C’est béton !
La photo est troublante. Elle interroge. C’est le but d’une oeuvre d’art. Elle a été prise par Marc Riboud et s’intitule « High court, bâtiment conçu par Le Corbusier ».
L’homme au centre de la photo porte un turban et une barbe grise. Dans notre imagerie occidentale on associe cette représentation à celle d’un habitant de l’Inde. Cette tenue séculaire contraste avec la structure en béton, moderne, située derrière lui. Nous sommes en 1956.
Un rayon de soleil illumine en diagonale le bâtiment, rappelant le trait de lumière traversant la célèbre toile du Caravage, la vocation de Saint Mathieu. On pourrait interpréter celui de la photo comme une approbation céleste de l’architecte et du matériau.
L’homme est connu. Il s’agit de Charles-Edouard Jeanneret, plus connu sous le nom de Le Corbusier. Avec Oscar Niemeyer, ils ont marqué l’histoire de l’architecture moderne. L’utilisation comme « matière première » du béton caractérise leurs bâtiments et même leurs villes, Chandigarh pour le premier et Brasilia pour le second.
La reconstruction après la seconde guerre a fait la part belle à ce matériau. Le béton a longtemps véhiculé une image négative. Les premiers défenseurs de la nature s’inquiétaient de son omniprésence dans la ville au détriment des espaces verts.
Cinéastes, écrivains, chanteurs, tous ont, à travers leur travail alerté les citadins. Cette prise de conscience a pris de l’ampleur après les mouvements sociaux de la fin des années soixante. Ceux qui sont de ma génération ont été bercés par le disque de Maxime Le Forestier « Mon frère » et de sa chanson « Comme un arbre »:
Entre béton et bitume
Pour pousser je me débats
Mais mes branches volent bas
Si près des autos qui fument
Entre béton et bitume
Depuis l’arrivée d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris, les chantiers se sont multipliés. Aux quatre coins des rues, des blocs en béton censés délimiter les restrictions de chaussée ont surgi. Ils demeurent, ici et là, abandonnés, comme les jouets d’un enfant qui aurait oublié de ranger sa chambre.
Un de mes instituteurs disait « finissez d’abord ce que vous avez commencé avant d’entreprendre autre chose ». La leçon est oubliée, à Paris, le « temporaire » a fait place à du « définitif ».
Cependant, un affichage de la municipalité m’a fait réfléchir. La ville de Paris a en effet lancé une opération nommée « Rencontre inattendue ». Cela consiste à fondre dans la ville près de 80 oeuvres d’art dans les lieux du quotidien. Tout s’est éclairé : ces blocs de béton sont peut être à percevoir différemment.
Leur disposition, leurs tags, leurs formes contrariées, leurs brisures, leur saleté participent sans doute à ce que l’on nomme une « performance artistique ». D’ailleurs, rue de Rivoli, devant le musée du Louvre ils sont là, distants de quelques centaine de mètres chacun. Participent-ils au plaisir de la visite de ce lieu culturel ?
Même lorsqu’elle omniprésente il est bien difficile de s’habituer à la laideur.
Il faut être un artiste pour donner une âme au béton.
Et il faut avoir une âme d’enfant pour apprécier les reproductions de véhicules transportant ce matériau.
Dans la réalité, le camion toupie est associé à l’image des chantiers et des camions maculés de boue. Malgré ces clichés défavorables, les fabricants ont su rendre attractif ce type de jouet. Ils ont paré les toupies de couleurs chamarrées, donnant à ces accessoires des allures de fêtes foraines. Ils ont ajouté une fonction ludique en installant une crémaillère qui permet le basculement de la toupie.
Une fois encore, je me suis aperçu de ce que l’on devait aux fabricants de jouets danois, passés maitres dans ce type de jouet. (voir le blues de la police). Micro et Birk , les deux grandes firmes danoises d’avant-guerre ont mis à leur catalogue un camion toupie.
Birk s’est servi du châssis et de la calandre communs à tous les modèles de la gamme, et n’a créé que la carrosserie spécifique.
Quand à lui, Micro a créé de toute pièce un moule. Dans les deux cas les toupies ont été injectées séparément et ont reçu une peinture qui contraste avec celle de la carrosserie. Micro a poussé le luxe jusqu’à une finition bicolore du plus bel effet. Elles sont articulées, permettant à l’enfant de simuler leur vidange. Les deux fabricants ont pris soin de mouler une goulotte, l’accessoire permettant de canaliser le béton lors de la vidange de la toupie.
Après-guerre, Tekno et Vilmer proposeront de nombreuses déclinaisons de ce type de camions. On peut y voir une forme de surenchère entre ces deux firmes danoises.
Avec son beau Ford V8, Tekno ouvre le bal. Une manivelle permet à l’enfant d’orienter la toupie. Une innovation apparait sur ce jouet : la goulotte est orientable et amovible. C’est une réussite. Les couleurs choisies sont harmonieuses, joyeuses, loin des clichés liés au travail pénible et boueux des chantiers.
Il faut croire que ce type de véhicule rencontra le succès car Tekno, dans sa gamme de camions Dodge réduite au 1/60, déclinera également une version toupie malgré le coût de la création de cet accessoire. Du fait de sa dimension (hauteur), il ne pourra être placé dans le beau coffret de montage que Tekno distribua pour écouler une partie de sa production.
Vilmer, autre grand fabricant danois d’après-guerre, lui emboitera le pas avec son Chevrolet. Une déclinaison toupie sera créée, dans la veine du Tekno, dotée de caractéristiques similaires. Vilmer accentuera le côté ludique en affublant sa toupie d’une décalcomanie multicolore qui donne à l’objet une allure de toupie de parquet.
La première série sera équipée d’une direction que l’enfant actionnait depuis une roue de secours placée sur le pavillon. Plus tard Vilmer supprimera cet accessoire et dotera son jouet de suspensions.
Astucieusement, Vilmer a conçu un autre camion, un Bedford type S, sur lequel la toupie initialement conçue pour le Chevrolet s’adapte sans problème. Ce Bedford sera décliné en deux versions, châssis court (à essieu simple) ou long (double essieu).
A l’arrivée le collectionneur se retrouve avec une flotte de toupies pouvant constituer un thème à elle seule. Nous verrons dans le prochain épisode comment les nouvelles méthodes de transport du béton apparues au milieu des années cinquante, dans des cuves sphériques puis dans des bacs, ont donné l’occasion aux fabricants scandinaves de montrer leur savoir-faire en proposant des reproductions de ce type de camions.
Je dédicace ce blog à monsieur Herman Hirsch, fidèle lecteur germanique.