Little red vans

L’expérience du collectionneur se forge au fil des ans. Elle résulte notamment des erreurs commises, qui, après analyse, permettent de progresser. En voici l’illustration.

Dinky Toys Brooke Bond Tea
Dinky Toys Brooke Bond Tea

La scène se passe à Genève au milieu des années 90. La bourse de Genève a déjà amorcé son déclin mais demeure encore à cette époque de bonne tenue. Sur sa table, entre autres modèles rares, un marchand propose à la vente une Renault Frégate « Chocolat Kemmel » et un Trojan « Brook Bond Tea » promotionnel. C’est le second exemplaire de ce modèle qui apparaît. Le premier a été vendu dans une vente aux enchères que je n’ai pas pu suivre en raison d’autres impératifs. Un collectionneur doit savoir trancher. Il a rarement les moyens de tout acheter. Je considère d’ailleurs ce choix comme un des plaisirs de la collection. Or, ce jour à Genève j’avais déjà bien entamé mon budget avec d’autres achats. Aux termes d’une appréciation qui se révéla erronée, je décidai d’attendre la fin de la manifestation pour aller faire une offre globale pour les deux modèles. Un collectionneur transalpin plus prompt à se décider emporta les deux modèles. Ce collectionneur avisé n’était autre que Paolo Rampini.

Quinze ans après ce samedi genevois, quand ce dernier m’annonça, qu’il vendait sa collection, le souvenir de ce fourgon m’est revenu à l’esprit et j’ai entrevu une seconde chance inespérée. Je me suis bien gardé de lui raconter l’histoire. Nous avons fait affaire sur un ensemble assez important. M. Rampini qui avait collectionné des miniatures de tous horizon, avait classé tous ces modèles. Un véritable travail de bénédictin. S’il manque des informations, je peux cependant affirmer que personne n’a jamais réalisé un travail aussi complet sur le sujet. Il n’est déjà pas facile de lister les modèle des grandes marques comme Dinky Toys, Solido ou Tekno, mais la tâche devient bien plus complexe pour les Tri-ang Minic de Nouvelle-Zélande ou les Politoys Mac Gregor mexicaines.
J’ai donc été très heureux de récupérer ce joli petit fourgon.

Ce qui est intéressant, c’est bien sûr le texte du message publicitaire apposé sur le pavillon et la boîte. Par cet objet, Brooke Bond Tea qui fut le commanditaire de cette série hors commerce voulait célébrer la longévité de son entreprise en soulignant que les « little red vans » (petit surnom donné à ces camionnettes) sillonnaient les routes anglaises depuis 1924. L’entreprise se glorifie également du nombre de camionnettes utilisées qui est évalué à 5700. Le vecteur choisi est original et révélateur de l’esprit anglo-saxon capable de transformer un objet commun en un objet culte. Cette miniature est rare. Je ne me rappelle pas en avoir vu d’autres.

Pour illustrer ces propos, j’ai également choisi de faire figurer deux autres véhicules promotionnels issus de Liverpool. Outre le fait qu’ils ont été produits hors commerce, ils ont comme point commun leur couleur : le rouge.

Le premier modèle est très connu. Il s’agit de la Morris Mini camionnette aux couleurs « Joseph Mason ». Elle pourrait être le pendant de notre « Baroclem ». Cependant, la sortie d’un lot important il y fort longtemps empêche cette auto peu fréquente d’atteindre la cote de notre Citroën. Elle a du charme et j’ai toujours beaucoup de plaisir à la regarder.

La troisième est disons le, très rare. Il s’agit d’une banale Vauxhall Victor aux couleurs du service technique de « Lightning Fasteners Ltd. » Cette firme fabriquait des fermetures à glissière pour l’industrie vestimentaire. La couleur est similaire à celle de la Morris décrite précédemment. Le message publicitaire est réalisé avec un autocollant en papier. On retrouve les inconvénients inhérents à ce type de support : avec le temps la colle donne à l’autocollant un aspect gras.

Déménagement sur le Bosphore

Les miniatures Edil Toys avaient toutes les caractéristiques qu’on reconnaît aux productions de la capitale lombarde : luxueuses, élégantes, chic et d’avant-garde. A une finition irréprochable s’ajoutaient de belles peintures. Cependant, un choix de modèles peu inspiré et un coût de production assurément trop élevé conduisirent cette marque prometteuse à sa perte. N’oublions pas qu’au milieu des années soixante, la demande avait évolué. Il fallait proposer des autos de course, des prototypes, des voitures de rêve.

Edil Toys et Meboto
Edil Toys et Meboto

On ne sait pas dans quelles conditions l’industriel milanais céda son outillage à Meboto en Turquie. Une chose est sûre, l’industriel d’Istanbul essaya de produire des miniatures de la même qualité que la production milanaise d’origine. Il ne chercha pas à simplifier les moules. Or un transfert d’outillage n’est pas une mince affaire et il est souvent nécessaire d’adapter les moules au système d’injection en place dans la nouvelle usine.

A titre d’exemple, M. Juge qui avait supervisé le rachat des moules de Norev pour Eligor m’avait raconté qu’il avait fallu un long et coûteux travail d’adaptation pour que LBS qui sous-traitait la fabrication des Eligor puisse sortir les premiers modèles issus des moules Norev. Visiblement, ce travail d’adaptation ne fut pas réalisé en Turquie. Rapidement, la qualité déclina. Pire, les modèles commencèrent à sortir sans accessoires. La Ferrari 275GTB reçut ainsi une couche de peinture argent à la place de ses phares en plastique translucide d’origine. La Lancia Flavia perdit également ses strass. Puis le chromage des pare-chocs disparut. Quant à l’ajustement des parties ouvrantes, au fur et à mesure de la production, l’écart entre la caisse et les portes ne fit que croître. Ce fut un long déclin pour ces modèles produits sur la rive du Bosphore.

Les collectionneurs sont parfois imprévisibles. Les premières moutures, de belle qualité ont toujours été prisées. Désormais, malgré leur médiocre qualité, même les ultimes Meboto sont recherchées. Il faut dire qu’en Italie, elles sont l’équivalent de nos Dalia par rapport à nos Solido. Ces dernières ont également connu des envolées spectaculaires. Cependant, les modèles espagnols n’ont jamais été produits en deçà d’une certaine qualité, ce qui n’est pas le cas des Meboto tardives. Sur ces dernières, même le carton des boîtes est de piètre qualité. A ce sujet, il est intéressant de noter que Meboto n’a pas repris le schéma de couleurs des boîtes Edil, mais a adopté celui des étuis Dinky Toys en utilisant le rouge et le jaune et le dessin de la silhouette de l’auto. Toute la ressemblance avec Dinky Toys s’arrête là.

L’étoile du pacha

C’est dans les galeries des musées, devant les représentations de la bataille navale de Lépante qui opposa la flotte ottomane à une coalition chrétienne composée de navires vénitiens, espagnols et pontificaux que j’ai réalisé la puissance de l’empire ottoman. Cette bataille faisait suite à la prise par les Turcs de Chypre et de ses comptoirs commerciaux à Venise. Il faut dire que la Méditerranée était soit sous le contrôle des Turcs, soit sous le contrôle de Venise. Tout l’essor de cette dernière reposait sur le commerce en méditerranée alors que les Turcs faisaient régner la terreur sur les mers.

Mercedes Meboto
Mercedes Meboto et ses nombreuses parties ouvrantes

Après la défaite de Lépante, la puissance de l’empire ottoman déclina. Plus tard, sous le règne de Joseph II, en Autriche, la Cour se passionna pour le mode de vie oriental. Le faste et le mystère des harems la faisaient fantasmer. Mozart composa alors « l’enlèvement au sérail » son premier opéra en langue allemande, commandé par Joseph II empereur mélomane. Dans les lettres adressées à son père, il évoque son travail et sa joie de composer des « turqueries ». Il dirigea lui-même la première représentation devant la Cour. A la fin de celle-ci, l’empereur aurait eu cette phrase célèbre (sans doute apocryphe), reprise par Milos Forman dans son film « Amadeus » : « Mozart, c’est trop beau pour nos oreilles. Il y a trop de notes ! ».

Encore un peu plus tard, en 1971, à Istanbul sur les rives du Bosphore, cette même phrase aurait pu être détournée par les grossistes en jouets de la capitale turque pour s’adresser au patron de Meboto : « Vos miniature sont trop belles et trop fragiles pour nos gamins. Il y a trop de parties ouvrantes ! ». Meboto venait en effet de reprendre une partie de l’outillage de la firme italienne Edil Toys. Cette dernière s’était fait remarquer en 1965, lors de sa création en proposant des miniatures très détaillées et très soignées. Elles possédaient tous les ouvrants, même les berlines. Pour l’époque, il s’agissait d’une prouesse, d’autant plus que l’ensemble était ajusté de manière parfaite.

La firme arrêta sa production en 1969. L’Opel Commodore programmée ne sortira jamais. Aujourd’hui encore, des collectionneurs pensent que la Mercedes n’a pas eu le temps de sortir de l’usine milanaise et que Meboto a récupéré l’outillage de cette Mercedes vierge. Plusieurs éléments peuvent expliquer cette méprise. Les versions turques portent encore sur le châssis le logo Edil. Cependant, sur les versions produites à Istanbul la mention « made in Italy » a été surchargée. Les boîtes et les teintes choisies sont quant à elles sans rapport avec les fabrications milanaises.

Toutefois, nous pouvons affirmer qu’Edil Toys, avant sa fermeture a bien eu le temps de produite la Mercedes 250SE. Le châssis de cette dernière est bien estampillé « made in Italy » et les couleurs retenues sont empruntées à la gamme Edil Toys traditionnelle : bleu métallisé et anthracite. La boîte du modèle enlève enfin les derniers doutes. Il y a bien eu une production milanaise. Elle est particulièrement rare.