Mobilité douce.
Le décor est minimaliste. Un bureau, une chaise, un fauteuil. Nous sommes au théâtre et nous assistons à un monologue de Fabrice Luchini, capté par la télévision et intitulé « Des écrivains parlent d’argent ». Pas besoin de décor d’ailleurs, l’acteur occupe l’espace à lui tout seul.
Il hypnotise son public, joue avec lui, le fait participer. Il ne se gêne pas pour le caricaturer. Il invente ainsi le personnage de la « guerrière » celle qui lit Télérama, ne rate pas une exposition et traîne son mari, Robert, au spectacle. On sent qu’il aime son public, l’amour est réciproque.
Plus tard, au milieu de son monologue, il évoquera avec respect ses maîtres, Louis Jouvet et Michel Bouquet qui un jour lui avait révélé » tu crois que tu joues pour les spectateurs mais en fait tu joues avec ».
Soudain, en plein spectacle, il invective des « spectateurs » qui arrivent en retard. Il arrête le cours de son histoire pour aborder les problèmes de transport à Paris. Il semble connaître les problèmes qu’ont rencontrés ces retardataires : les embouteillages inextricables qui empêchent d’arriver à l’heure au spectacle à Paris.
Avec humour, il décrit les difficultés qu’ont désormais les gens à vivre ensemble et à se respecter. Chacun pour soi. Il parle de »mobilité douce » pour reprendre l’ expression à la mode dans les milieux politiques et qui convoque les nouveaux moyens de locomotion destinés à remplacer la voiture : trottinettes, vélos, monoroues…. Il s’en sert même comme d’un leitmotiv.
Se déplacer dans Paris est un enfer quotidien.
Pourtant cela n’a pas toujours été le cas. Hasard du calendrier, quelque temps après, lors de la manifestation lyonnaise « Epoq’ auto », j’ai fait une découverte que j’ai reliée à ce spectacle et à » la mobilité douce ».
Le vendeur d’un stand m’a accosté pour m’annoncer qu’il avait peut-être quelque chose pour moi. Il extirpe alors d’un carton une splendide boîte de jeu au titre évocateur : « Panam’auto ».
La présence sur le couvercle du coffret d’une étiquette représentant quelques monuments emblématiques de la capitale : arc de triomphe, tour Eiffel, colonne Vendôme, obélisque, opéra Garnier et des automobiles, prouve ainsi que l’automobile a longtemps fait bon ménage avec la ville de Paris.
Au point même de faire l’association entre ce moyen de locomotion et la ville lumière pour ce jeu de société.
Mais pourquoi avoir choisi le terme, désuet de nos jours, de « Panam’ « ? J’ai trouvé la réponse grâce à un article fort bien documenté signé Claude Duneton qui tenait dans les pages du Figaro une rubrique « le plaisir des mots ».
Cette appellation de « Panam’ » pour signifier Paris fut d’abord péjorative. Elle date de « L’affaire Panama » de 1892. Plus d’une centaine de députés avaient reçu des chèques de la société de percement du canal, destinés à ’acheter les votes. En écho à leur mécontentement, les maraîchers de la banlieue qui devaient chaque jour payer l’octroi lors du passage aux portes de Paris avec leur marchandise, renommèrent la capitale » Paname » associant ainsi l’image du scandale à la ville.
Comme l’explique Claude Duneton, c’est la première guerre mondiale qui fit évoluer la signification de ce sobriquet quand les soldats partis au front n’avaient qu’une idée en tête, celle d’avoir une permission, de quitter l’enfer, et de revenir à « Paname ». Et c’est ainsi que le surnom prit une connotation joyeuse et le garda jusqu’à Maurice Chevallier.
(lire le blog il est cinq heures)
Nous pouvons d’ailleurs dater ce beau coffret du début des années trente. La particularité de celui-ci tient à sa composition. Il est connu et répertorié avec six Renault Nervasport fabriquées par la C-I-J.
Celui trouvé lors du salon est singulier : trois Peugeot 201 torpédo de chez AR dans trois coloris différents et trois incroyables CD : une Renault 40cv coupé, une Delahaye fourgonnette et une Chenard et Walker limousine.
On peut penser que le fabricant du jeu panachait la garniture de ses coffrets avec ce qui était disponible dans le stock des petits fabricants qu’étaient AR ou CD. C’est peut être le prix de vente inférieur des Renault Nervasport qui conduisit l’assembleur à se tourner vers la C-I-J.
Il était sans doute aussi intéressant, pour un jeu, d’avoir des numéros de course assortis (vous aurez noté que les numéros se suivent). L’état exceptionnel des autos qui n’ont jamais servi renforce l’idée d’authenticité du coffret.
Quelle belle découverte ! On appréciera la transition entre ces deux fabricants français. Les CD, bien antérieures aux AR sont certes plus rustiques mais quel charme.
Cette Renault 40cv est en tout point somptueuse. Sa ligne fluide, élégante, équilibrée, en fait la plus belle pièce du coffret.
C’est celle que j’aurais choisie pour participer à ce jeu qui consistait à éviter les embûches de la circulation parisienne.
Au début des années 1930 on évoquait déjà les ralentissements. Le tapis du jeu est révélateur avec ses sens interdits et les injonctions de ralentir. Finalement la circulation dans Paris ressemble un peu à ce jeu de société : une progression semée d’embûches et relevant du hasard .