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Une deuxième vie

Le printemps a bien du mal à s’installer en ce mois d’avril 2013 à Copenhague. La végétation est en retard par rapport à Paris. Je suis au pays d’Andersen pour une vente aux enchères.

Volvo N88 Titan
Volvo N88 Titan prototype chassis court

La mise en vente d’une importante collection de Tekno est un événement rare. En l’occurrence, cette collection avait servi de base à l’élaboration du premier ouvrage consacré au sujet et paru en 1986. Avec le temps, au fil des acquisitions, mon père et moi avions réussi à réduire la liste des modèles manquants par rapport aux modèles présentés dans ce livre de référence. Mais il restait une petite liste de modèles rebelles : impossible de mettre la main dessus. Plus terrible encore, nous n’avions pas réussi à localiser un autre exemplaire que celui figurant en photo dans le livre. Alors, bien évidemment, la mise en vente de ces véhicules ne pouvait que m’entraîner à Copenhague.

Cette collection appartenait à un personnage singulier. Chauffeur de car de profession, le hasard l’avait amené à conduire quotidiennement les ouvriers dans la nouvelle usine Tekno, délocalisée de Copenhague vers le Jutland.

Il avait ainsi tissé des relations privilégiées avec le personnel. Lorsque l’usine a arrêté sa production, il était aux premières loges pour récupérer pièces détachées et prototypes. Il faut préciser que Tekno avait pour usage de garder dans des vitrines une partie de sa production. Ce patrimoine fut éparpillé chez quelques collectionneurs, au nombre desquels figure notre homme.

Au milieu des années 90, j’ai eu la chance de récupérer quelques belles pièces par l’intermédiaire de Yan Mortensen. J’ai procuré à ce dernier de beaux CIJ, notamment la collection complète des Renault 1000Kg. Comme il ne souhaitait pas les payer mais les échanger, j’ai pu acquérir de rares Tekno. C’est au fil de ces échanges que j’ai découvert l’origine des modèles.

Le temps a passé, et notre chauffeur de car est décédé. Ses héritiers ont mis sa superbe collection en vente. J’ai choisi de vous présenter trois projets de Volvo N88 Titan qui n’ont vu le jour qu’à l’état de prototype.

Volvo N88 Titan
Volvo N88 Titan prototype

Le premier vient de l’usine, et je l’ai obtenu il y a fort longtemps par un autre Danois qui avait lui aussi participé au partage du stock de l’usine. Il s’agit d’une caisse frigo, réalisée en bois. L’idée sera reprise plus tard mais sur le Volvo Express. La forme sera alors plus carrée. Observez bien l’empattement du camion : Tekno n’a pas utilisé un châssis de porteur simple mais celui, beaucoup plus long, servant à recevoir le plateau à chaînes. Un essieu a alors été supprimé. Il est dommage que ce modèle soit resté à l’état de prototype car l’ensemble avait fière allure.

La version avec le rideau roulant aux couleurs Irma est, elle, restée totalement inconnue. Irma est une petite chaîne d’épiceries situées dans la région de Copenhague. C’est une des plus anciennes chaînes de distribution au monde ! Les magasins sont plutôt spécialisés dans les produits de qualité. C’est donc tout a fait logiquement que la direction a fait appel à Tekno pour l’étude de ce prototype ! L’expérience s’arrêtera là. De manière rétrospective, on peut avancer une hypothèse. Il est probable que Tekno a buté sur la réalisation de la toile repliable qui caractérisait ces véhicules de livraison de proximité. Bien plus tard, dans les années soixante-dix, Tekno concrétisera son étude pour Irma, en leur livrant un très beau Ford D800 avec un ingénieux système permettant de faire coulisser la toile du fourgon. Cette dernière marquera les esprits. Le matériau trouvé par Tekno, une toile plastifiée, permettait de renouveler l’opération d’ouverture et de fermeture quasiment à l’infini, sans crainte d’abimer le modèle.

Le dernier modèle présenté ce jour est aussi intéressant. Il s’agit d’un tracteur à empattement très court qui devait tracter une remorque surbaissée. L’emprunt à la version dépanneuse de la caisse est assez évident. Malheureusement, la remorque qui a dû être créée a disparu.

Une seule vie ne suffirait pas pour rassembler l’ensemble de la production Tekno. De bonnes surprises sont toujours attendues. La meilleure preuve vient de m’être fournie par l’intermédiaire de mon ami Geoff de Londres. Son père avait réuni une magnifique collection Tekno, période au cours de laquelle il était en contact avec des danois, pionniers de la collection. Ces passionnés échangeaient lettres, modèles et photos.

Ainsi Bent Danilesen avait envoyé au père de Geoff de belles photos prises chez un danois. Le père de Geoff les a récemment exhumées : quarante ans après, elles présentent toujours autant d’intérêt. Geoff me les a envoyées : quelle ne fut pas ma surprise de constater que ces photos avaient été prise chez le chauffeur de car ! J’ai facilement reconnu toutes les pièces dont le Volvo Irma et le tracteur à empattement court que je vous présente ici.

Deux Scania hors du commun

Deux Scania hors du commun

Les deux versions présentées sont hors du commun ! Ni la distance entre la France et la Scandinavie, ni la barrière de la langue n’ont jamais été des obstacles à notre passion pour les Tekno.

Nous avons ainsi noué des liens avec de nombreux Danois et Suédois. L’un d’entre eux, Yan Mortensen, un grand gaillard de deux mètres aux allures de bûcheron s’était mis en tête de réunir une collection de C-I-J.

catalogue Tekno et Scania Vabis
catalogue Tekno et Scania Vabis

C’était une époque où les collectionneurs s’entraidaient et où l’individualisme n’était pas encore roi. Je me rappelle avoir eu le plaisir de l’aider à compléter sa collection de Renault 1000 kg. Au fil des ans, j’ai réussi à lui réunir toute la série.

De son côté Yan Mortensen m’a trouvé de beaux modèles. Nous avons échangé une abondante correspondance, et j’ai toujours été impatient d’ouvrir les enveloppes sur lesquelles je reconnaissais son écriture.

En bon chineur qu’il était, il a découvert un jour un petit lot de modèles très particuliers qui provenaient tous d’une des vitrines de l’usine Tekno. D’après ses dires, ils servaient à présenter la production aux visiteurs de la nouvelle usine Tekno, dans le Jutland. Tous ces modèles possédaient une particularité : ils avaient un petit décalque sur fond or appliqué sur le châssis (voir la galerie d’images). Cette usine a très vite fermé ses portes. L’entrepreneur qui avait repris la firme de la famille Raasmusen de Copenhague avait délocalisé l’unité de production dans sa région, le Jutland. Il avait ensuite effectué beaucoup d’investissements inappropriés à une époque, les années 70, où le marché des petites autos évoluait rapidement.

C’est aussi là-bas que mon ami Elgaard a récupéré un stock de pièces détachées, de boîtes vides et de modèles qu’il a dispersés pendant 25 ans. Plus tard, j’ai appris qu’une autre personne avait également récupéré des modèles de ces vitrines. Il s’agissait du chauffeur du car qui amenait chaque jour les employés. Ce monsieur les a mis en vente dans une petite salle des ventes du Jutland. Le Scania semi-remorque tôlé « Mobel Transport » vient de ce hall d’exposition. Comme je n’en ai jamais revu, je m’interroge sur le fait qu’il soit unique. Le second modèle présenté a été réalisé par Tekno pour l’exportation comme l’indiquent les inscriptions qu’il porte et qui sont en langue anglaise.

Comme nous l’avons vu la semaine dernière, la firme de Copenhague a cessé d’exporter ses modèles aux couleurs Scandinaves. Cette version est assez mystérieuse : le modèle fait la promotion du « lait danois » et reprend les couleurs du « NC Kloster ». Sa grande rareté est inexpliquée et il ne figure pas dans les deux premiers ouvrages consacrés à la marque. C’est un collectionneur belge qui nous l’a fait découvrir. Sachant que nous étions amateurs de poids lourds Tekno, lors d’une manifestation à Anvers, il y a 25 ans, il nous a expliqué qu’il avait trouvé ce modèle en magasin à Anvers. J’ai pris grand soin de noter ces informations. J’ai toujours procédé ainsi avec les modèles Tekno. J’ai dressé une petite liste de modèles que j’ai eu la chance de voir chez des collectionneurs et qui ne sont pas répertoriés. Mon ami Paolo Rampini procédait de la même manière. Je me rappelle avoir un jour à Milan, trouvé un beau camion Fiat promotionnel qu’il ne connaissait pas. Il m’a demandé une minute, avant de revenir avec son calepin. C’est grâce à cette rigueur que le listing de son ouvrage est aussi complet.

De retour en Scandinavie, j’ai questionné sans succès mes amis danois sur l’existence de ce camion. Une quinzaine d’année s’est écoulée avant que je ne découvre une remorque seule dans une manifestation à Toulouse. Curieusement, la remorque avait été dételée du tracteur. Elle était en bon état. Connaissant la rareté de l’objet, j’ai eu un grand choc en la trouvant. J’avais fait la moitié du chemin !

Il s’est écoulé une dizaine d’années encore avant que le collectionneur belge décide de se séparer de sa collection. Je n’ai pas laissé passer l’occasion de l’acquérir. En 25 ans je n’en ai jamais revu un autre mais mon ami Bent Danielsen en a également trouvé un. Avec le temps, mon discours a évolué. Plus jeune, ayant la vie devant moi, je me disais qu’avec le temps je finirais bien par trouver tel ou tel modèle, aussi rare soit-il. Cette certitude faiblit avec l’expérience et le temps qui passe.

Il faut savoir prendre les bonnes décisions face à des modèles qu’on ne voit passer que tous les 25 ans.

(voir l’article consacré aux versions citerne)