Nouvelle vague et vieille Simca
Elle apparait à l’écran vrombissante et se jouant de la circulation parisienne. On ne peut pas dire que son conducteur la ménage. Elle dérape. Il la mène à train d’enfer. D’ailleurs, à y regarder de plus près, elle porte les stigmates de cette conduite échevelée. Elle est présente tout au long du film, incontournable. On la voit slalomer dans des terrains vagues le long de la Marne, tourner en rond comme un animal en cage. Elle passe de l’un à l’autre des deux personnages masculins du film, deux petits voyous de faible envergure. Ils décident de monter un cambriolage chez la tante d’une jeune fille qui héberge cette dernière dont ils sont tous les deux amoureux .
« Elle » c’est la Simca Week-End et le film, c’est « Bande à part » de Jean-Luc Godard.
L’auto a vécu. La capote est perforée et ferme mal, comme celle d’une auto qui a fait son temps. En 1964, date de tournage du film, la Simca cabriolet Week-End est une auto démodée.(voir la bande original du film)
Cette voiture est sortie en 1954. Elle est à la croisée des chemins dans la production Simca. Elle se situe entre la Simca 8 cabriolet (1950) et l’Océane (1956).
Le choix du cinéaste Jean-Luc Godard pour cette auto est bien sûr assumé. La « Nouvelle Vague »dont il est l’un des moteurs, veut sortir du « cinéma de Papa ». Il prend le parti de placer ses protagonistes dans une auto à bout de souffle. C’est innovant. Le film est truffé de clins d’oeil. J’ai apprécié celui fait à Jacques Demy qui venait tout juste de présenter « Les parapluies de Cherbourg » : un café, un juke-box qui crache la musique du film et l’un des figurants qui arbore un costume de marin d’Etat, personnage récurrent dans les films de Jacques Demy. (voir le blog sur « Les parapluies de Cherbourg »).
Autre clin d’oeil du trublion du cinéma de la « nouvelle vague », le film se passe à Joinville, sur les quais. Juste en face se situent les fameux « studios de Joinville », symbole de l’ancienne génération du cinéma français. Avant la guerre, près de 40% des films étaient tournés à cet endroit. Marcel Carné et Jean Renoir y réalisèrent plusieurs chefs-d’oeuvre.
Les amateurs d’architecture, d’espaces urbains, de banlieues et d’automobiles des années soixante apprécieront ce que l’on appelle « le réalisme » de la Nouvelle Vague , cette façon de filmer la vraie vie là où elle se situe, dans les rues, les bars, le métro. Pour les amateurs de véhicules anciens ce témoignage visuel est un pur régal.
Les fabricants de miniatures des années cinquante ont été sensibles à cette gamme d’élégantes autos qui va de la Simca 8 à l’Océane en passant bien sûr par la « Week-End » choisie par Jean-Luc Godard.
La gamme eut plus de succès auprès des fabricants de jouets qui ont affiché l’auto dans leur catalogue qu’auprès de la clientèle visée par Henri Pigozzi.
Clé, Minialuxe, Solido, Norev ont inscrit une ou plusieurs reproductions de cette élégante auto, mais c’est Dinky Toys qui a ouvert le bal.
Dans le chapitre précédent relatif à la Simca 8, nous avons vu comment Dinky Toys a tâtonné dans le choix de la version à reproduire (voir le blog consacré à la gestation du projet de la Simca 8).
Finalement, elle sort en 1952. Les choses ont dû s’accélèrer, et la direction a tranché. C’est un modèle légèrement hybride qui est proposé aux jeunes amateurs. Le choix de la calandre du prototype en bois semblait plus réaliste, ceci n’est pas très grave car la version finalement validée par la direction est bien plus belle. Bobigny a fait des merveilles c’est une indéniable réussite. La façon dont Dinky Toys a traité le pare-brise va même inspirer Liverpool. (voir le blog sur l’Austin Atlantic) .
Je ne vais pas rentrer dans les détails, Jean-Michel Roulet l’a déjà fait. Il suffit d’ouvrir son livre. Retenons simplement la modification du pare-brise et son renforcement en 1957.
L’opération sera une réussite esthétique. On peut facilement comprendre que le moule commençait à se fatiguer, en raison des contraintes de fabrication.
La première version proposée au public est fort harmonieuse. Elle est de couleur noire et possède un intérieur et une capote repliée de couleur caramel. Elle possède une caractéristique propre à cette version. Le pare-chocs et la calandre sont peints séparément. Très vite, le pochoir sera modifié et toutes les versions postérieures recevront un voile de peinture recouvrant l’ensemble pare-chocs et calandre.
Peu de temps après, la teinte de l’intérieur évoluera, passant à un beige clair, très différent de la première version. Ce sont les deux versions issues du commerce les plus difficiles à se procurer.
On se doit ici de parler d’une micro série de modèles finis de couleur rouge avec intérieur ivoire. L’amateur de Dinky Toys aura tôt fait de comprendre qu’il s’agit en fait de la couleur inversée d’une des dernières versions de cette miniature (ivoire avec intérieur rouge). Je peux certifier que des exemplaires ont été distribués en commerce.
Il y a une trentaine d’années, le docteur Lasson de Valenciennes m’avait demandé si je connaissais cette couleur. je lui avais répondu par la négative. Il m’avait alors raconté que, collectionneur dès les années cinquante, il avait acquis cette miniature en commerce à Valenciennes. Quelques années plus tard, quand M. Chaudey me céda sa collection, je ne fus pas surpris de voir cette miniature dans cette couleur. M. Chaudey était dessinateur chez Meccano.
J’ai pu récupérer deux autres modèles auprès de Jean-Bernard Sartre, qui pour l’instant n’ont pas été répertoriés en d’autres exemplaires. Un de couleur rose, qui semble être un clin d’oeil à l’Austin Atlantic et un d’une très élégante couleur bleu marine.