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Orgueil et préjugés

Orgueil et préjugés

C’est au milieu d’une banale conversation avec Thierry Redempt, un des anciens rédacteurs du magazine « Passion 43 », que j’ai appris l’arrêt de ce journal. La nouvelle m’a laissé totalement indifférent.

Compte tenu de la manière dont j’avais été écarté de sa réalisation, cela aurait dû me réjouir, j’aurais dû y voir comme une revanche. Il n’en a rien été. Il faut avouer que la nouvelle était attendue depuis un certain temps.

Du contenu fantomatique de la revue n’émergeaient plus que les articles de M. Dufour. Il est resté sur le pont jusqu’au bout, comme le capitaine dont le navire fait naufrage.

Les erreurs qui altéraient les publications antérieures ont été reproduites. Même cause, même effet. Les belles intentions du départ se sont vites évanouies, amateurisme et clientélisme ont bien vite dominé l’aventure.

j’ai vu des similitudes avec l’histoire d’une marque automobile : je veux parler ici de la firme automobile espagnole Pegaso.

Elle a comme point commun avec ce magazine le fait d’avoir été créée par une personne mégalomane qui disposait de moyens financiers certains mais qui ne connaissait pas le marché. Et tout s’est terminé comme pour le journal précité par un incroyable gâchis.

Reprenons l’histoire. Elle commence après la seconde guerre mondiale, dans l’Espagne franquiste, coupée du monde. Le pays manque de tout. C’est peu dire que la guerre civile a laissé des traces dans la population et dans l’économie. Le réseau routier est calamiteux, ce qui ne favorise pas le transport des biens et des personnes. Le pays a donc besoin de camions et de cars.

C’est dans ce contexte très difficile, que l’Instituto Nacional de Industria (INI), le ministère de l’économie franquiste, suit les conseils de l’ingénieur Wifredo Ricart et crée en 1946 la ENASA (Empresa Nacional de Autocamiones S.A.), sur les ruines du constructeur Hispano-Suiza. L’entreprise d’Etat a pour mission de produire camions et cars. C’est sa priorité absolue . De l’autre côté du rideau de fer, on aurait parlé d’un plan quinquennal. Finalement, sous deux régimes politiques opposés on trouve une même approche de l’économie.

En 1948, Wilfredo Ricard, lance un projet utopique. Il a c’est vrai un passé glorieux. Il a c’est certain du talent. Lorsque qu’a éclaté la guerre civile en Espagne, en 1936, il était à Milan. Il travaillait chez Alfa Romeo sur des projets de monoplaces où il avait le titre de chef des études spéciales. C’est dans ce contexte qu’il a eu un différent avec Enzo Ferrari. De retour en Espagne en 1945, il est donc à l’origine de la création de la ENASA.

Cependant, quand on a connu les belles mécaniques sportives, travailler sur des camions, aussi beaux soient-ils, peut sembler une régression. Il réussit donc à convaincre quelques ingénieurs de la ENASA de se mettre à étudier un coupé sportif.

L’orgueil et l’esprit de revanche sur Ferrari semblent être les moteurs du projet. Il réussit à convaincre le pouvoir politique, l’Etat franquiste de se lancer dans cette folle aventure. Comme on l’a vu en Allemagne ou en Italie, les dictateurs ont toujours eu besoin de recourir à l’image toute puissante de l’automobile pour affirmer leur suprématie.

Et c’est ainsi que dans cette Espagne qui manque de tout, le pouvoir franquiste va donner son accord à l’ENASA pour épauler Wilfredo Ricard dans la construction d’une auto de sport. Ce sera La Pegaso Z 102. Gilles Bonnafous dans un excellent article de 2004 publié dans Motor Legend qui m’a grandement aidé pour la réalisation de ce blog, en raconte la genèse. la Lettre Z, en espagnol se prononce Céta. Et le CETA (Centro de Estudios Tecnicos de Automocion) est le bureau d’étude créé par Ricart en 1946. Le chiffre 2 indique qu’il s’agit du second projet. Le premier était celui d’une berline V12 qui ne verra jamais le jour . 84 exemplaires de la Z 102 sortiront des chaines. Un fiasco.

Fierté de toute une nation, cette auto connaitra bien sûr quelques reproductions en miniature. Le coupé sera immortalisé par Anguplas à l’échelle du 1/87. Mais c’est la version de Rico qui est la plus connue. L’auto est reproduite à une échelle légèrement supérieure au 1/43. Le fabricant espagnol a choisi une version rare, la cabriolet. La miniature est équipée d’une petite friction. Cet accessoire à la mode à l’époque, n’apporte vraiment rien au jouet, mais il n’en a pas déformé les lignes .

Rico déclinera aussi toute une série de camions Pegaso Z-207 « Barajas », tous plus beaux les uns que les autres. Leur réalisation soignée les place au niveau des plus belles reproductions de jouets de l’époque. J’apprécie cette technique très particulière qu’ont utilisée les fabricants espagnols de jouets, qui consistait à peindre les carrosseries injectées en plastique.

La technique est peu fréquente mais confère au jouet une finition de grande qualité. Norev s’y essaiera, le temps d’un test en vue des futures Jet-Car. Les fabricants espagnols étaient fort habiles dans l’art d’utiliser les pochoirs. Pour d’évidentes raisons de coût de production et pour rester dans des gammes de prix abordables dans ce pays à reconstruire, Rico n’a pas injecté en zamac, mais a choisi le plastique. Le zamac arrivera en Espagne, plus tard, quand le pays commencera à se relever économiquement. Les modèles Pegaso n’étaient déjà plus fabriqués. Il faudra cependant attendre pour voir du zamac de belle qualité. Les premiers modèles injectés souffrent aujourd’hui de métal fatigue.

Une autre reproduction, d’origine espagnole sans doute, est à signaler. Il s’agit d’un bel et très éphémère coupé Z103. Réalisé en plastique, à une échelle proche du 1/40. Je ne me rappelle plus où j’ai acquis cette miniature il y a 40 ans, mais le mystère entourant cet objet (modèle publicitaire?) m’a convaincu de la conserver. Je ne regrette pas ce choix aujourd’hui. Même M. Dufour, familier des productions espagnoles, grand connaisseur en la matière n’avait jamais vu ce jouet.

J’ai commencé cet article en citant une conversation que j’avais eu avec Thierry Redempt. C’est par une autre conversation avec M. Gillet, amateur éclectique, passionné de l’Espagne et de son histoire que je le terminerai. Cette conversation m’a conduit à m’intéresser à un autre détail, des plus intéressants, relatif à la marque Pegaso. Je vous donne rendez-vous la semaine prochaine, pour la suite de cette aventure, qui va se révéler être un véritable chemin de croix.