L’odyssée des « Scarlet Arrow »
En plus de nous émerveiller, certains chefs-d’oeuvre de la peinture ont une histoire hors du commun qui nous captive. Cela les singularise.
Dès sa réalisation qui s’est étalée de 1503 à 1519, la Joconde de Leonard de Vinci a été considérée comme un chef-d’oeuvre. En 1550 Vasari décrit le tableau avec force conviction. Mais c’est le vol du tableau en 1911 et sa rocambolesque histoire qui lui donnera son aura supplémentaire auprès du grand public.
Au musée du Louvre, le tricheur à l’as de carreau de Georges de La Tour eu une histoire mouvementée. Lorsqu’il en fit l’acquisition en 1972 jamais le Louvre n’avait déboursé une telle somme pour une œuvre d’art. Les experts se sont déchirés pour savoir s’il s’agissait d’un vrai de La Tour ou d’une copie.
Le tableau avait été découvert par un antiquaire, Pierre Landry, qui disait l’avoir acquis en 1926 chez un particulier, non loin du musée, sur l’île de la Cité. Georges De La Tour était tombé dans l’oubli malgré la grande qualité de son œuvre. Après cette affaire qui fit grand bruit, et quelques rétrospectives de l’autre côté de l’Atlantique, ce maître du 17 ème siècle fut enfin reconnu et apprécié du public.
Nos Dinky Toys les plus rares ont aussi leurs petites histoires. Les deux modèles du jour ont eu un destin des plus singuliers. Ils sont aujourd’hui de nouveau réunis après 50 ans de séparation.
J’ai acquis le camion 22 C, ridelles peint en jaune et noir et affublé d’une petite flèche de couleur rouge sur le pavillon en salle des ventes. Je l’ai acheté pour une raison simple : je disposais d’ éléments que peut-être, une partie des autres amateurs présents ce jour là, n’avaient pas.
Dans un article qu’avait signé Jean-Michel Roulet, qui, par bonheur dans les années 80-90 collaborait à diverses publications et partageait ainsi sa passion et ses connaissances, j’avais repéré une étrange camionnette 280, jaune dont le pavillon était décoré d’une petite flèche rouge.
Le montage d’un tel accessoire ne passait pas inaperçu. Il présentait ce modèle comme un prototype. C’est ainsi que le jour de la vente aux enchères j’ai compris que le camion 22 avait un lien avec la camionnette 280. Même couleur et même type de petite flèche.
J’ai saisi l’opportunité qui s’offrait à moi d’acquérir ce modèle. Je ne me souviens pas avoir eu une très grande opposition.
Plus de 30 ans après cette acquisition, Jean-Michel Roulet voyant la photo du camion dans ma vitrine me conta toute l’odyssée de ces véhicules. Ce petit camion 22 lui avait été promis par Geoff Moorhouse du bureau d’étude de Binns Road.
Le véhicule est aux couleurs d’une compagnie de transport, « Scarlet Arrow » établie à Liverpool, siège de Meccano faut-il le rappeler. Ce transporteur avait décoré sa flotte de véhicules de cette flèche rouge qui permettait de les identifier dans le flot de la circulation, et accessoirement de se faire une belle publicité.
Le bureau d’étude de Binns Road avait fabriqué deux modèles à soumettre au directeur de Scarlet Arrow : ce camion sur la base du 22C et une camionnette de livraison 280.
On peut imaginer que d’autres véhicules ont été réalisés et soumis à la direction de « Scarlet Arrow » . Un camion 25 peut-être ? C’est juste une hypothèse car on constate que les deux modèles précités ont été des fabrications « économiques », monobloc. Le camion 25 A ridelles est en 3 parties, bien plus onéreux à fabriquer.
Comme il était de coutume chez Meccano, et ce dès le début de la fabrication de wagons citernes ou des camionnettes publicitaires de la série 28, la compagnie qui voyait son nom apposé en publicité reversait une contribution financière à Meccano.
Mais à la direction de Scarlet Arrow on tenta d’expliquer que c’était à Meccano de payer pour voir figurer dans le catalogue Dinky Toys des véhicules aux couleurs de l’entreprise ! On comprend bien que les dirigeants de Scarlet Arrow étaient très fiers de leur décoration. Mais chez Meccano il était hors de question de se plier à une telle volonté. Résultat, ces deux véhicules allèrent aux oubliettes.
Les deux modèles sont ressortis en 1978 lors de la dispersion de documents et autres prototypes du bureau d’étude. Voyant qu’une partie des prototypes et autres documents était purement et simplement jetés, quelques membres du bureau d’étude se partagèrent ces trésors.
La camionnette « Scarlet Arrow » eut un curieux destin. On ne sait qui la sortit du bureau d’étude. Par contre, on sait qu’elle resta dans un petit carton au fond du coffre d’une Ford Cortina, avec une Standard Vanguard verte de premier type, une Triumph 1800 noire avec jantes argent et deux série 39 bicolores.
En voyant les Dinky Toys dans le coffre de la Ford, le garagiste à qui on la proposait comprit tout de suite l’intérêt d’acheter la voiture. Jean-Michel Roulet m’expliqua que la simple revente des Dinky Toys couvrait le prix de l’auto !
Tom Spinks, collectionneur de Matchbox Yesteryear les acquit auprès du garagiste et les céda en aout 1978 à Jean-Michel Roulet.
La photo que m’a confiée ce dernier est assez extraordinaire. On voit Jean-Michel Roulet posant fièrement avec ses acquisitions lors de l’autojumble de Crich.
Cette photo transpire la passion et la fierté, justifiée, de posséder de telles miniatures. On comprend que 30 ans après le souvenir soit toujours aussi vivace. On a peut-être du mal en 2020 à mesurer la fierté que l’on pouvait avoir devant de pareilles trouvailles.
A cette époque il fallait de solides relations pour pouvoir sortir de tels modèles. Cela ne se faisait pas en un voyage Outre-Manche. Il fallait tisser patiemment les liens entre collectionneurs et marchands. Ce n’était pas qu’une question de moyens financiers. Aujourd’hui, certains acheteurs posent sur leurs pages Facebook, avec un modèle à peine acquis pour plusieurs milliers d’euros. Ils ne savent pas toujours ce qu’ils ont acheté.
Jean-Michel Roulet espérait réunir la paire de « Scarlet Arrow ». Geoff Moorhouse lui avait promis le camion 22. Oui, mais voilà, ce dernier fut cédé à une autre personne dont nous ne connaissons pas l’identité.
Pour « compenser » cette promesse non tenue, le membre du bureau d’étude lui céda la Buick Skylark en bois, puis plus tard la Ferrari 312 F1 avec le châssis « made in England ». Ces modèles furent ensuite cédés à Jean Vital-Remy. Je les ai récupérés lors de la vente de cette collection, ainsi que l’exceptionnelle Standard Vanguard de type 1 de couleur verte.
Grâce au récit de Jean-Michel Roulet, ces modèles ont acquis un supplément d’âme. Ils ont une véritable histoire, hors du commun, à l’image de leur rareté. Ce sont des pièces uniques. Désormais les collectionneurs les rattacheront à ce récit.