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Mercury : béni des Dieux

Mercury : béni des Dieux

Un peu d’attention à notre patrimoine artistique, architectural ou culturel révèle combien notre société est redevable à la Grèce antique.

Mercury : rare version
Mercury : rare version

Nombre d’auteurs classiques ont puisé leur inspiration dans la tragédie grecque. Le théâtre et l’opéra ne cessent de nous raconter l’histoire de Phèdre, d’Alceste et d’Eurydice. Une bonne connaissance de la mythologie grecque est indispensable à la compréhension de l’histoire de l’art. Plus tard Rome reprendra à son compte la mythologie grecque et donnera des noms latins à ses divinités.

Les deux associés de Mercury, Attilio Clemente et Antonio Cravero devaient avoir une solide culture antique. Lorsqu’ils ont entrepris de diversifier l’activité de leur entreprise, c’est en l’honneur du dieu du commerce, Mercure, qu’ils ont nommé Mercury la branche jouets de leur entreprise.

La firme naquit donc sous de bons auspices. Au départ, elle se développe grâce au Comte Giansanti Coluzzi. Cependant, le marché italien peine à se remettre de la seconde guerre mondiale et n’est pas assez important. Les dirigeants qui sont conscients du potentiel de leur entreprise, vont tout faire pour favoriser l’exportation des produits Mercury. Après la conquête du marché suisse, qui a été une réussite, Mercury va s’attaquer à d’autres objectifs.

A-t-on bien consulté les oracles avant de s’engager ? Disons simplement qu’une analyse plus fine de la situation aurait permis d’éviter bien des écueils.

Tout commence en 1958. Une nouvelle gamme est lancée avec pour cible le marché nord-américain. Dans ce secteur saturé où la concurrence est rude, Mercury va faire preuve d’imagination. C’est avec une gamme d’engins de travaux publics qu’elle tente une percée. Mercury traite à des échelles très réduites, du 1/75 au 1/110 environ, ces engins aux dimensions impressionnantes. Elle s’affranchit ainsi des coûts de fabrication élevés qu’aurait engendrés une reproduction au 1/50. De plus, à cette époque, la mode est aux réseaux de chemin de fer HO avec lesquels, si l’on n’est pas trop pointilleux, ces engins sont plus ou moins compatibles. Les modèles reproduisent les engins qui figurent dans les catalogues des fabricants américains.

En Europe, où Mercury tente également de les distribuer, le succès n’est pas au rendez-vous. Par contre, aux Etats-Unis un dénommé Povitz approche les dirigeants de Mercury afin de les persuader de produire ces miniatures sur place à Plattsburgh (NY). On peut imaginer aisément les arguments en faveur de cette solution : moins de frais d’expédition et suppression des taxes d’importation. Le prix de revient et le prix de vente se trouvent tirés vers le bas. Mercury en pleine confiance acceptera cette offre. Ainsi à Plattsburgh (NY) une unité dénommée « Little Toy » voit le jour. Elle reprendra la production avec l’outillage provenant de Turin. Les modèles issus de cette unité reçoivent un emballage plus luxueux mais plus fragile, proche de ce que Dinky Toys fera pour le marché américain.

Ce que l’on sait moins, c’est que l’unité de production américaine va créer quelques modèles que l’on ne verra jamais en Europe. Je me souviens fort bien l’avoir fait découvrir à Paolo Rampini, pourtant fin connaisseur et possédant une grande culture sur l’histoire du jouet. Comme il doutait un peu de mes propos, j’ai dû lui prouver l’existence de ces jouets. C’est à cette occasion que j’ai découvert que le fabricant délocalisé aux USA avait fait graver sur les pneumatiques le nom Mercury. Ainsi, je vous présente ces quatre véhicules, tous des Chevrolet. L’échelle de reproduction se situe au 1/75 environ. Ils sont très peu fréquents, notamment le tracteur Chevrolet semi-remorque. On peut imaginer que la branche US envisageait une diversification de sa gamme. L’histoire se gâte quant le gérant, M. Povitz disparaît dans la nature sans avoir réglé à Mercury le prix du prêt de l’outillage. Mercury lance une action judiciaire et fait même intervenir le consulat. Sans succès.

Ce revers a eu de graves conséquences pour la firme turinoise. Mercure avait sans doute mieux à faire ailleurs. Sans oublier qu’il était aussi le Dieu des voleurs…

Merci Monsieur Le Comte Giansanti !

L’histoire tient souvent à peu de choses. Nous allons voir aujourd’hui comment sans la volonté d’un homme, le comte Giansanti de Lausanne, l’histoire de Mercury n’aurait jamais pris cette dimension.

Mercury
Berne : au fond les fameux taxis jaune et rouge

Remontons le temps jusqu’à la création de la Mercury. Nous sommes après la guerre. La Societa Esercizio, fonderie de Ms Attilio Clemente et Antonio Cravero produit des pièces détachées d’automobile pour les firmes Solex, Lancia et Fiat. Elle souhaite diversifier sa production. En effet, à la fin de la guerre, de nombreux contrats qu’avait cette usine d’injection de pièces en zamac ont été dénoncés. La diversification est la condition de la survie de l’entreprise. Deux voies sont choisies par les associés : les accessoires de cuisine et les jouets : c’est ainsi qu’est créée la Mercury. La dénomination est habile. Tout en gardant une sonorité italienne, elle nomme en anglais le dieu Mercure qui veille notamment sur le commerce. A partir de 1950, Mercury abandonne la branche des accessoires de cuisine pour se consacrer pleinement aux jouets.

C’est à ce moment que l’histoire bascule. En 1949, le comte Giansanti de Lausanne se rapproche de la Mercury. Il pressent pour la gamme naissante un avenir en Suisse. Il devient donc l’importateur.

Mercury
Mercury pour le marché suisse

Cet homme très actif propose sa marchandise à la fameuse chaîne de magasins suisses « Franz Carl Weber ». Comme il l’expliquera plus tard, il savait que la partie ne serait pas facile. Il fallut sans doute tout le charme du comte pour dérider l’austère M. Franz Carl Weber lors de leur rencontre à Zürich. Le comte dut être convaincant, car à sa grande surprise, le dirigeant passa une importante commande. Un peu pris de court, le comte Giansanti s’engagea personnellement et de manière un peu inconsidérée à ce que les magasins Weber soient livrés rapidement. Or il n’avait pas consulté l’usine. Quand il revint à Turin le précieux contrat en poche, ce fut la douche froide. Mercury avait ralenti sa production de jouets, accaparée par la production de pièces automobiles. Tout aussi regrettable, Mercury venait de livrer une importante quantité de jouets dans la région de Cunéo et n’avait plus de stock. Qu’a cela ne tienne, soucieux d’honorer sa parole, le comte Giansanti reprit le volant de sa voiture et s’en alla racheter la livraison. L’usine turinoise réussit tant bien que mal à fournir la partie complémentaire !

Cet incident amena les dirigeants de la fonderie à prendre conscience du potentiel de leurs automobiles miniatures. A partir de ce moment, on considéra l’activité comme sérieuse et susceptible de générer des bénéfices.

Il faut dire que la direction avait caché à ses clients de l’industrie automobile cette activité de fabrication de jouets de peur qu’elle ne donne une image négative de l’entreprise.

Pour illustrer ces propos, voici deux séries de Mercury qui ont été réalisées pour le marché suisse et distribuées en majeure partie chez Franz Carl Weber. Nous sommes au milieu des années soixante.

Mercury
Mercury : deux variantes de combinaison de couleur

Pour beaucoup de collectionneurs de Mercury, la Fiat 1100 dite « taxi de Berne » est le modèle le plus désirable. Elle a été produite en très petite quantité. La fabrication est quasiment artisanale. La production a dû être livrée en plusieurs fois, ce qui, au vu du texte précédent n’a rien d’extraordinaire ! En effet, deux calandres différentes ont été utilisées. Bien que Mercury n’ait jamais dénommé ce modèle « taxi de Berne », j’ai pu valider l’exactitude de la décoration à partir de photos prises à Berne et reproduites dans un ouvrage suisse relatif au code de la route.

Mercury
Mercury : VW PTT avec grand décalque

L’autre modèle est un grand classique du jouet. Tout fabricant ayant à son catalogue une Volkswagen 1200 a réalisé une version des postes suisses. Mercury n’échappe pas à la règle. Deux décalcomanies différentes existent, circonstance qui confirme que la production a été étalée sur plusieurs années. Pour les amateurs, signalons qu’il existe une nuance de jaune.

Nous verrons, que le comte Giansanti va aller encore plus loin dans sa relation avec Mercury. Je conseille vivement la lecture de l’excellent ouvrage « Mercury » de chez Edizioni Libreria Cortina Torino.