Le circuit de Reims aura toujours une place à part dans mon cœur, car c’est le premier circuit que j’ai connu. Je venais de Compiègne en passant par Soissons et je descendais la ligne droite. Jamais je n’oublierai la vision des tribunes et des stands à droite, à travers les champs de blé. Ce moment a été magique. Certes, le circuit avait déjà cessé toute activité mais je voyais grandeur nature ce lieu mythique où tant de duels acharnés avaient eu lieu.
Aujourd’hui encore, bien des années après cette première visite il m’est difficile de ne pas sortir à Tinqueux pour prendre la nationale vers Soissons. Des ronds-points ont un peu dénaturé l’endroit, mais de courageux passionnés s’escriment à remettre en place ce formidable patrimoine. Je salue ici leur entreprise.
Bien entendu, lorsque ma fille est partie faire ses études à Reims, je n’ai pas manqué lors de son premier voyage en terre champenoise de lui faire découvrir cet endroit.
Reims n’était pas, de loin, le circuit le plus technique. Par contre, très rapide, il a longtemps rivalisé avec Spa et Monza pour l’affichage de la moyenne horaire la plus élevée.
L’auto qui symbolise pour moi le mieux ce circuit est la Mercedes carénée. Un aérodynamisme poussé la favorisait sur les tracés rapides et c’est ainsi qu’elle s’est montrée sans rivale à Reims. Si l’on met de coté la prestation malheureuse en 1951 lors du Grand Prix d’Argentine avec les autos d’avant-guerre, le Grand Prix de Reims de 1954 marque le retour de Mercedes en Grand prix après le conflit mondial. Pourtant, Mercedes n’était pas prête pour le début de la saison, et Fangio s’est adjugé les deux premiers Grands prix au volant d’une Maserati.
C’est sur le circuit de Reims, au cours d’une course limpide, que les flèches d’argent ont fait leur grand retour. Elles ont réalisé le doublé, non sans avoir causé quelques frayeurs aux ingénieurs. Lors des essais, ces derniers se sont aperçu que si leurs moteurs étaient performants, ils étaient aussi très gourmands. Gourmands à un point tel que la capacité des réservoirs était insuffisante pour couvrir la distance du Grand prix. Il a donc fallu fabriquer durant la nuit des réservoirs supplémentaires pour les trois autos, et faire l’aller-retour jusqu’à Stuttgart pour les ramener. Ces derniers ont été montés juste à temps pour le départ. Quinze jours plus tard à Silverstone, lors du Grand Prix d’Angleterre, l’écurie Mercedes est tombée de haut. Fangio, malgré tout son talent n’a réussi qu’à prendre une quatrième place. La carrosserie aérodynamique ne procurait plus l’avantage rencontré sur le rapide circuit de Reims. Pire, il est apparu que la conception même de l’auto était à revoir : le châssis et l’empattement, tout était à corriger.
Le succès de la firme à l’étoile réside dans sa capacité à réagir. Comme pour le problème des réservoirs d’essence à Reims, la firme a fabriqué une carrosserie avec roues découvertes pour le Grand Prix national au Nürburgring. Tout cela n’a été possible que parce que Mercedes disposait de capacités financières bien supérieures à celles des autres écuries. Continental, le fournisseur des pneumatiques qui s’étaient révélés peu efficaces sous la fine pluie britannique a également été prié de revoir sa copie après la piètre prestation de Silverstone. Grâce à ces modifications, Juan Manuel Fangio a pu s’imposer au Nürburgring, puis de nouveau à Monza, où il a repris l’auto carénée. Il dominera totalement ses coéquipiers et Mercedes lui doit ainsi une fière chandelle pour l’obtention du titre de champion du monde en 1954.