J’ai grandi en province, là où le lundi était une journée particulière pour un fils de commerçant. En effet, les commerces étaient traditionnellement fermés le matin de ce jour de la semaine. Les commerçants en profitaient pour aller se réapprovisionner chez les grossistes en région parisienne.
L’école publique où j’allais n’avait pas de cantine et mes parents me confiaient à des amis, qui exerçaient la profession de « brocanteur antiquaire ». Leur échoppe proposait de beaux objets, peut-être pas assez exceptionnels pour qu’ils bénéficient du qualificatif d’antiquaire. Un vague lien familial nous unissait.
Elevé dans les références du commerce traditionnel, le métier de brocanteur avait pour moi le charme inquiétant d’un métier de saltimbanque. Pas de stock, pas de vision à moyen terme. Pour mes grands-parents, la réussite d’un commerce se mesurait encore à l’importance du stock.
Le brocanteur doit se débrouiller seul pour approvisionner son commerce : il ne peut pas compter sur les grossistes ou les représentants pour faire rentrer la marchandise. L’idée même de vivre dans cette incertitude, de ne jamais savoir quand et comment acquérir des produits intéressants, me paraissait un obstacle définitif à ce qu’on puisse choisir d’exercer une telle profession. Je ne me doutais pas que cela serait mon métier 10 ans plus tard !
Monsieur Schryve avait fait l’acquisition d’un superbe Citroën 1200 kg de couleur argent. Assis à côté de lui dans son véhicule, j’appréciais beaucoup le retour à l’école. A l’intérieur, la capacité de chargement était impressionnante. Je revois bien les battants ouvrants à l’arrière et j’entends encore le bruit métallique de la targette servant à les fermer. Pour l’enfant que j’étais, la hauteur sous plafond avait de quoi donner le vertige, je me sentais petit dans cet espace. Les ingénieurs de Citroën avaient conçu un outil formidable pour ceux qui avaient des objets encombrants à transporter. Cela n’a peut-être pas été suffisamment mis en valeur. Ce n’est pas dans un Kombi Volkswagen que l’on aurait pu loger des armoires normandes.
Si l’on compare les deux véhicules, on comprend que le succès de la camionnette allemande a davantage reposé sur le marketing que sur de réelles qualités pratiques.