrement, chez un noyau de passionnés, la pratique était de mise. Peu importe la valeur de l’échange, ces amateurs souhaitaient faire rentrer dans leur vitrine un modèle convoité plutôt que d’avoir quelques billets pour acquérir par eux-même l’objet. Cet épisode qui se répétera m’a beaucoup marqué. Pour deux raisons. La première est celle du respect de la parole donnée. Jamais un collectionneur suédois ne m’a fait faux bond dans ce genre de pratique. La seconde est la notion d’échange entre collectionneurs qui se respectent : au final, les deux parties sont ravies. La difficulté qu’il y a eu à trouver le modèle nécessaire à l’échange décuple le plaisir à l’heure de ranger en vitrine le modèle acquis. Il y a enfin des souvenirs qui resteront. En voici pour preuve cette histoire qui me sert à vous présenter cette série de Geno Toys.

Quelques années après j’ai eu la chance de rentrer d’autres couleurs. Mais voyez-vous, je n’ai plus le souvenir exact des conditions d’achat, alors que celles que j’ai échangées avec M. Odvik sont toujours présentes dans ma mémoire.
Pour la petite histoire, Geno Toys fabriquera une Volvo PV444 puis modifiera son moule (montant de pare-brise central supprimé) pour offrir une PV544. Selon mes amis suédois le prix élevé de ces jouets a freiné leur diffusion. L’outillage sera repris par Lenyko à Göteborg, sans plus de succès. La différence se situe au niveau du châssis qui est en simple tôle et sans inscriptions et au niveau des jantes qui sont désormais en plastique de couleur blanche. D’après mes renseignements, cette petite fabrication cessera au milieu des années soixante suite à un incendie.

À l’ouest du nouveau !

Si Nuremberg était considérée à juste titre comme la capitale de l’industrie du jouet allemand, aux États-Unis, c’est à Chicago que revient ce titre. C’est en effet à Chicago que l’on trouvait les entreprises Tootsietoys, Strombecker, Banthrico et National Products. C’est de cette dernière firme dont je vais vous parler aujourd’hui.

National Products Mobil
National Products Mobil

Je connais cette marque depuis longtemps, mais très rares sont les modèles qui ont franchi l’Atlantique. Il m’est arrivé d’en croiser en Allemagne. C’est vraisemblablement la présence des troupes américaines sur le sol allemand qui a favorisé cette intrusion : les soldats américains venus avec leur famille en Europe avaient des jouets dans leurs bagages.

J’ai véritablement découvert et apprécié les jouets de cette firme au cours de mes voyages aux Etats-Unis. Je me suis limité aux premières productions qui commencent au milieu des années trente. Comme je l’ai déjà indiqué dans un précédent blog, l’échelle de reproduction va évoluer au fil des ans. Au départ, ce sont des modèles au 1/40 environ ; après la guerre, l’échelle s’établit au 1/32 puis quand la fabrication est reprise par Banthrico elle se rapproche du 1/25 environ.

Contrairement aux deux autos russes, les modèles de National Products n’ont jamais été commercialisés par le biais du réseau des magasins de jouets. Ils n‘étaient distribués que dans le réseau commercial des garages automobiles. Aux Etats-Unis, Les amateurs qualifient ce type de collection « promos ». Les modèles ne sont pas vraiment faits pour jouer. Ce sont des reproductions qui se veulent les plus fidèles possible car elles font partie de la campagne de publicité du constructeur. A ce titre elles sont peintes dans les couleurs que le constructeur propose à ses clients. On imagine bien le père de famille qui vient de commander sa Dodge bleu marine et qui ramène fièrement à la maison la miniature de l’exacte couleur de celle que le garage doit lui livrer.

Le matériau retenu est le zamac. Il est évident que pour des raisons de coût la qualité de ce dernier laisse à désirer, surtout sur les premiers modèles. En Europe, à cette époque Dinky Toys ou Märklin n’offraient pas non plus à leurs clients un zamac de bonne qualité. Ce sont donc des modèles fragiles. Peu d’entre eux ont survécu.

Il est intéressant de placer ces miniatures face à une Pobieda par exemple. On reconnaît la source d’inspiration du bureau d’étude russe. Mais on pourrait faire de même avec beaucoup d’autos françaises d’après-guerre qui s’inspiraient généreusement des modèles américains.

Désormais, ce ne sont plus les constructeurs américains qui inspirent les constructeurs automobiles mondiaux. La roue a tourné. Il semble que les autos n’ont plus d’âme. Elles se copient, sans génie, dans la banalité générale. Par contre, elles possèdent désormais de nombreux gadgets, parfois très pratiques. Si l’industrie automobile américaine est mal en point, ce n’est pas non plus l’industrie automobile russe qui sert de modèle !

Dialogue impossible

Il est toujours intéressant de faire cohabiter des objets ayant un point commun. Les responsables de la scénographie des musées l’ont bien compris. Lors d’une visite au Louvre-Lens, j’ai été charmé par le choix des juxtapositions qui incitaient le visiteur à réfléchir. C’est ainsi qu’une toile de Boucher, « Le Nid », cohabitait avec un groupe en porcelaine de Meissen intitulé « le Baisemain » datant de la même époque. En cherchant les points communs entre ces deux œuvres si différentes, le visiteur comprend mieux ce qu’est une « scène »galante.

Gaz Pobieda M20
Gaz Pobieda M20

On peut aussi réunir des objets qui s’opposent. Ainsi, pour notre petite chronique hebdomadaire, j’ai souhaité rassembler des berlines des années cinquante issues des deux blocs idéologiques : celui de l’est et celui de l’ouest.
J’ai fait un saut dans le passé, à l’époque de la guerre froide, époque où justement le dialogue semblait bien difficile entre les deux superpuissances.

Dans un premier temps, voici deux productions venant tout droit de l’ex-URSS. Le matériau retenu est le plastique. Il faut avouer que les reproductions de ces deux autos sont succinctes et assez grossières. Il s’en dégage pourtant un charme évident. Cela est certainement dû au fait que ces deux jouets sont assez rares et notre regard surpris par ces formes. Le modèle de grande taille est une Gaz Pobieda M20. Pobieda signifie « victoire » et sa date de mise en circulation, 1945, n’est sûrement pas étrangère à son appellation !

Voulue par Staline et sortie en grandes pompes, elle essuya nombre de déboires techniques à tel point qu’il fallut interrompre sa production en 1948. Afin de tester sa robustesse, des exemplaires de cette voiture furent placés dans le désert kazakh, lors de la première explosion atomique russe le 29 août 1949 ! (source Bernard Vermeylen voitures des pays de l’Est ETAI). Elle est reproduite à une échelle proche du 1/41 environ. Je ne connais malheureusement pas le nom du fabricant. La conception de l’auto autorise à penser qu’elle faisait partie d’une série.

La seconde est une Gaz Volga M22. Cette auto est la remplaçante de la Pobieda. Son allure est fortement inspirée des autos américaines de l’époque. Sa production débutera en 1956. Le jouet présenté est d’ailleurs estampillé 1956 sur la plaque d’immatriculation arrière. Elle est réduite à une échelle proche du 1/43. Bien que je possède la boîte, il m’est également impossible de vous donner le nom du fabricant. La boîte fait penser à un modèle promotionnel. On admirera son graphisme. J’ai acquis cette auto il y a fort longtemps auprès d’un pionnier de la collection. Pour cet homme qui avait débuté sa collection à l’aube des années cinquante, on imagine combien elle avait de l’intérêt. Les miniatures du bloc de l’est ne circulaient quasiment pas sur le marché. De plus, leur aspect très rustique rebutait beaucoup d’amateurs. Plus tard, mais bien plus tard, les Novoexport, bien finies, attireront les amateurs occidentaux.
La semaine prochaine, je vous emmènerai de l’autre côté du mur à l’ouest, et même dans le grand-ouest.

Dialogue de Buicks … suite

Les deux autres sont signées Wittrock. Elles sont en plastique. La plus grande, de couleur bordeaux est au 1/32 et la rouge au 1/38 environ. Les boîtes sont évocatrices. Celle de la plus petite est clairement destinée au marché américain « The New Dollar Dream ».

Buick chocolat Kemmel
Buick chocolat Kemmel

L’annotation n’appelle pas de commentaires. La finition est simple, voire simpliste par rapport à celle du grand modèle et montre clairement que le fabricant a dû tirer sur la qualité afin d’abaisser son coût de fabrication et d’être compétitif sur le marché américain. Bien qu’en plastique, celle de couleur bordeaux est peinte et bénéficie d’une finition au pochoir pour toutes les parties de couleur argent. Le résultat est superbe. Ces deux modèles peuvent cohabiter sans souci.

Voilà donc deux ensembles constitués. Les plus observateurs d’entre vous auront remarqué un étrange détail commun sur ces quatre miniatures. Outre le fait qu’elles sont censées reproduire une auto similaire, de millésime différent : toutes sont équipées de jantes siglées « W », pour Wittrock ! Il y a donc un lien entres ces productions. Il est possible que Stentorp qui ne travaillait que le zamac ait sous-traité chez son concurrent les jantes pour ses modèles. Mais les autres modèles Stentorp en ma possession (Lancia, Studebaker) ont des jantes en zamac.

Il y a donc sûrement eu un lien plus étroit entre ces firmes, d’où l’intérêt de les faire dialoguer entre elles ! On peut enfin s’interroger sur le besoin de reproduire la même auto, même si la Buick fut dans les années cinquante une référence esthétique.