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Mystères à Buenos Aires

Mystères à Buenos Aires.

L’industrie automobile française s’est peu exportée. C’est une réalité que les collectionneurs de jouets automobiles peuvent aisément constater en regardant les vitrines de miniatures. C’est éloquent. Les représentations de marques françaises sont assez rares chez les fabricants de jouets étrangers.

A l’inverse, le succès commercial allemand depuis les années 50 se traduit par un nombre très important de reproductions miniatures de Mercedes et de Volkswagen et ce dans tous les pays du monde. On peut faire le même constat avec les autos de fabrication américaine, sur cette même période, car à compter des années 70, elles n’ont plus la même aura.

Les autos françaises sont bien présentes, concentrées sur les marchés moyen et bas de gamme. Prenons l’Espagne. La FASA (fabrication d’automobiles société anonyme) est créée en 1953. Petit à petit Renault deviendra en Espagne le premier constructeur devant Seat.

De la 4cv à la Dauphine, toutes les Renault ont été fabriquées en Espagne, sauf les R15, 16, 17 et 20. On comprend que Renault n’a pu s’implanter sur le marché qu’en créant une entité locale. A l’image de très nombreux pays, l’Espagne a favorisé le montage sur place en taxant fortement les importations. Il fallait fournir du travail à la population pour développer le pays. Cette même logique économique s’applique à l’industrie du jouet.

Poch a réalisé la peinture, le montage, et la distribution en Espagne d’un certain nombre de Dinky Toys françaises, reproduisant des modèles de la régie Renault. Jefe a fait de même avec les Renault 4cv et les Dauphine de chez Lion Car en louant l’outillage à l’entreprise implantée aux Pays-Bas. (voir le blog consacré à ces autos)

On retrouve le même schéma en Argentine. C’est en 1955 qu’est créée l’usine de Santa Isabel. La Dauphine y est assemblée dès 1960.

Buby, qui est le fabricant de miniatures argentin le plus renommé ne manque pas d’inscrire la voiture à son catalogue, pour le plus grand plaisir des collectionneurs et occasionnellement des petits Argentins.

Ces derniers pourront reproduire les dérapages « sauvages » de l’auto sur les trottoirs de Buenos Aires, surtout si leur papa conduit la version « Gordini ».

Comme la plupart des Buby de cette époque, la miniature est réduite à une échelle légèrement supérieure au 1/43. C’est un modèle peu fréquent.

Cependant la Volkswagen 1200 de 58 sortie peu de temps avant chez Buby est bien plus rare encore. Je peux avancer une explication : le modèle Buby devait être confronté à une telle concurrence que la firme argentine a arrêté sa fabrication bien avant celle de la Dauphine qui a connu, elle, une belle carrière et un grand nombre de variantes, dont les versions « course ».

La Renault 4L est le deuxième modèle produit sur les chaines de Santa Isabel, mais Buby ne l’inscrira jamais à son catalogue.

Le modèle suivant est la R6, en 1969. Renault est désormais majoritaire dans le capital de l’entreprise de Santa Isabel, et depuis 1967 l’entité a changé de nom. De Kaiser Argentina Renault, elle est devenue IKA .

Et la miniature ? Grâce à José Andrade, je viens de faire une découverte des plus intéressantes. Sachant que j’étais amateur de Buby, ce dernier m’a proposé il y a quelque temps une R6 en boîtage promotionnel.

Bien que la boîte soit incomplète, son authenticité ne fait aucun doute. La vraie surprise vient de la miniature qu’elle contient, et d’abord de sa couleur : caramel.

Comme le modèle photographié sur la boîte. Cette couleur ne vous rappelle pas quelque chose ? Cherchez bien. Il s’agit d’une autre Renault, produite aussi en 1969 à….Bobigny ! Oui, la Renault 12, mais aussi la fameuse Renault R8S.

Mon premier réflexe fut d’ouvrir le capot. Et là j’ai eu la confirmation du lien avec Bobigny, grâce à la couleur vert foncé du bloc moteur, identique à celui du modèle produit en série

Pour l’article j’ai sorti une version qui provient de M. Malherbe du bureau d’études. Sur les modèles de présérie le moteur  est fini de couleur brique satiné.

La finition au pochoir de ce dernier ainsi que la calandre ne laisse planer aucun doute sur l’authenticité du modèle. De plus, l’année 1969, date de sortie chez Meccano de la R12 et donc de l’utilisation de cette teinte très à la mode à cette période correspond à celle du lancement en Argentine de l’auto.

Nous connaissions tous la Renault 6 de chez Buby. Depuis très longtemps nous avions remarqué la grande similitude avec le modèle Dinky Toys.

L’œil du collectionneur avait remarqué que Buby avait gravé sur la malle arrière le logo Ika Renault.

J’avance l’idée selon laquelle Renault Argentine, pour le lancement de sa R6, aurait commandé en France un petit nombre de modèles finis de couleur caramel et avec ce boîtage particulier.

Les droits de douane ont sûrement conduit à limiter cette importation au strict nécessaire, destinée peut-être à la presse pour la présentation du modèle. Dans un deuxième temps, on peut penser que Buby et Dinky Toys se sont rapprochés afin de trouver une solution. Dinky Toys ayant par la suite envoyé le moule en Espagne, on peut imaginer que Buby avait commandé une sorte de duplicata de moule à Bobigny.

J’écarte l’hypothèse d’une copie sans autorisation du modèle Dinky Toys. La régie Renault pourrait avoir participé à cette opération, en rapprochant les deux parties. Le mystère demeure.

les autos sont quasiment identiques. On ne voit que deux différences : les clignotants latéraux et les grilles d’aération sur le montant arrière du hayon qui peuvent s’expliquer. En effet, la vraie R6 produite par IKA Renault en Argentine semble en être dépourvue.

La petite encoche découpée devant le pare- brise s’explique par le fait que Buby avait abandonné le système d’ouverture du capot créé par Bobigny ( il fallait pousser le volant pour activer l’ouverture du capot sur le modèle français).

La seule variante importante, qui ne se voit qu’en ouvrant les portes, est le système de fixation par deux points de sertissage des portières sur les articulations.

Pourquoi Buby a- t’-il fait si compliqué ? C’est ici que réside pour moi le second mystère. Car l’étude des châssis est confondante, ils sont strictement identiques. Même la correction faite chez Meccano, surcharge sur le chiffre 6, apparaît sur le modèle Buby.

C’est le genre de découverte qui fait le bonheur du collectionneur.

Pour l’occasion j’ai sorti quelques variantes de la R6 Buby. J’avais évoqué la fantastique version «carrera» (voir le blog consacré à ce modèle).

Le premier boîtage, sur fond rouge est moins fréquent que celui sur fond jaune et rouge. Les premiers modèles reçoivent des jantes en plastique chromé. Ensuite, ces dernières sont injectées de couleur noire.

Un détail mérite d’être mentionné. Si vous ouvrez les portes et le capot , vous serez surpris de constater que les intérieurs des portes et du capot moteur reçoivent une finition noir mat. C’est tellement surprenant que sur le premier exemplaire approché j’ai cru à une finition « main » du précédent collectionneur. Pas du tout. Les exemplaires du début sont ainsi finis, une finition « luxe » sur une miniature populaire en quelque sorte.

 

Carmen et Lion-Car

J’ai découvert l’Espagne à travers les films de Pedro Almodovar. Avant de voir ses films, je ne m’étais jamais rendu dans ce pays. Lorsque j’évoque l’Espagne, ce sont toujours les images d’Almodovar qui me viennent à l’esprit. Le cinéaste a été l’un des moteurs de la Movida, mouvement culturel qui a émergé après la disparition de Franco en 1975. L’Espagne d’Almodovar c’est un patchwork, un assemblage de gens très différents. Tout y est exagéré, outrancier.

Lion Toys
Lion Toys

Dernièrement, à l’opéra Bastille, le metteur en scéne français Yves Beaumesne a transposé la Carmen de Georges Bizet dans l’univers de la Movida de Pedro Almodovar. Sa Carmen a troqué ses cheveux jais pour une perruque blonde. A l’acte deux, la soirée qui se déroule dans la taverne de Lillas Pastia se passe dans le milieu underground et fêtard espagnol. La garde est doté de costumes faisant penser aux soldats de Franco. Le metteur en scène nous livre ainsi sa vision de l’œuvre de Bizet.

Nous allons voir comment Jefe, petite firme de jouets espagnole basée à Valence, a elle aussi interprété la production de miniatures qui avaient pour origine les Pays-Bas. C’est un collectionneur espagnol qui m’a raconté, il y a fort longtemps, l’éphémère aventure Jefe. Il la tenait lui même d’une personne qui y avait directement participé. L’histoire est assez intéressante.

Tout commence par une rencontre entre le patron de Jefe et celui de Lion Car. Lion Car est une firme néerlandaise qui, à ses débuts, avait reproduit une Volkswagen 1200 vitre ovale, ce qui n’était pas très original, puis une Renault 4cv et une Opel Rekord, une intéressante DKW 3/6 et enfin une Renault Dauphine. Elle a ensuite consacré sa production de miniatures au constructeur Daf, firme également implantée aux Pays-Bas. La rencontre se situe à ce moment. Les deux hommes trouvèrent un accord pour permettre à la petite firme de Valence d’utiliser l’outillage de Lion Car qui avait été mis au repos à la suite du virage pris par la production. Ils tombèrent d’accord pour une location de courte durée. On en conclut que les moyens de Jefe étaient limités ou que les prétentions néerlandaises étaient trop élevées. Selon mon ami espagnol, la durée n’excéda pas 3 mois. Ce que n’avaient pas prévu les dirigeants de Lion Car, c’est que nos amis espagnols allaient interpréter avec malice cet accord. Pendant la durée de location, ils firent tourner à un rythme effréné les machines. Ils ne se préoccupèrent pas d’assembler les autos et se contentèrent d’entasser les carrosseries brutes, pour ne pas perdre une seconde ! Les moules eurent certainement un peu de mal à se remettre de cette cadence infernale. À la fin du contrat, quand les moules furent restitués, les employés de Jefe se mirent tranquillement à assembler et peindre les carrosseries. Cette anecdote faisait bien rire mon ami espagnol, ce qui ne fut certainement pas le cas du rugueux Batave.

Tout au contraire de la firme néerlandaise, Jefe, va habiller ses miniatures de teintes franches et gaies. Le rose, le vert cru et l’orange vont remplacer le vert tilleul et le gris souris ! Et je ne parle pas des superbes versions bicolores !

Rarement pour l’époque un fabricant osa de telles couleurs pour ses miniatures. Cela dut marquer les esprits au Pays-Bas. Lion Car proposera ensuite des couleurs plus vives pour ses miniatures. Comme Vincent Van Gogh, lui aussi très sombre dans ses premières œuvres, Lion-Car osera ensuite la couleur, pour notre plus grand bonheur.