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Vanité

Vanité.

Les publicités placardées sur le kiosque à journaux du rond-point de la place Gambetta, située sur mon trajet quotidien à vélo sont souvent source d’inspiration.

Aujourd’hui, c’est « la Gazette de Drouot », journal dédié aux ventes aux enchères qui a retenu mon attention. « Si à 50 ans t’as pas une horloge du 18 ème t’as raté ta vie ». En cela elle paraphrase Jacques Séguéla et sa malencontreuse déclaration de 2009 :  » Si à 50 ans on n’a pas de Rolex, on a raté sa vie ».

si à 50 ans t'as pas une horlogr du 18 ème t'as raté ta vie" Gazette de Drouot
si à 50 ans t’as pas une horlogr du 18 ème t’as raté ta vie » Gazette de Drouot

Dans ces années-là, en France, un courant politique libéral, incarné par le Président de la République Nicolas Sarkozy, tente d’imposer un modèle venant d’outre-Atlantique. Il s’agit de « décomplexer l’argent ». Il est de bon ton d’afficher sa réussite. La montre de luxe en est le symbole.

La phrase de Jacques Séguéla est révélatrice de la période. Elle a provoqué un raz-de-marée médiatique. Qu’est-ce que réussir dans la vie ou plutôt de réussir sa vie ? Pour ce mouvement libéral la réponse est claire : gagner beaucoup d’argent.

Pour le journal « La Gazette de Drouot », ce serait donc de posséder un objet rare, que l’on imagine forcément très cher. Bien sûr c’est un clin d’oeil. Cependant, on constate une fois de plus que le monde des enchères ne sait bien souvent communiquer que par le prisme de l’argent.

Dernièrement une salle des ventes française a publié sur Facebook une photo annonçant une de ses prochaines ventes de jouets. On y trouvait : une Citroën BB Lorrain, un Citroën Baroclem, des essais de couleur Dinky Toys , un C-I-J Saviem S7 brasseur Préfontaines….et j’en passe.

Le premier commentaire posté par un dénommé « Fab. Gallahan » était « Quelle photo à plusieurs milliers d’euros ! » Pas un seul mot par contre sur la rareté des pièces ou leur intérêt historique.

La firme la plus en vue dans les années cinquante, c’est bien sûr Dinky Toys. Lors du lancement de la Rolls-Royce Silver Wraith, la firme a communiqué sur les qualités de sa miniature : la suspension, le vitrage, et la calandre rapportée chromée.

On présenta la miniature comme une pièce hors du commun, à l’instar de l’auto qu’elle reproduisait. Cela fonctionna. Comme le raconte Jean-Michel Roulet dans son ouvrage consacré aux Dinky Toys France, l’auto équipée de son châssis « assemblé en France » fut rapidement épuisée et Bobigny se contenta ensuite d’importer la version « made in England » .

Pour le lancement de cette Rolls-Royce, auto symbolisant la réussite sociale, on aurait déjà pu utiliser le slogan:

«  Si vous n’avez pas encore votre Rolls-Royce Silver Wraith, spécialement importée de Grande-Bretagne, c’est que vous avez raté votre collection ! »

J’ai choisi le vouvoiement de politesse, car en 1959 Dinky Toys n’aurait jamais tutoyé son petit client ! Après 1968, cela devient possible.

Dinky Toys a mené une grande campagne pour annoncer ce « cadeau » de Liverpool. Partout en Europe, les importateurs ont communiqué sur le lancement de la Silver Wraith. Celui des Pays-Bas, par exemple, choisit d’utiliser la presse nationale. L’illustrateur a su mettre la miniature en valeur, pourtant, avec cette finition en deux tons de gris, elle est triste comme un jour sans pain.

Pendant ce temps, la course aux améliorations techniques entre les fabricants italiens, anglais et français s’intensifie, ce qui a pour effet de démoder très rapidement la miniature. Phares scintillants, portes ouvrantes, peinture métallisée, aménagement intérieur, capot ouvrant, moteur détaillé, dossiers de siège rabattables apparaissent très vite après la sortie de cette Silver Wraith qui n’a à offrir que sa calandre et son pare-chocs chromés.

Ce modèle fut à mes yeux révélateur de l’impuissance de Dinky Toys à réagir face à la concurrence. Le marketing gomma une partie des carences du produit. Mais face au raz-de-marée des nouveautés techniques le modèle a vite sombré dans l’oubli.

Dinky Toys France Rolls Royce Silver Wraith
Dinky Toys France Rolls Royce Silver Wraith

Quiralu osa à la même époque une autre solution. Dépassée sur le plan technique la firme de Luxeuil se démarqua en offrant à sa petite clientèle une Rolls- Royce, ici une Silver Cloud , hors du commun. Une version carrossée par Hooper : la Silver Cloud I Empress saloon.

Contrairement aux autres modèles de sa gamme qui connurent plusieurs types de finitions (avec ou sans vitrage, unicolore ou bicolore) la Rolls-Royce ne connut qu’une finition : de luxe, bicolore, mais sans vitrage !

Une version unicolore a  cependant été découverte, il y a peu de temps. Cette version est rare, je n’en connais qu’un exemplaire.

Quiralu n’était pas à une approximation près comme le dessin sur la boîte qui représente une version classique de la Silver Cloud et non la version Hooper, ou encore l’orthographe (Silver avec un y en place du i) sur la fiche publicitaire. (voir l’article consacré à Quiralu et à ses approximations) 

boîte de la Quiralu Rolls Royce Silver Cloud ...classique mais point du modèle que Quiralu créa carrossée par Hooper
boîte de la Quiralu Rolls Royce Silver Cloud …classique mais point du modèle que Quiralu créa carrossée par Hooper

S’agissant des couleurs, Quiralu offrit de nombreuses déclinaisons de teintes bicolores toutes plus joyeuses les unes que les autres, contrastant avec le modèle produit par Dinky Toys.

Le bas de caisse peut être fini de couleur crème ou gris clair. Le pavillon et le capot étant eux peints de couleur rouge, bleu canard, gris ardoise, ou vert. Il existe une version fort réussie en couleurs inversées : les flancs sont verts et le pavillon crème. Je ne connais pas d’autres schémas de couleurs inversées.

La firme de Luxeuil aurait pu communiquer auprès de sa jeune clientèle sur le pédigrée de l’auto. « Vous rêvez de devenir milliardaire ? commencez par acheter la Rolls-Royce Quiralu reproduisant celle carrossée par Hooper pour le milliardaire Nubar Gulbenkian »

Ce dernier possédait une Silver Wraith carrossée par Hooper assez similaire esthétiquement, mais avec le pavillon en plexiglass. Quiralu n’a sûrement pas eu les moyens financiers pour proposer cette version encore plus marquante.

La Rolls-Royce est bien évidement un symbole de la réussite sociale, tout comme la montre de luxe. Leur fonction première est détournée.

La montre n’est qu’un objet qui mesure le temps, comme un sablier. Les « Vanités » du XVII ème siècle avaient pour but de montrer la fragilité de la vie.

Georges de la Tour " Madeleine pénitente"
Georges de la Tour  » Madeleine pénitente »

Les artistes représentaient sur leur toile des objets symbolisant notre court passage sur terre. Le sablier, ou la flamme d’une bougie représentaient respectivement le temps qui passe, et le temps qui reste à vivre.

Un objet luxueux, comme un coquillage venant d’une lointaine contrée, symbolisait lui, la richesse, mais aussi la vanité.

Comme la montre de luxe ou l’horloge du 18ème.

D’où venons-nous ?

D’où venons-nous ?

Vous avez sûrement un album de photos de famille. A l’intérieur, on y trouve un concentré de notre vie, de la vie de ceux qui nous entourent. En le feuilletant, vous croiserez peut-être des photos de vos aïeux prises à la campagne, dans une ferme. Nous avons tous des ancêtres paysans.

La France fut longtemps un pays rural. Lors du recensement de 1906, 44% de la population vivait de la terre. En 1954, il n’y en avait plus que 31% . Ce chiffre n’a cessé de diminuer. L’exode rural s’est stabilisé en 1975. En 2021 l’INSEE considérait que 2% de la population active travaillait la terre. Ces statistiques me ramènent  à la chanson de Jean Ferrat « La montagne » qu’il enregistra en 1965.

« Ils quittent un à un le pays

Pour s’en aller gagner leur vie,

Loin de la terre où ils sont nés

Depuis longtemps ils en rêvaient

De la ville et de ses secrets, du formica et du ciné »

Le paysage rural de la France a longtemps été constitué de petites exploitations familiales. Les travaux étaient peu mécanisés et les rendements faibles. Le paysan français était bien souvent propriétaire de sa terre, ce qui peut expliquer qu’il aura du mal à la quitter, du moins mettra-t-il bien plus de temps que ses voisins européens à le faire.

La mécanisation apparaît après la guerre de 1914, afin de pallier le manque de main-d’oeuvre. Elle s’accélère après la seconde guerre mondiale de 1939.

C’est aussi à cette période qu’apparaît l’utilisation intensive des engrais. Les rendements vont devenir une priorité : il faut nourrir le pays qui connait une hausse de la natalité après la guerre.

Cet état des lieux du monde agricole français après la seconde guerre mondiale avec sa faible mécanisation et l’utilisation de la traction animale trouve écho dans la production des jouets. Les fabricants français vont multiplier les réalisations d’attelages hippomobiles, en plomb, en aluminium, puis en plastique sans véritablement s’intéresser aux tracteurs.

C’est aux fabricants de figurines que va revenir la charge de reproduire les différents instruments aratoires. L’échelle de reproduction utilisée par ces derniers est le 1/32. C’est tout naturellement cette échelle qui sera conservée plus tard pour reproduire des tracteurs.

Il y aura en France une grande tradition de fabrication de figurines de qualité. Quiralu dominera ce marché grâce ses produits robustes (aluminium). La firme de Luxeuil diversifiera son offre et  proposera des instruments originaux comme ce râteau à pommes de terre ou ce semoir. Quiralu disposera d’un bon réseau de distribution lui permettant de diffuser aux quatre coins du pays.

De nombreuses petites firmes ont gravité autour de Quiralu. Mais leurs méthodes de fabrication sont plus artisanales et leurs prix de vente plus élevés ce qui freine la diffusion. Moulés en plomb,  donc plus fragiles à l’utilisation, les produits de la firme CL ne manquent pourtant pas de charme.

On appréciera notamment ces attelages menés par des boeufs, spécificité française. L’âne, animal souvent associé aux petites exploitations n’est pas oublié par ces fabricants de figurines. Il assure la liaison de la campagne au marché citadin.

Quiralu proposera un tracteur, décliné en deux versions (chenillard ou avec roues). Son dessin libre peut interroger.

Il s’agit d’une réelle volonté de proposer un tracteur générique que l’enfant ne pouvait pas rattacher à une marque. Il faut sans doute y voir la volonté de s’épargner la demande d’un droit de reproduction auprès d’un fabricant de tracteurs.

D’ailleurs, dans ces années là (1950), Solido fera de même pour ses tracteurs, mais également pour les automobiles. Dans ses mémoires, M. De Vazeilles indique qu’au début de l’aventure Solido, son père Ferdinand, avait fait ce choix pour éviter des démêlées judiciaires avec les constructeurs automobiles.

La firme d’Oulins semble bien consciente du potentiel de vente des jouets agricoles. Elle développera de somptueux coffrets qui permettent à l’enfant de transformer son tracteur en chenillard et d’adapter toute sorte d’accessoires dont une faucheuse, un triple rouleau ou une très belle remorque fourragère. L’échelle retenue est bien sûr le 1/32…là encore il faut s’adapter au marché des figurines !

On ne recherche pas l’harmonisation avec le reste de la production qui se situe au 1/50 pour les camions et au 1/40 pour les autos de cette période. Les petits amateurs d’autos liés au 1/43 ne peuvent incorporer ces engins, bien trop gros dans leur univers de jeux.

On peut se demander si dans la volonté de ne pas reproduire un engin d’une marque identifiable, Solido, Quiralu ou Aludo n’ont pas cherché à ménager la susceptibilité des petits acheteurs attachés à la marque du tracteur familial.

Le marché de la machine agricole est particulier. L’implantation d’un concessionnaire dynamique dans une région fait que la marque qu’il représente est omniprésente dans son périmètre. C’est la qualité de la relation entre ce dernier et le paysan qui prédomine par rapport à la marque du tracteur qu’il représente.

(la suite dans 15 jours)

Un GBO de rêve en plein désert

Un GBO de rêve en plein désert

J’ai parcouru le désert très jeune. C’est un paysage qui exerçait sur moi une forme de fascination mêlée de  peur. Cet horizon que rien ne venait barrer, ce paysage monotone à l’infini me  déconcertait.

Comme beaucoup d’entre vous, le désert, je l’ai découvert  en lisant les aventures de Tintin. J’ai compris plus tard, en m’intéressant au style d’Hergé et à sa fameuse « ligne claire » que le désert était  un univers adapté au  style de l’artiste.

La « ligne claire » dont le nom a été trouvé tardivement, consiste à souligner d’un trait noir  régulier chaque élément du dessin créant ainsi une séparation artificielle. C’est un cerclage comme celui utilisé  par les peintres  Nabis en Bretagne . Les caractéristiques du paysage désertique donnent l’occasion à l’artiste de réaliser des dessins épurés.  La représentation du ciel offre les mêmes opportunités,  un aplat de couleur bleue   symbolise la pureté de l’azur.

Vous connaissez tous l’épisode de Tintin au pays de l’or noir dans lequel les Dupondt ont des hallucinations. C’est un épisode qui marque toujours les jeunes lecteurs, il y a une fascination pour le mirage. Le dictionnaire nous explique qu’il s’agit d’un phénomène de réfraction, observé dans les déserts et pays chauds où il produit l’illusion d’une nappe d’eau s’étendant à l’horizon.

On se délecte des mésaventures des Dupondt dans leur Jeep. Le phénomène de répétition est pour beaucoup dans l’effet comique de ces scènes.

Les dirigeants de Quiralu, en proposant leur Berliet GBO Saharien ridelles bâché, ont sûrement aussi été victimes du phénomène. Pourtant, en Haute-Saône, entre Vesoul et Belfort, à Luxeuil précisément, la région n’est pas renommée pour les hautes températures. A moins qu’il n’ y ait eu abus d’une liqueur locale afin de mieux supporter les températures rigoureuses de l ‘hiver.

J’aurai l’occasion de revenir prochainement sur l’histoire et la genèse du Berliet GBO . J’envisage une série d’articles ayant comme point commun la conquête et l’exploitation des champs pétrolifères dans le désert. Disons que dans la réalité, ce GBO, dénommé GBO 15 6×6 a été conçu principalement pour un usage saharien. La reproduction qu’en a livré Dinky Toys France en est un parfait exemple. Equipé d’un plateau dénommé « oil field body », il peut tracter d’imposantes remorques chargées des matériaux les plus divers :  citerne à eau, élément de derrick , engins de terrassement , rien ne lui résiste.

La firme Quiralu a en fait créé un engin hybride, n’ayant que peu de ressemblance avec le véritable Berliet GBO 6×6. Ce véhicule se devait d’avoir une certaine autonomie. Il était équipé d’une galerie, de roues de secours et de treuils pour les descendre.

Le Sahara n’est pas la nationale 7,  il n’y pas un garage tous les 20 kilomètres.

La cabine est fidèlement reproduite mais le plateau ridelles bâché n’est pas compatible avec ce genre d’engin. En fait, ce plateau  ridelles bâché est plus adapté au  GBC 8 6×6 dit « gazelle ». De gabarit inférieur, sa silhouette est des plus connues.

Je reste persuadé que Quiralu a souhaité dans un premier temps reproduire ce genre d’engin, mais la possibilité de reproduire un camion encore plus imposant a finalement dû tenter les dirigeants. N’oublions pas que Berliet présentait à cette époque son T100, encore plus démesuré.

Il n’en reste pas moins que la miniature produite par Quiralu, si  peu fidèle à la réalité est un objet magnifique. C’est un jouet et non une maquette, devant lequel  nombre d’enfants ont dû rêver. Tout l’attrait réside dans le traitement de la bâche réalisée en tissu et  cousue  main. Des arceaux métalliques structurent l’ensemble. Un détail doit être ici  rapporté. Quiralu, comme son voisin Rami, utilisait la main-d’œuvre locale en distribuant le travail chez l’habitant. En pleine zone rurale, cela assurait une  petite rémunération à la population.

Ceci explique les nombreuses variantes observées dans le montage de la bâche : tissu employé,   coutures, avec ou sans fermeture à l’arrière. Cela ajoute un charme supplémentaire à ce jouet.

La version de couleur sable est moins fréquente que celle de couleur rouge. Celle qui possède en plus les ridelles de couleur rouge est vraiment rare. Enfin, la version de couleur verte est très rare, elle reprend les couleurs vues sur le tri-benne.

On appréciera la boîte, fort évocatrice : des palmiers, des puits de pétrole, des dunes et ce titre évocateur »camion saharien gros porteur ».Pas de doute il s’agit bien d’un modèle destiné à l’aventure. Un dernier mot:

Il y a quelques années, un client lyonnais m’a contacté au sujet d’une étrange boîte. Il me parlait d’un fond jaune. Effectivement, je connaissais une boîte, nettement moins fréquente avec un dessin similaire mais le bleu de la boîte avait fait place à du jaune. Mon interlocuteur m’a répondu qu’il s’agissait encore d’autre chose : il s’agissait d’une boîte avec rabats, portant sur ces derniers la mention Eria. Par chance il a pu en récupérer deux exemplaires. Il semble qu’Eria, qui  avait repris en fabrication certains moules Quiralu avait songé à produire le Berliet. Une chose est sûre , la boîte existe !