intrigants modèles Hubley et Auburn
La carpe et le lapin.
Cette expression française désigne un couple mal assorti, une union impossible comme le serait celle d’un poisson et d’un mammifère. Elle trouve son origine dans la réflexion qu’inspirait à la noblesse l’union d’un noble et d’une roturière. Nous sommes bien loin de nos petites autos. Pourtant c’est bien la réflexion que je me suis faite après avoir acquis les deux autos présentées ce jour, lors d’un séjour aux Etats-Unis.
Quels points communs entre l’Oldsmobile de chez Auburn, de couleur grise portant un marquage sur le pavillon et cette auto, reproduisant un bolide, croissement de voiture de record et de monoplace type Indianapolis produite chez Hubley ?
A priori rien ! Ni l’échelle de reproduction, l’Oldsmobile est au 1/38 et la Hubley au 1/50, ni le matériau, rubber pour l’une et zamac pour l’autre. Ce n’est pas non plus la couleur. Non, c’est bien ailleurs qu’il faut chercher.
Le premier point commun, vous ne pouviez le deviner. Je les ai acquises chez le même marchand, en même temps. Ce fut d’ailleurs le point de départ de ma réflexion.
Ce marchand est spécialisé dans les modèles en rubber. Il propose toujours un large choix à la vente. J’ai découvert chez lui nombre de variantes. Depuis quelque temps, la mode porte à collectionner les marquages promotionnels. Aux USA, cette caractéristique confère à l’objet une valeur qui peut tripler, voire quadrupler par rapport à un modèle qui en est dépourvu.
C’est bien sûr le marquage de cette belle auto qui m’attira. En demandant son prix, je m’attendais à un chiffre élevé. A ma grande surprise, il n’en fut rien. Il fallait juste compter un léger surcoût, qui à mes yeux était déjà justifié par la couleur grise, peu fréquente, de cette miniature.
Je demandai ensuite au marchand s’il savait ce qu’était cette « National Turner Convention, Detroit 1938 ». Il avait fait des recherches et put me fournir l’explication suivante. Les « American Turners » étaient une organisation fondée en 1848 par des immigrants allemands, avec pour devise : « un esprit sain dans un corps sain ». Elle prônait l’activité physique et mentale, pour tous les âges. Se voulant apolitique, elle changea d’ailleurs son nom d' »American Turnerbund » en « American Turners » en 1938, lors de sa convention annuelle, pour éviter toute confusion avec le Bund germano-américain pro-nazi.
En fait, le prix réclamé était raisonnable car le marquage présentait peu d’intérêt dans le contexte de la miniature. Aux Etats-Unis, ce sont surtout les publicités pour les concessions, les garages, et le monde de l’automobile en général qui réunissent les suffrages des collectionneurs.
Connaissant mon goût pour les choses atypiques, le marchand, attira ensuite mon attention sur un autre modèle, une auto de course Hubley. A voir mon regard, il comprit que ce modèle faisait déjà partie de ma collection. Cette auto, je l’avais acquise il y a fort longtemps, et même avec quelques déclinaisons : en aluminium, en zamac et même en cast iron.
Il insista cependant : « Regardez-bien », me dit il, « c’est très intéressant. Il y a une épinglette, jamais détachée depuis l’origine, aux couleurs d’un événement, qui a eu lieu aux Etats-Unis en 1937, la coupe Vanderbilt sur le circuit Roosevelt ».
Effectivement, je n’avais pas compris que le modèle était lié à une médaille placée dans la vitrine devant lui. Ce modèle avait fort probablement été vendu comme souvenir lors de cet évènement.
La Coupe Vanderbilt, qui avait vu le jour en 1904, fut disputée annuellement jusqu’en 1917 où elle s’interrompit pour cause de conflit mondial. Créée et richement dotée par le milliardaire américain William Kissam Vanderbilt, elle sombra ensuite dans l’oubli avant d’être relancée en 1936 par le neveu du fondateur, George Washington Vanderbilt. L’épreuve fut remportée l’année suivante par l’Auto Union de Bernd Rosemeyer. Les Allemands qui avaient monopolisé, avec Alfa Romeo, les deux premières lignes de la grille de départ, s’adjugèrent les 1re, 2e et 4e places à l’arrivée . La première auto américaine classée fut une Miller, au septième rang.
Je dis les Allemands mais en fait je devrais dire les nazis. En effet, c’est bien sous leurs couleurs que les autos étaient engagées.La petite médaille que le propriétaire n’a pas détachée est sans équivoque : c’est bien le drapeau du parti nazi qui y figure.
Pour mémoire, le programme des 24 heures du Mans durant ces années, c’est à dire juste avant le début de la seconde guerre mondiale arbore aussi ce drapeau, sauf en 1936, la course ayant été annulée pour cause de front populaire. Les monoplaces ont aussi arboré le drapeau nazi. On notera d’ailleurs que si les Mercedes s’en sont très rapidement parées, les dirigeants d’Auto Union montrèrent moins de zèle à le faire. Ce petit modèle de rien est en fait des plus intéressants sur le plan historique.
Voilà comment, en quelques minutes, j’ai acquis aux Etats-Unis deux modèles de production américaine ayant pour lien l’Allemagne des années trente. J’avoue que le lien était troublant. Je n’aurais pas pensé à le faire si je ne les avais pas trouvés ensemble. Cela valait semble-t-il la peine d’être raconté.