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les souvenirs de collectionneur de Vincent Espinasse

Turnpike 76

Turnpike 76, c’est le nom de l’autoroute qui traverse la très étendue Pennsylvanie. Nous sommes à la fin du mois d’octobre. Les grands forêts tapissant les reliefs à l’ouest qui portent le nom de Blue Mountain ont des teintes automnales somptueuses. Le ruban de bitume serpente dans la nature sauvage.

Turnpike 76
Lindstrom tracteur semi remorque

Le trait violet représentant l’interstate apparaît à l’écran du GPS comme une fracture inopportune. Nulle autre route aux alentours. Plus tard, en poursuivant mon voyage je serai en mesure de saisir le contraste lors du contournement de New York. L’écran du GPS sera alors saturé de traits de couleurs différentes représentant l’enchevêtrement des routes qui s’enroulent, se coupent, se dédoublent. Ce sont des voies vétustes et surchargées en décalage avec l’image que l’on se fait de l’Amérique dans notre vieille Europe.

Je viens de Chicago où j’ai participé il y a 2 jours à la bourse d’échange de jouets anciens. Je me rends au nord de New-York où j’ai convenu d’un rendez-vous pour voir une collection. Je redescendrai ensuite vers la Pennsylvanie pour participer à une autre manifestation.

A Chicago, j’ai rencontré mon ami Steve Butler, celui-là même qui chaque mois offre une chronique dans la revue « Antique Toy World ». Il axe souvent ses chroniques sur les trouvailles qu’il vient d’effectuer et fait partager aux lecteurs son enthousiasme ou ses critiques.

Je vais cette semaine procéder comme lui. Voici donc mon carnet de route d’octobre 2013.

La peau douce.

Turnpike 76
Lindstrom tracteur semi remorque

Commençons par un emprunt à François Truffaut qui colle bien avec le premier modèle. Je l’ai déniché alors qu’il était emballé dans du papier bulle et bien caché dans une petite vitrine plate. A travers l’emballage, ses couleurs et sa forme m’ont intrigué. Il faut savoir que bien souvent, c’est la déception qui domine lors du déballage d’un objet masqué. Mais cette fois, au contraire ce fut une heureuse surprise.

Quel ensemble étonnant ! Je n’en avais encore jamais vu, pas même en photo. C’est bien là l’un des attraits de la collection. L’ensemble est composé d’un tracteur routier et d’une remorque attelée à deux essieux. Il préfigure les tracteurs semi-remorque. On rencontre ce genre de montage chez certains fabricants germaniques. Mais l’objet que j’ai sous les yeux est américain et issu de chez Lindstrom, petite firme singulière et éphémère.

Outre son montage original, ce jouet possède une décoration attrayante réalisée en tôle lithographiée. Le slogan attire également l’attention : « Préservez votre teint d’écolière« . Je ne sais si cela fut un argument de vente pour les miniatures Lindstrom mais ce le fut sans aucun doute pour les savons Palmolive !

Salé et poivré

Un des modèles les plus représentés en miniatures aux USA est sûrement le GMC Scenicruiser de la compagnie Greyhound. Il est aussi populaire aux USA que l’est le Routemaster à Londres. Il faut voir sur place, sur les tables dans les bourses de jouets le nombre incalculable de versions présentées. Le plus surprenant est l’amplitude des échelles de reproduction. J’ai vu des modèles qui étaient des maquettes destinées à des agences de voyage au 1/20ème. Outre qu’il faut de la place chez soi pour exposer ce type de maquette, il n’est pas imaginable de la ramener avec soi dans l’avion !

J’ai donc porté mon choix sur deux reproductions au 1/100 environ qui ont été produites au Japon. Elles font office de salière et de poivrière. D’après mon vendeur ces modèles étaient offerts à certains passagers lors de croisières au long cours.

Ersatz à Ibiza

Ersatz à Ibiza

Le moule de l’Aston Martin Solido connaîtra une brillante carrière à l’étranger. C’est notamment en Espagne, avec Dalia qu’il donnera naissance à de nombreuses versions.

Solido Dalia
le chassis regravé par Dalia

L’une d’elles mérite qu’on en conte l’histoire symbole de la débrouillardise ibériques, et du sens de l’improvisation. Afin de favoriser sa production locale et de limiter les importations, l’Espagne imposera des taxes douanières importantes aux fabricants de jouets étrangers. Pour contourner ces taxes, une chaine de fabrication de Dinky Toys voit le jour de l’autre côté des Pyrénées. Solido avait déjà établi de solides liens avec Dalia avant la dernière guerre mondiale et c’est en toute logique que la fabrication de la série 100 est délocalisée en Espagne. Dalia semble avoir eu une totale liberté sur le choix des versions qu’elle choisit de produire. C’est d’ailleurs là que réside, à mes yeux l’intérêt de cette série. C’est un dépaysement garanti que de voir des miniatures de la série 100 arborer des décorations « bomberos », « urgencias », « Ibéria » ou « telegrafos ».

L’Aston Martin DB5 va aussi connaître « sa » version spéciale. A cette époque, c’est à dire au début des années 60, Corgi Toys a lancé une série de miniatures reproduisant les autos de héros du cinéma (James Bond) ou de séries télévisés (Le Saint, Uncle…). Cette série aura un succès mondial et constituera un vecteur de développement pour la firme de Swansea. Si la législation relative au droit de reproduction n’était pas aussi développée qu’aujourd’hui, il est évident que les firmes anglo-saxonnes avaient déjà pris des précautions pour protéger leurs créations. Pour Dalia qui avait en mains le moule de la DB5, il devait être tentant de reproduire « son » interprétation de la célèbre auto de l’agent 007. Ne voulant pas provoquer frontalement les dirigeants de Corgi Toys, Dalia va contourner le problème. Continuer la lecture de Ersatz à Ibiza

La caravane et l’Aston Martin

La pérennité de la série 100 est à mettre à l’actif de Jean De Vazeilles. Lorsque le père de ce dernier avait créé Solido, il avait pour ambition de proposer des jouets démontables. Les reproductions d’automobiles tenaient alors une grande place dans les catalogues. Le coté ludique du jouet résidait dans la possibilité pour l’enfant de construire son propre modèle.

La caravane et l’Aston Martin
Face avant et arrière

Il avait à sa disposition un châssis, des capots, et des éléments de carrosserie variés. Il ne restait plus qu’à les assembler au gré de son imagination. L’enfant pouvait ainsi passer d’un coupé chauffeur à une pointe de course. Le passage à la série 100 n’a pas totalement supprimé cet esprit de jouet démontable. Mais il s’agit désormais de proposer des autos fidèles et ce critère impose de réaliser des châssis aux cotes de chaque auto : c’est la fin des châssis standardisés.

Jean de Vazeilles ne souhaita jamais se séparer de ce qui avait fait le premier succès de la marque : les autos démontables, transformables, ludiques. Il adapta le concept à ses nouvelles productions. Il choisit deux modèles de la série 100, la Ford Thunderbird et l’Alfa Romeo 2600 Bertone.

Le moule fut modifié de manière très simple. Du sertissage comme moyen de maintenir le châssis à la carrosserie, on passa au vissage grâce aux fameuses vis Solido qui n’avaient guère évolué depuis le début de l’histoire de la Solido. Deux tailles de coffret furent proposées : Caravaning 1 et Caravaning 2. L’enfant qui recevait le second coffret pouvait choisir d’assembler, à l’aide d’un châssis très simple qui avait été créé au milieu des années 50, la caravane ou la remorque pour véhiculer le hors-bord. L’enfant qui recevait le petit coffret ne pouvait accrocher à son Alfa Romeo que la caravane. Il est bien clair que l’intervention de l’imagination est désormais très cadrée. Plus tard, l’opération sera renouvelée avec des modèles du milieu des années 70, preuve qu’il y avait là un petit marché laissé vacant par les autres fabricants.

Vous allez me dire, mais quel rapport y a t-il avec notre Aston Martin DB5 ? Le voici. Solido a eu une grande carrière à l’international. Les moules ont voyagé en Espagne, en Argentine, au Brésil, et se sont parfois un peu détériorés. Ainsi notre Alfa Romeo 2600 a dû partir en Espagne alors qu’il y avait une livraison de coffrets Caravaning 1 à honorer.

La direction conclut bien vite que la seule auto présentant des caractéristiques similaires était l’Aston Martin DB5.

La caravane et l’Aston Martin
La caravane et l’Aston Martin

Il fallut juste modifier le châssis. Un pas de vis remplaça le sertissage pour permettre de fixer la carrosserie au châssis. Cette modification fut conservée jusqu’à la fin de production du modèle. Cette version, peinte d’un beau vert cru est toujours équipée de jantes en acier, ce qui en fait une exception pour une Aston Martin DB5 « made in France ». A contrario, l’Alfa Romeo 2600 partie en Espagne et vendue en étui individuel sera produite vissée !

Là aussi ce sera une exception. Au retour de l’outillage en France, l’Alfa Romeo réintégrera les coffrets caravaning jusqu’au milieu des années 70.

Des Siku à la sauce persane

Il ne fait aucun doute que Siku a vu dans cet accord commercial un moyen habile de rentabiliser ses moules. Mais le choix du pays partenaire est loin d’être le fruit du hasard. Les pays du proche orient du Moyen-Orient et du Maghreb ont toujours tissé des liens avec les différentes puissances occidentales.

Minicar
Minicar

Ainsi, l’Allemagne a profité des erreurs des Russes et des Anglais qui tenaient ce pays au début du siècle dernier. Les deux puissances se mirent à dos les populations iraniennes. Les Allemands ont pu dès les années 1920 envisager une coopération économique. Usines, chemin de fer, ports, les allemands ont participé activement au développement du pays. Ce n’est donc pas une surprise qu’une firme allemande de jouets ait eu des liens économiques dans les années soixante-dix avec ce grand pays qu’est l’Iran.

Revenons-en à nos modèles. Après toutes ces négociations, je touchais enfin au but. Bien qu’ayant vu les photos quelques mois auparavant, l’ouverture du carton contenant les précieux coffrets a été un vrai plaisir et m’a réservé quelques heureuses surprises.

En tant qu’amateur de jouets j’ai été frappé par la similitude de présentation avec les coffrets Matchbox de la période du milieu des années 60. Pour Minicar, fabricant iranien, le but était de s’inspirer de ce qui se faisait en Occident.

Les coffrets de l’ambassadeur
coffret dans le style Matchbox

Les intitulés des coffrets en langue anglaise (holidays series, Volkswagen series) confirment bien la volonté du fabricant d’établir une certaine confusion avec Matchbox. L’échelle de reproduction des miniatures conforte cette analyse. L’intention du fabricant était bien de donner à ces jouets une touche occidentale. Un autre détail m’a beaucoup intrigué : la présence, en bas des coffrets de la mention « A Mecano Product », avec un seul c à Meccano tout de même. Deux références à deux grands groupes anglo-saxons : les Iraniens n’étaient pas rancuniers !

Le style naïf des dessins qui mettent en scène les véhicules au milieu de paysages iraniens est plein de charme.

Le dessinateur s’est inspiré du style de ceux décorant les coffrets Matchbox, mais il les a revisités à la sauce iranienne y faisant figurer notamment les hautes montagnes qui sont partie prenante du paysage iranien. Nous sommes bien loin des paysages européens ou américanisés des illustrations des coffrets Matchbox.

Minicar
« Faites plaisir à vos enfants, achetez des Minicars ! »

L’autre face des coffrets, est tout aussi intéressante. Sur cette face, la nationalité du fabricant est clairement visible. Outre le drapeau iranien, le texte en farsi ne laisse aucun doute sur la nationalité du fabricant. Une illustration attire le regard. Dans le style vestimentaire de la fin des années soixante, une jeune femme, en pantalon et pull à manches courtes, fait mine de tendre à un bambin un coffret. Ce dernier doit se mettre sur la pointe des pieds pour essayer de l’attraper. On verrait plus ce genre de dessin pour une friandise. Le slogan, en farsi indique que les jouets Minicar rendent les enfants heureux. Plus loin le texte explique que les enfants qui jouent sont plus intelligents et en meilleure santé ! Voilà bien un argument qui a dû décupler les ventes des coffrets Minicar !

Un autre texte a attiré mon attention : « Achetez et offrez aux enfants que vous aimez ce coffret. Vous serez sûr de conquérir leur cœur et d’assurer leur divertissement » ou cet autre « demandez à votre revendeur les autres produits Minicar qui sont conçus pour divertir et promouvoir la pensée des enfants ». Je vous laisse méditer sur ces deux textes inhabituels sur des emballages de jouets occidentaux.

L’acquisition de ces coffrets a été une longue épopée. Vint alors la dernière étape, celle d’une demande de traduction des textes auprès de l’ambassade de la République islamique d’Iran.

Il a fallu être patient. Mais la réponse de l’ambassade marque la fin de l’aventure. Avec beaucoup d’émotion, j’ai découvert la traduction de tous ces textes. Je tiens à remercier chaleureusement la personne à l’ambassade qui a pris le temps de traduire ces quelques lignes.

Les coffrets de l’ambassadeur

« Allo, c’est bizarre, tu as reçu une lettre de l’ambassade de la République Islamiste d’Iran ». En prononçant ces quelques mots au téléphone, mon épouse ne savait pas qu’elle m’annonçait une bonne nouvelle et qu’elle me rendait encore plus impatient de rentrer à la maison. L’arrivée de cette lettre clôturait plusieurs années d’investigations.

Lettre de l'ambassade d'Iran
Lettre de l’ambassade d’Iran

Tout commence en Suisse, lors d’une manifestation à Berne. Mon regard est attiré par trois reproductions en plastique du Volkswagen Kombi : cela ressemble à du Siku, mais les couleurs acidulées des modèles conduisent à écarter cette hypothèse. Chez le fabricant allemand, cette version est répertoriée de couleur rouge et noire et rares sont les variations de teintes dans toute la gamme Siku. Le vendeur m’assure que je suis en présence de Minicar iraniens. Il n’a aucun doute, il les tient d’un ami qui les a ramenés d’un voyage en Iran. L’histoire aurait pu s’arrêter là.

C’est à Londres, deux ans plus tard que l’affaire rebondit. Mon interlocuteur, celui-là même qui m’avait vendu deux ans auparavant les trois Kombi se souvenait bien de mon intérêt pour la marchandise. Il m’annonce que la personne auprès de laquelle il a acquis les miniatures possède encore quelques exemplaires de Minicar. Comme je lui confirme mon intérêt pour ces modèles, il promet de les ramener.

Il faut juste attendre que ce dernier retourne en Suisse pour les récupérer. De longs mois passent encore et puis, lors d’une bourse dans la banlieue de Londres, il m’apporte un dossier avec de nombreuses photos. Un vrai choc : de quelques Minicar nous étions passés à plus de 120 modèles !

Et puis surtout, ces modèles étaient conditionnés dans de somptueux coffrets colorés, aux dimensions pour certains hors du commun. Ainsi le coffret composé des six camions Mercedes LP315 est tout bonnement exceptionnel.

Siku, qui est à l’origine de ces modèles n’a jamais dû envisager la création d’un tel coffret. Mon intermédiaire, car c’est bien de cela qu’il s’agit, me demande de faire une offre qu’il transmettra au propriétaire de l’ensemble, car ce dernier souhaite vendre l’intégralité du lot. Nous nous sommes mis d’accord sur la base d’un prix unitaire satisfaisant pour tout le monde. Six mois se sont encore écoulés avant que mon ami anglais profite d’un de ses voyages semestriels en Suisse pour me ramener les précieux coffrets. Nous verrons la semaine prochaine, la suite de cette aventure.