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Un autre regard

Un autre regard

Au coin d’une rue,  garée le long du trottoir, une 404. Elle est superbe. Nous avons quitté la capitale, et désormais l’action se situe en pleine campagne. Le contraste est saisissant. L’architecture baroque de la capitale et ses larges avenues à l’européenne sont bien loin. Les maisons sont modestes, les rues poussiéreuses. Une 504  de couleur ocre arrive à l’angle de la rue où la 404 est en planque. Détail singulier, elle est équipée de phares doubles.

Nous sommes en Argentine. Le film c’est « Dans ses yeux » de Juan José Campanella.  Film prenant,  qui une fois commencé vous hypnotise  jusqu’au bout. Il reçut l’oscar du meilleur film étranger à Hollywood en  2010.

La vue de ces autos  sur l’écran m’a instantanément fait plongé dans un autre film. Un film plus personnel. C’est la similitude  des lieux , le contraste de la capitale et de la pampa et bien sûr  la 404 qui m’ont plonger dans une autre histoire.  Un film dans le film en quelque sorte.

Il y a une vingtaine d’années, un fidèle client de la boutique s’en est allé faire un long voyage en Argentine. Plein d’espoir , il partit avec l’  objectif de trouver des miniatures. Le pays est grand. Très grand. Il me décrivit à son retour ce contraste entre la très grande ville et la campagne. En ville, il fit chou blanc. Rien. Comme le  héros du  film qui comprend que son enquête avancera à la campagne, il partit  donc dans la pampa. Il me raconta que dans un village isolé il repéra un petite échoppe, où en vitrine trônaient des Buby. Problème, la boutique était fermée, et rien n’indiquait qu’elle allait réouvrir. Persévérant, il interrogea  des gens dans le village. Au bout d’un moment , on trouva une personne qui avait les clefs et il put acheter plus d’une centaine de Buby, toutes des 1/60 , dont près de 80 Peugeot 404 !

Le film, « Dans ses yeux » se passe en 2009, mais une grande partie du film se déroule en flashback.  En 1975, pour être précis. De nombreuses autos qui  le jalonnent ont été produites par Buby.  La Peugeot 404 par qui ses souvenirs sont remontés à la surface a été reproduite au 1/60 par Buby. La miniature est réussie.  Comme pour toutes les versions de cette époque, la marque en a extrapolé une version « carrera » des plus parlantes. Pour l’occasion, Buby a découpé les ailes arrières.

La Peugeot 504, que l’on voit aussi dans le film, a eut les honneurs  à deux échelles  différentes, le 1/43 et le 1/60. Elles sont fidèlement reproduites. . Le très regretté Christian Moity, dans un article daté de mars 1971 dans la revue L’automobile déplora que Buby n’ait choisi la version équipée des doubles phares, comme celle que l’on voit dans le film d’ailleurs.Cet équipement  permettait de la différencier  au premier regard de la version européenne. Pourtant José Andrade en a depuis trouvé un exemplaire.

Une autre auto, qui nous est familière en Europe, apparait dans la dernière partie du film.   Le mari, dont la femme a été sauvagement assassinée, raconte à un magistrat qu’il a enlevé le meurtrier pour se venger. C’est dans la malle d’ une Fiat 1500 qu’il a placé le meurtrier avant de l’abattre le long d’une voie de chemin de fer. Buby nous a gratifié  d’une magnifique reproduction. L’échelle est comme souvent avec ce fabricant légèrement supérieure au 1/43. Pas de parties ouvrantes. Cela confère au jouet un aspect compact qui lui va bien.

Plus tard, Buby  proposera une extraordinaire version pick-up sur cette même base réservée au marché argentin. Je ne peux m’empêcher de vous la présenter.

Assurément, ce type de carrosserie , très populaire en Amérique du Sud  aurait été  plus commode, pour, dans le film,  transporter le corps de l’assassin !

Enfin, comment ne pas évoquer les fameux taxis de Buenos Aires ainsi que les autos de police. Elles jalonnent le film, bien sûr. Nous autres amateurs d’automobiles, nous guettons à chaque plan l’apparition de ces autos. Elles sont comme des marqueurs à notre propre collection.

Le catalogue Buby est révélateur de la culture automobile en Amérique du Sud.  Si toutes les miniatures ou presque ont trouvé un débouché en version  course, les versions police ont également eu un petit succès, et ce dès  le début. (voir le blog deux poupées dans la pampa).

Ford Fairlane, Chevrolet Impala, Ford Falcon ou Torino elles sont superbes.

Profitant d’un cycle sur le cinéma argentin sur la chaîne Arte, j’ai  donc guetté l’apparition de véhicules  représentatifs du paysage local.

Vivement un cycle de films provenant de Nouvelle-Zélande, d’Australie ou du Japon, afin de mettre des images  concrètes sur mes miniatures . Quel plaisir de voir une station service au Japon, une Holden Utility  en Nouvelle Zélande ou un taxi australien en plein Sidney.

Licence n° 27.III.E.238556

C’est dans un parc de stationnement souterrain du 19ème arrondissement que j’ai rendez-vous avec mon contact. En homme prévoyant, pressentant que l’endroit serait mal éclairé je me suis équipé d’une torche électrique. Mon rendez-vous me conduit dans un box où est entreposée la documentation que nous devons consulter. Il a branché une baladeuse afin de m’aider à mieux y voir.

Le bon de commande original Buby signé Jacques Greilsamer
Le bon de commande original Buby signé Jacques Greilsamer

Le meuble en acier contenant la documentation a été remisé dans l’angle droit au fond du box afin de prendre moins de place. Au fil du temps, d’autres objets sont venus s’empiler devant et l’accès au meuble est devenu difficile. Il faut s’accroupir et se contorsionner pour visiter l’intérieur des tiroirs. Les documents que je découvre au fil des dossiers me font oublier l’inconfort de la position.

Je suis en train de prendre connaissance d’une partie des archives personnelles de Jacques Greilsamer. Une vraie mine. Un des dossiers les plus intéressants concerne la firme Buby.

Il fut une époque où les gens gardaient la trace de tout. Quand Jean-Paul Juge a repris en main la gestion de Modélisme, il a eu soin de conserver tous les documents de son prédécesseur. Quand il a quitté l’entreprise, il a carrément emmené le meuble qui contenait les dossiers pour l’installer au fond de son box. Depuis, il a gardé tous ses secrets. Pour commencer, voici donc la correspondance entre M. Haroldo Mahler, le créateur de Buby et Jacques Greilsamer qui cherchait à importer ces miniatures pour sa boutique Modélisme dans le milieu des années soixante.

Buick Caballero ambulance
Buick Caballero ambulance

Connaisseur comme il l’était, nul doute sur le fait qu’il avait rapidement eu connaissance de la marque Buby. Mais passer du stade des échanges entre collectionneurs à celui d’importateur en nombre de ces miniatures, il y a un pas énorme. L’importateur qui se chargeait de toutes les démarches administratives avait alors l’exclusivité de la diffusion du produit pour une durée déterminée. Je me souviens très bien qu’au milieu des années soixante-dix, il était impossible de trouver en France des miniatures japonaises (Tomica, Eidai, Diapet…) alors qu’elles étaient abondantes chez nos voisins suisses ou belges. A l’époque, on m’avait expliqué qu’un accord global d’importation de produits manufacturés avait été signé avec le Japon dans le cadre d’une enveloppe globale. Evidement, les automobiles, les appareils photos et les téléviseurs se taillaient la part du lion dans cette enveloppe, tant et si bien que celle laissée aux jouets était ridicule voire inexistante. Je pense que nos amis japonais faisaient de même de leur côté bien évidemment. Ce petit exemple montre combien il était difficile de faire du commerce dans ces années-là.

Les lettres que j’ai retrouvées montrent combien Jacques Greilsamer avait mis un point d’honneur à importer ces miniatures. Cette firme argentine lui tenait visiblement à cœur et il lui fallut beaucoup d’obstination pour obtenir une licence d’importation. Un dernier détail m’a réjoui. Lors de la finalisation des commandes, dans un courrier daté du 23 mars 1971, Jacques Greilsamer, se félicite auprès de M. Mahler de l’opération et lui demande de lui faire parvenir par avion, quelques exemplaires, afin qu’il puisse en faire l’annonce dans son journal et préparer ainsi sa clientèle à l’arrivée de ces modèles exotiques. Les cinq cartons d’un poids total de 157Kgs arriveront au port du Havre le 26 octobre. Après le dédouanement, ils seront acheminés par camion pour être mis en vente en décembre 71. Après tant d’années d’effort, on se doute que leur arrivée boulevard Sébastopol fut un événement.

Pour illustrer cet épisode, voici la très belle série de Ford Fairlane et la Buick Caballero ambulance. La Ford figure encore sur les premières listes reçues par M. Greilsamer, du moins en version policia. Ce dernier ne la retient pas. Il faut dire qu’elle reproduit une version de la fin des années cinquante et que ce dernier est résolument tourné vers la reproduction d’autos modernes. Les premières séries sont dépourvues de vitrage transparent. Ce sont des carrosseries monobloc où le vitrage est figuré à l’aide de peinture de couleur argent. Par la suite, elles recevront des vitrages mais jamais d’aménagement intérieur.

On appréciera l’échelle à laquelle est reproduit ce modèle : il s’agit d’un vrai 1/43, contrairement à la plupart des fabrications européennes, ce qui a pour effet de proposer des autos généreuses. Ce sont des pièces rares.