Réalisme Socialiste.
C’est un rectangle rouge. Intitulé « Pur rouge ». C’est un tableau. Il date de 1921. Son auteur est Alexandre Rodchenko.
Lors de la fameuse exposition d’art moscovite « 5 x 5 = 25 » Nikolaï Taraboukine dira de lui que c’est le « dernier tableau ».
La boucle est bouclée. Pour les artistes de l’avant-garde russe, « les constructivistes » il est temps pour l’art de passer à d’autres supports. Pour ce groupe d’artistes, la peinture de chevalet sera dès lors associée à la bourgeoisie.
Il s’agit désormais de fondre l’art dans la vie de tous les jours. Il doit être partout et pour tous. Tous les supports sont les bienvenus. La révolution de 1917 sera un formidable vecteur pour la mise en oeuvre de cette idée.
Cependant, dès 1920, le pouvoir bolchévique, Trotsky mais aussi Lénine, se montrent réservés à l’égard de cet art qu’ils ne comprennent pas. Pendant quelques années un certain pluralisme perdure. Le courant « constructiviste » cohabite avec un courant plus traditionnel attaché à un certain réalisme.
Quand Staline prend le pouvoir à la mort de Lénine, le changement est brutal. Ce dernier va mettre en place un art « officiel ». En 1932 apparaît le terme « réalisme socialiste ». Les artistes doivent traduire dans leurs oeuvres non pas la réalité mais l’avenir radieux engendré par le communisme.
« Optimisme et idéalisation sont de rigueur », pour reprendre la phrase du commissaire de l’exposition du Grand Palais : « Rouge, art et utopie au pays des soviets ».
Pas question de sortir de ce cadre. Certain le paieront de leur vie. Malevitch sera écarté des expositions. Gustav Klutsis, spécialiste du photomontage et Vsevolod Meyerhold, metteur en scène seront déportés et fusillés. Beaucoup des artistes constructivistes peineront à trouver des commandes.
Les artistes doivent produire des oeuvres figuratives célèbrant le héros. Homme ou femme, .ils sont jeunes, en pleine possession de leurs moyens. Les corps sains sont glorifiés. Les thèmes des grands travaux reviennent souvent. Usine, mine, barrage, travaux des champs, toutes les activités productives sont ainsi représentées. L’avenir semble radieux pour la population .
Il m’a semblé intéressant de faire le parallèle avec la production de jouets automobiles. Placé devant ma vitrine, j’ai constaté un nombre élevé et inhabituel de véhicules industriels proposés aux enfants par les fabricants, comme si ces derniers avaient voulu traduire à travers leurs jouets ce « réalisme socialiste ».
Prenons le cas de la Tchécoslovaquie. Il est facile de faire le parallèle grâce à l’article paru sur la production automobile. (voir le blog consacré aux miniatures automobiles Tchèque).
Le cas le plus intéressant est celui du Skoda 706. Igra en a décliné pas moins de sept versions. Le fabricant n’a pas lésiné. A chaque fois il s’agit de vraies carrosseries et non de la déclinaison d’un modèle unique par adjonction d’une décalcomanie ou d’un accessoire.
Igra avait déjà proposé la première mouture de cette cabine du 706 (voir la calandre). Le fabricant n’avait alors visiblement décliné qu’une carrosserie, une benne simple. Les premiers exemplaires sont en bakélite, puis les suivants seront en plastique.
Restons avec Igra. Le Praga 5T a été décliné en au moins trois versions. Une originale grue, une benne de chantier et une citerne. Cette dernière version a reçu deux marquages différents : Mleko (lait) et Benzin.
Mon préféré chez Igra est le Skoda benne réalisé en bakélite avec son drapeau Tchèque sur le capot.
Enfin, signalons les trois variantes de la camionnette Barkas (pick-up, fourgon de police et ambulance),
Smer est l’autre grande firme Tchèque ayant reproduit des jouets automobiles.
Le tracteur Praga semi-remorque porte-engin est un engin impressionnant. Il est peu fréquent.
Contrairement aux autres fabricants de jouets, Smer n’a pas décliné de version militaire. Il est intéressant de constater que ces firmes ont préféré mettre dans les mains des enfants des véhicules qui symbolisaient un avenir prometteur et pacifique.
Ma préférence chez Smer va au Skoda 706. La version équipée d’un fourgon rectangulaire frigorifique est sublime. Les deux citernes arborant des publicités Benzin et Prazdroj (bière) sont également très réussies. La version ridelles, classique, est elle aussi représentative d’une époque. L’échelle de reproduction est supérieure aux autres camions détaillés ce jour. Les premiers exemplaires sont en bakélite.
Le Tatra 111 benne charbonnière est un modèle expressif. Il semble que cette cabine n’ait pas été réutilisée dans d’autres versions, en raison d’une conception monobloc.
Enfin, Smer sortira un autre camion à capot long. Il reproduit un Tatra (peut être un T148). Il existe deux carrosseries : une ridelle et une citerne , déclinée comme pour le Praga en laitier et en citerne essence.
Je ne pouvais oublier les fantastiques cars et trolleybus. Ites déclinera sur la même base un trolleybus (avec un mécanisme à remontage à clef) et un car (avec friction). Les boîtes sont un enchantement.
Le Skoda 706 de chez Smer est merveilleux. Il est équipé d’une friction. On appréciera la fluidité de la ligne. La finition au pochoir lui donne beaucoup de charme .
L’Ikarus en tôle est le fruit de la marque Omnia. C’est un objet peu fréquent .
Nul doute que toute une génération d’enfants a été bercée par ces véhicules utilitaires, symboles d’un avenir prometteur. A travers cette importante production de véhicules industriels, on comprend que les fabricants Tchèques avaient le désir de montrer à leur « petite » clientèle que l’avenir était dans les véhicules industriels et pas dans l’auto individuelle symbolisant la propriété.
C’est en tout cas mon interprétation, mais il s’agit peut être d’une lecture « occidentale ».Il serait intéressant pendant qu’il en est encore temps d’interroger sur ce point les gens ayant travaillé dans les firmes Smer, Igra ou Ites.