Depuis sa création, Citroën a toujours su frapper les esprits en présentant des modèles très en avance sur son temps. Cette firme a souvent eu le génie de s’entourer de créateurs hors pair qui ont insufflé une touche de modernisme aux productions du quai de Javel. L’histoire du Citroën T-U-B (Traction Utilitaire Basse) présenté aujourd’hui sous la forme d’un fourgon ambulance n’est peut être pas la plus connue, mais elle mérite largement que l’on s’y arrête.
Je me suis plongé dans le livre « Les camions Citroën » de Fabien Sabates et Wouter Jansen, sorti en 1989. Je me rappelle d’ailleurs fort bien l’enthousiasme avec lequel les amateurs avaient accueilli cet ouvrage à une époque où il y avait peu de littérature sur les poids lourds.
Ce qui me paraît intéressant, dans ce véhicule, c’est sa gestation. La direction commerciale de Citroën était chargée de recueillir les remarques formulées par les clients. Des dossiers étaient ainsi montés et classés en fonction des catégories de véhicules. Tout cela est raconté, dans l’ouvrage précité, par Monsieur Georges Toublan qui a été un des personnages clef de l’histoire du T-U-B.
Un dossier avait notamment été constitué pour consigner les remarques des petits détaillants alimentaires (bouchers, boulangers, épiciers) établis principalement dans les zones rurales. La pratique du porte-à-porte nécessitait de se déplacer à l’intérieur du véhicule, mais également de pouvoir accéder du poste de conduite à l’intérieur du fourgon sans avoir à ressortir.
Ceux-ci se plaignaient de l’inconfort des véhicules qu’ils utilisaient. Lorsqu’ils devaient rester debout, ils devaient se tenir courbés à cause du peu d’espace. Ils émettaient également le souhait de pouvoir exposer la marchandise par le biais d’une paroi latérale. Pierre Boulanger, directeur de la marque, confia le dossier au bureau d’études. L’équipe de Georges Toublan fut alors chargée par la direction de retourner voir sur place tous les commerçants qui avaient pris la peine et le temps d’écrire à la firme.
Dans un premier temps, Citroën entreprit une étude minutieuse de leur comportement. Les différentes étapes de la journée de labeur furent décortiquées, chronométrées. Cela permit de préciser les vrais besoins de chacun. Dans un second temps, l’entreprise recensa le potentiel de clients susceptibles d’être intéressés. À l’époque, il n’y avait aucune statistique. L’équipe de Georges Toublan se lança dans l’analyse du Bottin de chaque département pour déterminer le nombre de bouchers, de boulangers et d’épiciers officiant dans son ressort géographique. Cela donna un chiffre qui ressemblait au potentiel de vente du véhicule. La direction de Citroën ne laissait rien au hasard. Enfin, en 1937, le feu vert fut donné de construire un prototype. Le moteur choisi fut celui de la « 7 ». La carrosserie possédait trois ouvertures de forme rectangulaire et surtout une porte latérale coulissante, très pratique.
Fin 1937, le véhicule est prêt : il ne ressemble à rien de connu. La direction est prudente. Elle garde en mémoire le souvenir du lancement hâtif de la traction et ses répercussions malheureuses sur l’image de la marque. Dans l’embarras, la direction donne l’ordre de faire circuler le véhicule et de recueillir les avis des clients potentiels. Ceci va bien à l’encontre des habitudes de la maison du Quai de Javel, qui aimait préserver le secret de ses prototypes. Le véhicule va ainsi sillonner la campagne française pour avoir l’avis de la clientèle visée. C’est Monsieur Toublan qui en prendra lui-même le volant. L’avis des gens interrogés est toujours le même. Au départ, il y a une certaine consternation devant les formes du véhicule. Il dérange les habitudes. Une fois démontrées les qualités d’utilisation, l’impression s’inverse. La présence d’un tiroir-caisse à l’intérieur du véhicule fait grosse impression. …c’est l’accessoire essentiel de tout commerçant qui se respecte !
Chargé de recueillir les avis avec méthode, Monsieur Toublan soumet les acheteurs éventuels à un questionnaire et établit une grille permettant de les classer en cinq catégories. A la fin du mois de mars 1939, il est convoqué par Monsieur Boulanger qui lui avoue qu’une petite fabrication (un par jour !) a commencé chez Chausson. Mais il ajoute que le service commercial juge le produit invendable, il demande à Monsieur Toublan de lui démontrer le contraire. A ce stade, son équipe et lui-même connaissent parfaitement le produit. Il retourne sur le terrain visiter les commerçants qu’il avait rencontrés. Petit à petit, il réussit à vendre son drôle de véhicule auprès d’une clientèle assez diversifiée. C’est ainsi qu’il réussit à placer une commande auprès de la préfecture des Bouches-du-Rhône, pour une utilisation en fourgon de police. Ce succès n’eut pas les faveurs du service commercial, piqué au vif par les commandes rapportées et le petit succès du véhicule, malgré une conjoncture défavorable (été 1939). La guerre arrive.
En 1947, Citroën présentera le 1200 kg, digne successeur du T-U-B. Le succès sera au rendez vous, mais sans Monsieur Toublan, parti chez Renault, où il refera un travail similaire, à l’origine de…l’Estafette !
(la suite , la semaine prochaine)