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Mon père

Mon père

Le soleil vient de se lever. Il brille déjà. C’est la promesse d’une belle journée de fin d’été. Nous sommes le dimanche 1er septembre 2019. Il est 7h30 et c’est l’heure de mettre en ligne le 541ème blog.

J’ai cependant une émotion particulière en le publiant. Un pincement au coeur. Il marque une étape dans ma vie. Désormais pour moi le blog ne sera plus jamais plus comme avant. Vous pouvez relire ce 541 ème blog consacré aux Fiat 1400, regarder les photos, vous ne trouverez rien de bien différent par rapport aux précédents.  (voir le blog 541).

Ce matin cependant je sais qu’il manquera un lecteur. « Mon » premier lecteur, mon père. Il nous a quitté ce jeudi 29 août 2019.

C’était sa première activité du dimanche : lire le blog.

Ce blog a été créé dans des circonstances bien particulières (voir le blog consacré à ce sujet). J’ai compris assez vite que  je l’avais fait pour lui. C’est pour lui témoigner ma reconnaissance que chaque semaine je publiais ces textes et ces photos toutes issues de notre collection.

Le blog me permettait de lui présenter notre collection sous un autre angle, comme une invitation à la redécouvrir. A 80 ans, il avait gardé un regard d’enfant pour ses vitrines. Jusqu’au bout, il a su admirer ses modèles comme il les admirait au premier jour de leur acquisition. Il nous a transmis, à mon frère et moi, la qualité rare de toujours s’émerveiller et de ne jamais être blasé.

Cette collection a une histoire hors du commun. Mon père est né le 2 septembre 1939, la veille de la déclaration de guerre. Il a eu très peu de jouets : un camion de pompiers Vébé et des soldats Quiralu.

Il n’avait aucun ressentiment par rapport à cette situation. A cette époque, elle était commune à beaucoup de familles.

Le début de cette aventure tient à presque rien, une petite étincelle, un dimanche au marché aux puces de Saint-Ouen. Nous étions en 1974 et j’avais 11 ans. Il nous avait acheté chez un brocanteur du marché Serpette à mon frère et à moi une miniature chacun.

Je ne me rappelle plus celle que mon frère avait choisi mais je me rappelle très bien de la mienne. Il s’agissait d’une Panther Bertone de chez Politoys à 19 francs. Peut-être est-ce la manière dont j’en ai pris soin, la manière dont je l’ai conservée qui a éveillé sa curiosité.

Les parents et les grands-parents essaient souvent de développer chez leurs enfants un intérêt pour la collection : timbres, porte-clefs, minéraux, trains…. Par ce biais, c’est quelquefois sa propre satisfaction que l’adulte recherche. Mon père rêvait peut-être aux jouets qu’il n’avait pas eu.

Nous allions très fréquemment au marché aux puces. Quelque temps plus tard, sur le trottoir menant au marché Jules-Valles, il avait été attiré par un stand de jouets anciens et notamment par les modèles situés dans la petite vitrine plate.

Le fait qu’ils soient ainsi protégés et mis en valeur les distinguait sans conteste des autres miniatures présentées en vrac. C’était le signe évident de leur supériorité. Mon père avait attrapé le virus.

Nous avons choisi ensemble une Renault Etoile filante de chez CIJ, la même que nous voyions à l’époque au pub Renault. La semaine suivante, nous avons commencé la série des monoplaces Dinky Toys Grande- Bretagne et des bolides de la série 100. Puis vint l’envie des voitures de record, des camions citernes, puis des camions publicitaires.

Ne cherchez pas de logique. La seule constante fut le désir d’acquérir les pièces rares et notre apprentissage se fit à l’écoute des plus anciens, des professionnels, et des autres collectionneurs. Nous avons eu suffisamment d’apétit et d’humilité pour acquérir rapidement les bases.

C’est en rangeant sa bibliothèque, en voyant tous les ouvrages auxquels nous avions participé que jai mesurer l’étendue, la diversité et la qualité de cette collection.

Le premier a nous avoir sollicité pour illustrer un ouvrage fut Bertrand Azéma. Il est venu de nombreuses fois à la maison pour ses deux premiers ouvrages. En 1980, nous étions bien peu à collectionner les variantes de couleurs de la série 100.

La première rencontre avec Jean-Michel Roulet date de 1980. Près de 40 ans après notre première rencontre, nous avons eu beaucoup de plaisir à collaborer à son dernier ouvrage. Pouvoir communiquer aux nouveaux collectionneurs des photos, des documents qui les aideront dans leurs recherches a été un réel plaisir.

C’était comme un juste retour des choses : le premier ouvrage de Jean- Michel Roulet paru en 1978 avait guidé nos premiers pas de collectionneurs de Dinky Toys.

Notre collaboration aux ouvrages consacrés aux Tekno et aux productions danoises tient à une anecdote. Une très grande partie des modèles photographiés dans ces livres ont été faites chez mon père.

A chaque voyage à Copenhague, Hans Hedegard, l’auteur de ces livre,  me vendait quelquesTekno de sa collection. J’y allais cinq fois par an. Un jour, en présence de son épouse, il m’a expliqué qu’il était d’accord pour continuer à me vendre des modèles à la condition que j’accepte qu’ils viennent photographier notre collection pour la seconde édition du livre, édition qui se distinguait de la précédente par le passage à la couleur. Ils sont venus faire ces photos deux jours durant. L’opération s’est renouvelée plus tard pour le livre sur les jouets danois.

Quand des collectionneurs toulousains,Thierry Redempt en tête, se sont mis en tête de retracer l’histoire de CIJ et JRD, ils nous ont bien évidement contactés. Ce fut une belle collaboration et un beau succès commercial. Plus tard, ils ont récidivé avec trois ouvrages sur les Dinky Toys, qui offrait aux amateurs de la marque une vision différente de celle qui prévalait. 

A chaque fois, c’est avec plaisir que mon père faisait partager sa collection, avec le le souci louable de donner aux autres ce que nous avions reçu 40 ans auparavant.

Deux semaines avant la disparition de mon père, mon ami Jakob m’a cédé une pièce rare à Houten : un Volvo N88 Titan promotionnel pour le réseau Volvo en Suède, avec sa boîte créée pour l’occasion. Nous en possédions déjà, un, sans la boîte. Il faut dire que cette dernière n’avait jamais été répertoriée.

En le comparant avec l’exemplaire que nous possédions déjà, je me suis apperçu qu’un marquage sur un des cubes différait : « Volvo Viking Diesel  » contre « Volvo Viking ».

Sur le chemin du retour des Pays-Bas, j’avais eu le plaisir de partager cette découverte avec lui au téléphone

C’était un rituel immuable. Sur le chemin du retour de chaque bourse, je lui passais un petit coup de téléphone. J’entends encore résonner sa voix : « Alors, tu as trouvé de belles choses ». Il utilisait la forme affirmative, c’était pour lui une évidence. Je ressentais bien la fierté qu’il avait pour moi.

Le lendemain de sa disparition, un autre Tekno, un Scania 110 semi-remorque citerne « Gulf  » est venu compléter la collection. J’ai ressenti le vide.

J’ai compris que je n’allais plus pouvoir l’appeler  pour lui annoncer ma découverte. Je me suis rendu compte que j’étais seul. Plus personne pour partager le plaisir de la découverte. Je n’avais pas anticipé cette situation.

J’avais 11 ans quand l’aventure a commencé, j’en ai 56 aujourd’hui. Jamais nous n’aurions pu imaginer le destin de cette incroyable collection.

Depuis sa disparition, je me rends compte cependant que sa plus belle réussite est ailleurs, dans le fait d’avoir su souder une famille autour de lui. Désormais c’est à mon frère et à moi de conduire cette famille et de transmettre les belles valeurs qu’il nous a inculquées. C’est pour être digne de lui et de sa mémoire que je m’y attacherai, c’est ce qui me permettra de surmonter ce moment difficile, et de continuer de collectionner