C’est en chinant à Zürich, aux hasards des déballages de brocanteurs que j’ai trouvé cet émouvant document, édité pour le Grand Prix de Suisse, à Berne le 20 août 1939. Quelques jours après la course, le monde serait plongé dans le chaos.
A partir de ce petit document, je me suis replongé dans un ouvrage datant de 1969 et intitulé : « L’histoire illustrée du Grand Prix de Suisse » de René Häfeli, que j’avais acquis quelques années auparavant lors d’un meeting de jouets anciens. Le livre est passionnant.
L’auteur relate qu’afin d’intéresser le public lassé par la domination des firmes allemandes, les organisateurs avaient modifié le règlement du Grand Prix de Berne 1939 pour créer une seconde catégorie ouverte aux autos de 1,5 litres. La grille de départ était établie à l’issue de deux courses qualificatives de 20 tours réservées respectivement à la catégorie 3 litres et à la catégorie 1,5 litres. La course de la catégorie 1,5 litres fut l’occasion de découvrir une future championne, l’Alfa Romeo Alfetta, qui triomphera après la guerre, (voir l’aticle 110), mais l’essentiel n’est pas là.
Lors des essais, Hermann Lang se plaint de sa Mercedes auprès de son directeur Alfred Neubauer. Il estime que son mulet a une meilleure tenue de route que sa monoplace attitrée et exige des mécaniciens qui avaient déjà changé une fois le moteur de sa monoplace personnelle qu’ils effectuent la même opération, mais sur le mulet qu’il trouve supérieur. Le directeur d’écurie assure alors à son pilote la parfaite équivalence des châssis qui ont été contrôlés en Allemagne, avant le départ en Suisse, avec la rigueur que l’on attribue généralement à nos amis germaniques. Mais rien n’y fait, et comme une diva, le pilote maintient ses exigences. Les mécaniciens travailleront toute la nuit. L’autre grand pilote de l’écurie Mercedes, Rudolf Caracciola, sent à ce moment que malgré son ancienneté dans l’écurie, son cadet de 10 ans bénéficie d’une position privilégiée. Il demande alors que l’on change également son moteur. Alfred Neubauer a une explication très ferme avec son pilote et ne cède pas. A cet instant, le clan Mercedes comprend que le lendemain, Caracciola courra pour lui et non pour son employeur.
Lors de la course servant à établir la grille de départ, il économise de manière intelligente sa monture, terminant second derrière Hermann Lang. Mercedes monopolise les 4 premières places de la grille de départ. Au départ, sur sol mouillé, l’Afetta de Farina réussit à s’intercaler entre les deux Mercedes de Lang et Caracciola. Celui-ci met 7 tours à dépasser la petite Alfetta à la faveur d’un arrêt de la pluie. Deux tours plus tard, Von Brauchitsch sur Mercedes, ravit à Farina la troisième place. L’écart de puissance sur piste sèche est tel que la petite Alfa Roméo ne peut résister. Nous trouvons donc trois Mercedes aux trois premières places. C’est alors qu’en professionnel expérimenté, le directeur Alfred Neubauer décide de figer les positions. Mais Caracciola se met au contraire à remonter irrémédiablement sur son équipier, ne voulant pas voir les signes de son directeur d’écurie au bord de la piste. Piqué au vif, il n’a qu’un souhait : prouver à tous qu’il est toujours un grand pilote. Neubauer ne tient plus en place. Les deux Mercedes, à plus de 300 kilomètres à l’heure, se présentent à chaque tour côte à côte dans la ligne droite. L’ambiance est électrique. La seule consolation pour le directeur d’écurie est la troisième place couverte par la troisième Mercedes. Alors, comme il le racontera plus tard dans ses mémoires, il prend petit à petit plaisir à regarder le spectacle. La tension est à son comble, pour le plus grand plaisir des spectateurs. La seule chose qui compte pour les deux pilotes c’est de remporter la victoire. Les intérêts de leur employeur sont passés au second plan. Alfred Neubauer prend conscience, qu’avec deux pilotes de cette trempe rien de grave ne peut arriver. Ils connaissent parfaitement leurs limites.
Le spectacle est de toute beauté. Alfred Neubauer confessera que ce fût le plus grand spectacle auquel il assista de toute sa carrière de directeur d’écurie.
Finalement, Caracciola ne pourra jamais dépasser Lang et terminera second, dans ses roues. Sur le podium, une franche accolade ainsi qu’une amicale poignée de main réconcilie les deux protagonistes et toute l’équipe pourra aller fêter la troisième victoire de suite des flèches d’argent sur le circuit du Bremgarten.
Retrouvez la suite la semaine prochaine avec deux nouveaux épisodes : « Etoile du nord » et « Etoiles mystérieuses »