Enfant j’étais fasciné par les magiciens. Leur façon de faire apparaître un lapin dans un chapeau ou de faire disparaître un objet me laissait sans voix. Plus grand, je demeurais émerveillé lorsqu’ils faisaient disparaître leur partenaire et je n’étais vraiment rassuré que lorsque cette dernière réapparaissait, saine et sauve. Magique ! Je n’ai jamais souhaité connaître les ficelles de ces tours. J’ai toujours préféré rester dans le rêve.
Désormais nous avons affaire à d’autres tours de magie, moins poétiques : je veux parler des chiffres dont on nous abreuve chaque jour. Dans les journaux télévisés d’éminents spécialistes dans tel ou tel domaine nous présentent d’un air convaincu statistiques, courbes et diagrammes. Ils nous expliquent comment telle ou telle opération va nous faire économiser des centaines de milliers d’euros ou nous coûter des sommes astronomiques. Leurs capacités de prévision sont tellement précises que je ne comprends pas comment la crise peut perdurer. Comme la poésie des tours de passe-passe de mon enfance est loin !
Chez Dinky Toys aussi, les « magiciens » qui avaient su enchanter quelques générations en créant les séries 24, 25, 30, 36, 38, 39 et 40 ont disparu à l’aube des années soixante. Ils ont fait place à des dirigeants adeptes des économies de bouts de chandelles. Finis les modèles flamboyants qu’enviait une concurrence incapable de suivre. A Liverpool on va user les moules jusqu’au bout, pour les amortir au maximum, notamment ceux des poids lourds qui étaient plus onéreux. Prenons la référence 965. C’est en 1955 qu’apparaît pour la première fois au catalogue l’Euclid. Ce beau modèle va avoir une vie mouvementée, à l’image de la firme de Liverpool à partir du milieu des années cinquante. Tout commence bien pour ce véhicule atypique pour lequel Meccano crée des jantes spécifiques et des pneus à crampons. Les jantes sont particulières à ce type d’engin. Plus tard elles équiperont le lanceur de missile Corporal et le Foden benne de chantier avec lame. Il était bien normal, dans une logique de rentabilité, de vouloir équiper d’autres modèles de la gamme avec des jantes particulières.
Par contre, au milieu des années soixante, notre Euclid va se voir affublé de jantes de couleur rouge et même de couleur kaki (rare). Ces jantes viennent des deux modèles précités. Finir d’utiliser des jantes peintes dans une couleur spécifique en les montant sur un autre modèle, c’est oublier la rigueur de fabrication qui avait fait la réputation de Meccano. La décoration de l’Euclid subira des variantes au fil des années. Au départ, ces variantes étaient volontaires ; il en est ainsi du logo en couleur remplacé par un logo en noir et blanc. D’autres variantes paraissent accidentelles et semblent s’expliquer par des oublis ou des difficultés à s’approvisionner en décalcomanies : le texte est présent ou non. Un autre détail me paraît révélateur de la volonté de Dinky Toys de faire des économies. Regardez la manivelle qui actionne le levage de la benne : au départ, la tige coudée a une olive en acier. Au milieu des années soixante elle est en plastique de couleur argent, avant de disparaître en fin de production du modèle.
Quand une firme commence à se préoccuper de telles économies, on peut penser que sa survie est en jeu. Nous, collectionneurs, cinquante ans plus tard, nous sommes ravis de toutes ces variantes. Il faut dire que nos préoccupations ne sont pas les mêmes que celles de ceux qui dirigeaient l’entreprise à l’époque. Ils avaient déjà fini de rêver.