CIJ Renault 4cv mécanique
Celui qui a mal tourné
Derrière son comptoir, l’homme n’était pas affable. Sa barbe fournie et ses petites lunettes n’étaient pas engageantes. Il tenait la Boutique Auto Moto à Levallois au milieu des années soixante-dix. En fait, il avait ses têtes. Si vous étiez dans ses petits papiers, il engageait facilement la conversation et vous faisait bénéficier d’anecdotes, de souvenirs croustillants et de son immense culture automobile. Heureusement, mon père, client assidu de l’établissement, était dans ses bonnes grâces.
C’est tout le problème des boutiques tenues par des passionnés. Si l’auditoire est à leur convenance, ils aiment faire partager la grande et la petite histoire de l’automobile.
J’en sais quelque chose. La passion l’emporte souvent sur le commerce, au grand dam de clients qui sont pressés ou qui n’ont pas envie d’écouter mes histoires.
Dans la boutique de Levallois, j’ai vu des clients obligés d’attendre que notre homme finisse de raconter comment, à la Targa Florio, Willy Mairesse avait sorti sa Ferrari alors qu’il était en tête et avait course gagnée. Bien sûr, il ne fallait pas interrompre le récit, au risque d’essuyer une réflexion. Quand il n’aimait pas quelqu’un, les réponses étaient lapidaires.
Ce jour là, il était remonté contre un magazine de miniatures automobiles.
En manque d’inspiration, le journal en question avait loué le très confortable roulement des miniatures produites en Grande-Bretagne par Brooklin … « Comme si le collectionneur allait les faire rouler sur le trottoir ».
Cette réflexion est restée gravée dans ma mémoire. Avec le temps, je me suis aperçu que beaucoup de collectionneurs accordaient une grande importance au roulement de leurs miniatures. Souvenir d’enfance très certainement.
En préparant les photos de la suite des articles sur la Renault 4cv produite chez CIJ, j’ai repensé au vendeur de Levallois. Les versions mécaniques de la Renault 4cv ainsi que les premiers exemplaires équipés de pneus sont logés à la même enseigne : le roulement est désastreux. La cause en est la période de fabrication, l’immédiat après-guerre et ses restrictions.
Chronologiquement, ils font suite au modèle de 1949 équipé de roues monobloc en zamac que nous avons étudié dans un article précédent (voir l’article sur les Renault 4cv 1949). La carrosserie est également équipée d’une calandre à 6 barres.
Après avoir choisi de proposer une version mécanique, CIJ dut se préoccuper de l’équiper de jantes à pneus. Evidemment Il était impensable de l’équiper de roues en zamac brut,sous peine de voir la miniature faire du surplace ! Et comme la pénurie de caoutchouc sévissait encore, CIJ trouva une étrange solution. Lorsque l’on regarde ces pneus, on est frappé de constater que les flancs et la semelle sont au carré. Cela donne l’impression qu’ils ont été découpés dans une gaine assez épaisse. Les jantes sont parfois en laiton (couleur or) parfois en acier (couleur argent). CIJ profitera de la création de ces jantes pour « moderniser » son modèle et étendre aux modèles dépourvus de mécanisme ce type de jantes.
La version mécanique est affublée d’une roulette directionnelle rivetée au châssis. Le déplacement est chaotique. A la fin de sa carrière, CIJ supprimera cette roulette. Les châssis spécifiques, estampillés avec les marques servant de repaire pour le placement de la roulette seront écoulés sans l’installation de cette dernière. CIJ a réussi le tour de force de placer ce petit mécanisme sans déformer ni modifier son modèle. Seul le châssis a reçu les modifications nécessaires. Il n’y avait pas la place pour installer un système servant à débrayer le mécanisme : de ce fait, le roulement est impossible si le mécanisme n’a pas été remonté.
La version mécanique a reçu dès le départ un étui individuel. Sur le dépliant de la Safar, elle est représentée seule, à côté d’un exemplaire de la Norev, qui, elle, possède déjà la calandre à 3 barres apparue chez Renault après, en 1954 et chez Norev, en 1955. On en déduit que CIJ présenta la nouvelle calandre à 3 barres en place de celle à six barres qui équipait les modèles depuis le début avec un certain retard.