Un costume bien trop grand

Un costume bien trop grand

Les portes se sont ouvertes. En entrant dans la salle des ventes des Chartrons, à Bordeaux, située le long de la Garonne, mon regard a tout de suite été attiré par un homme, ou plus exactement par son costume. C’était un costume clair, bien taillé qui m’a immédiatement fait comprendre que l’homme était responsable du lieu. Comme il manipulait les objets, seul, avec une grande liberté, le doute n’était pas permis. En terrain inconnu pour ma part, je m’adressai à lui, afin de savoir si je pouvais aussi avoir en main certains lots proposés à la vente.

« Oh, mais je ne fais pas partie de l’équipe de vente » me répondit-il très gentiment. « C’est le costume qui vous a trompé. Dans mon métier, le costume est imposé. Je travaille à deux pas d’ici ».

Le commissaire-priseur est alors arrivé, qu’il avait l’air de bien connaître. Celui-ci lui demanda conseil à propos de plusieurs modèles. J’ouvrais grand mes oreilles, car on parlait de l’objet qui avait motivé mon déplacement.

« Quel dommage que le collectionneur ait repeint ou amélioré tant de modèles », se lamentait le commissaire-priseur. Il indiqua qu’il allait devoir lors de la présentation affiner et modifier la description des lots. Il avait l’air surpris de cette situation compte tenu de la provenance des lots. Je sentais une certaine déception de sa part,  il avait sans doute imaginé cette collection plus intéressante. Je supposais donc que le vendeur était connu de la salle des ventes.

Un autre collectionneur est alors arrivé qui s’est joint au groupe. Avec l’homme au costume clair, il s’est mis à examiner consciencieusement certains modèles. Les deux hommes mirent alors leur savoir en commun devant le commissaire-priseur et un parterre de collectionneurs tout à l’écoute.

Avides d’apprendre, atteints par la certitude communicative des protagonistes, tous venaient chercher un cours d’authenticité sur les Dinky Toys. C’est ainsi qu’une banale Citroën 2cv pompiers neuve en boîte fut d’abord suspectée puis définitivement écartée au motif que le vernis du décalcomanie était jauni.

Certes, il y avait quelques modèles restaurés. Mais ils étaient facilement identifiables. C’est leur présence au milieu d’une très grande majorité d’objets d’origine qui a jeté le trouble chez les amateurs bordelais. Une belle Citroën traction 11BL de couleur argent fut aussi condamnée sans appel. Je ne parle même pas du véhicule pour lequel je m’étais déplacé. En fait, la grande faute du collectionneur avait été d’ajouter pour les modèles anciens une petite touche de peinture blanche, à la gouache sur les phares. Il suffisait d’un peu de patience pour nettoyer ce petit ajout. J’avoue m’être amusé de la situation.

Il y a eu une surenchère d’avis entre connaisseurs, au point qu’à un moment  j’ai cru qu’ils allaient déclarer que tout était repeint !

Quand vint le moment des enchères, la surprise dans la salle fut grande. Par le biais d’internet, des amateurs enchérissaient, assurément connaisseurs, ayant bien vu que les modèles étaient d’origine. Une personne finit par m’aborder, un peu naïvement « Alors, elles étaient bonnes ???! »

Le commissaire-priseur lui-même sembla accuser le coup quand fut adjugé le modèle pour lequel je m’étais déplacé. Peut-être avait-il compris son erreur, regrettait-il d’avoir fait confiance à des gens peu compétents. Il s’agissait d’un rarissime Ford camion ridelles bâché aux couleurs « Esso ». Robert Goirand possède un exemplaire de couleur rouge en version type 1 avec des roues à pneus. Deux personnes m’avaient averti de la présence de cet objet rare, M. Prudent et M. Vignoles. Ce dernier a retrouvé sur un forum la trace d’un autre exemplaire, gris également.

La décalcomanie provient tout simplement du camion citerne 25 D de dernière génération.

Nous pouvons formuler deux hypothèses. La première serait que Dinky Toys ait trouvé là un moyen d’épuiser le stock de  décalcomanies quand le 25 D a été retiré de la production.

La seconde serait que le 25 J classique se vendant moins bien que les versions SNCF ou Calberson, Bobigny ait vu là un moyen de donner un coup de pouce à ce produit, qui, dépourvu de publicité n’attirait pas les jeunes acheteurs. C’est désormais l’inverse, les versions 25 J sont  bien moins fréquentes que les Calberson et autres SNCF. En attendant, c’était une pièce à ne pas laisser passer.

Je profite de l’occasion pour vous présenter une autre récente acquisition des plus intéressantes. Elle figure dans le livre de Jean-Michel Roulet accompagnée d’un texte savoureux. Je vous invite à aller le lire. Il s’agit d’une présérie du Ford camion ridelles bâché « Grands Moulins de Paris ». Il est en type 1 à pneus. Il semble qu’il ne soit jamais sorti ainsi en série.

Mais le plus intéressant est sa couleur vert métallisé qui sera remplacée par le gris sur la version définitive. Comme l’explique Jean-Michel Roulet, Dinky Toys a conservé le suffixe « V » précédé de la référence 25J pour le cataloguer. Chez Dinky Toys le suffixe accolé à la référence de base sert à identifier la couleur. « V » comme vert ! En toute logique Dinky Toys aurait dû modifier son suffixe par la lettre « G » comme gris, couleur conservée en production. Il est probable que la programmation dans les brochures était déjà lancée lors du changement de couleur du véhicule sur la chaîne.(voir l’autre article consacré au Ford 25 J)

Les deux modèles sont des pièces maîtresses dans une série de camions 25.

Nos deux amateurs ont peut-être été un peu blessés dans leur amour-propre au vu des résultats des enchères. L’habit ne fait pas le moine et le costume l’expert. C’est bien là le problème. 

La multiplicité des ventes grâce à internet ne doit pas masquer le vrai problème d’expertise. Les exemples se multiplient. Ainsi lorsque je vois la publicité à la une du journal « Le Figaro » pour interenchères avec le slogan « Profitez de notre expertise pour acheter aux enchères »  je me pose des questions. Peu de salles de ventes en France, deux pas plus, possèdent des experts pour les jouets automobiles sur lesquels on peut se reposer.  La crédibilité des salles des ventes nécessite d’améliorer au plus vite cette situation, s’il  n’est pas déjà trop tard.

N’oublions pas que les frais payés par les acheteurs, en sus de l’enchère sont très importants. Le minimum est désormais  20%, mais nous sommes  très souvent à 23%, voire 28%. Ce devrait être le prix d’une expertise sérieuse.