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Le taulier

Le taulier.

« Avec les cocos qui arrivent, moi je pars en Suisse ».

« Juge,  je vous donne les clefs et vous allez gérer la taule. J’ai laissé un petit matelas à la banque. Vous avez toute ma confiance. »

C’est en ces termes qu’en 1981 Jacques Greilsamer laissa à Jean-Paul Juge la gérance de Modélisme.

N’allons pas trop vite. Lors de l’épisode précédent (voir le blog « l’excellence française »), nous sommes en 1978 et Safir Champion doit fermer ses portes. C’est la fin des « miniatures jouets ». Jean- Paul Juge ne va pas  rester longtemps inactif.

Un tel personnage doit retrouver une fonction à la hauteur de son talent. Il a été repéré par M. Greilsamer qui vient juste d’abandonner le commerce de détail boulevard Sébastopol pour se lancer dans la fabrication (Eligor) et la distribution (importation des Brumm, Tekno NL… ).

En professionnel compétent, ce dernier a compris que le marché de la « miniature de collection » était non seulement viable mais, mieux, qu’il allait supplanter celui de la « miniature jouet ».

Peu d’industriels ont compris ce changement et je me souviens par exemple de M. De Vazeilles de chez Solido qui n’y croyait pas et jugeait ce marché marginal.

M. Juge va être recruté pour refaire avec Eligor ce qu’il avait fait pour Champion. Ce sera un succès. Mais quand la gauche arrive au pouvoir en 1981, M. Greilsamer prend peur et part en Suisse.

Pour gérer « la taule », qui d’autre pouvait -il choisir que M. Juge ?  Ce dernier sans trembler, et avec une poigne de fer gérera les affaires de la Segem, nouveau nom de la société.

L’importation

Comme aime à le raconter M. Juge, avec la marque Brumm, pas de contrat. Tout se passe par accord verbal et poignée de main. M. Tartaletti, patron de chez Brumm savait à qui il avait affaire avec M. Juge.

Les deux hommes étaient moulistes de formation, ils étaient du même sérail. Quand ils parlaient de miniatures, ils savaient de quoi ils parlaient. Il en était de même avec les Allemands Conrad et NZG. Un profond respect reliait tous ces hommes.

Ce que l’on sait moins est que Modelisme importa massivement les premiers kits en white metal de Grande- Bretagne. En bon commerçant, Modèlisme distribua aussi la colle, Cyanolit, pour les assembler.

 

Fabrication

Quand M. Greilsamer a récupéré l’outillage de chez Norev, c’est M. Juge qui a supervisé le volet technique. Il a fallu modifier l’emplacement des injecteurs car Norev et Surber n’utilisaient pas le même type de machine. L’opération sera longue et couteuse mais sera une grande réussite.

Eligor quelques modèles dont une peu fréquente Citroën 5cv "L'Automobiliste"
Eligor quelques modèles dont une peu fréquente Citroën 5cv « L’Automobiliste »

Comme Champion, Eligor choisira de multiplier les décorations. La demande était là, alors pourquoi se priver d’utiliser la « planche à décalcomanies » et les variantes de couleur ?

Ma première visite boulevard Sebastopol.

C’est à ce moment que j’ai rencontré M. Juge, en tant que jeune commerçant. Je venais d’ouvrir ma boutique en septembre 1984. J’avais été introduit par Jean-Marc Teissedre qui, lui, gérait la Boutique Auto Moto, et qui était un gros client de la Segem.

Malgré ce sésame, on n’en menait pas large quand on entrait dans cette institution. J’avoue avoir été dans mes petits souliers la première fois.

Il fallait montrer patte blanche, et le franc-parler de M. Juge en avait remis plus d’un en place. Il était respecté par toute la profession et tout filait droit dans cette boîte.

C’est là que j’avais aperçu sur son bureau la Porsche 935 au 1/43 et quelques autres prototypes de chez Champion jamais réalisés.

Quand 30 ans plus tard ce dernier me les a cédés, je sais qu’il n’a pas mesuré la fierté que j’avais eue à les récupérer. Ces pièces que je voyais sur son bureau sans oser en demander plus, je ne les ai pas mises en vitrine, mais sur mon bureau. Tous les jours, j’ai ainsi un petit souvenir de ces moments qui ont été si importants pour moi.

Lors de sa première année de compétition en 1976, cette Porsche 935 a connu de nombreuses modifications, capot avant et ailes arrières. Au milieu de la saison Porsche a en effet été obligé de revoir sa copie et de modifier son système de refroidissement moteur pour être conforme au règlement. Il en est résulté de profondes modifications de carrosserie. Encore une fois, c’est la « bonne version » que choisira Jean-Paul Juge. Elle ne verra malheureusement pas le jour pour les raisons évoquées dans le premier blog.(voir le blog « l’excellence française »)

Il m’a également cédé cette Lancia Stratos qui aurait sans doute été un gros succès tant il aurait pu multiplier les variantes.

Mais comme pour l’Alpine Renault A441 que je vous présente, Solido fut plus rapide et ces projets restèrent inachevés.

Il reste ces prototypes, magnifiques objets que je suis fier de posséder. Certain ont été conçus au 43 de la rue Cavendish !  (voir le blog le voisin du 43)

Ils marquent une époque extraordinaire.

Finalement, M. Greilsamer a vendu l’affaire. M. Juge avait fait son temps. Arrivistes argentés, les repreneurs ont réussi à couler la boîte en très peu de temps, n’accordant aucun crédit aux conseils d’un homme qui avait consacré sa vie aux miniatures automobiles.

Lorsqu’ il vient me rendre visite, c’est toute une partie de l’histoire du modèle réduit français qui débarque. Fabricant, importateur il aura tout connu de la grande époque. Longue vie à vous M. Juge et un très grand merci pour tout ce que vous nous avez offert.

PS: Bon courage monsieur Juge pour votre opération ce mardi 24 Septembre. Je penserai bien à vous. 

Vous pouvez retrouver toutes ces informations, sur l’excellent site www.supersafir.wifeo.com consacré à l’histoire de la marque « Safir Champion ».

Le voisin du 43.

Le voisin du 43.

C’est l’histoire banale d’une rue du 19 ème arrondissement. Une rue sans histoires. Une rue calme, quasiment sans commerces, ce qui est révélateur à Paris du peu d’intérêt de l’endroit. C’est pourtant dans cette rue, qu’il y a trente deux-ans, en 1984, j’ai choisi d’ouvrir mon magasin au 41. 

C’est la modicité du prix de la boutique qui m’a motivé. Il faut dire que le commerce qu’elle abritait était fermé depuis plus de 20 ans. Le plancher était en piteux état, à travers ses découpes on voyait la cave. A cette époque, la seule boutique de la rue se situait tout en amont, à l’angle du parc. Il s’agissait d’une boutique de jouets qui faisait aussi papeterie et librairie.

A la droite de la boutique, on trouvait un plombier qui était le descendant du peintre Mucha.

J’étais à peine ouvert, quand un couple qui habitait la rue est venu me voir pour me confier que la vue des Dinky Toys éveillait en eux des souvenirs car les deux époux avaient travaillé à l’usine de Bobigny au début de leur vie professionnelle. Il faut dire que Bobigny n’est pas très loin de ma boutique.

Un an après, j’ai rencontré l’homme qui allait me fournir plus de quatre-vingt Dauphine Dinky Toys aux couleurs « bleu Bobigny ». Encore une fois c’est bien le quartier où j’avais élu domicile qui fût à l’origine de cette rencontre. Elle eut d’ailleurs des conséquences tardives. Bien après l’acquisition des Dauphine Bobigny j’ai acquis auprès de la même personne des prototypes en bois et des essais de couleur.

C’est elle également  qui m’a appris que la direction de Meccano s’était installée au début des années soixante-dix, après le départ de Bobigny, avenue Jean Jaurès au lieu dit « Le Belvédère », à 400 mètres de ma boutique.

Puis vint la collection de M. Chaudey. Comme le couple qui était venu me voir à l’ouverture de la boutique, il avait habité le quartier à l’époque où avec son épouse il travaillait à Bobigny. Ce fut la plus belle collection de Dinky Toys qu’il m’a été donné d’acquérir. Elle comprenait plus de trente prototypes ! Finalement, ce petit quartier qui semblait de prime abord sans attrait m’avait comblé de surprises toutes plus agréables les unes que les autres. 

Puis un jour, mes voisins du 43 décidèrent de partir. J’avoue que jusqu’à ce qu’un des deux frères pousse la porte de ma boutique j’avais j’ignoré l’activité du 43. Je ne suis pas curieux de nature. Nous n’avions jamais poussé la conversation au-delà des politesses d’usage. Il m’indiqua qu’il partait parce que les locaux étaient devenus trop exigus pour poursuivre leur activité de mouliste.

Il m’apprit que c’était leur officine qui avait notamment réalisé le moule de la DS présidentielle de Dinky Toys. Selon lui, quelques coques brutes, issues des premiers tests d’injection devaient encore traîner quelque part.

On imagine aisément qu’avant d’être livré à son commanditaire, le moule devait être testé. Il ne retrouva jamais ces coques. Mais bien plus tard, au moment de la rédaction du dernier opus du livre de Jean-Michel Roulet, comme je lui racontais cette anecdote, il se souvint qu’il avait acquis au marché aux puces quelques coques brutes dont certaines avaient encore leurs carottes d’injection. Elles n’avaient pas été perdues pour tout le monde. On peut imaginer que le compagnon qui avait trouvé ces carrosseries les avait cédées à un brocanteur de Saint-Ouen.

Quelques années plus tard, j’allais rendre visite à M. Juge. Ce dernier était le responsable technique de la firme Champion. Il me parla longuement du voisin du 43. Il y était venu très souvent et se rappelait très bien du nom du mouliste qui lui avait réalisé quelques miniatures : André Fétu.

J’appris à cette occasion que ce mouliste réalisait les moules mais également le modèle en amont, c’est à dire le prototype en bois, à une échelle trois fois plus importante que celle du modèle envisagé. Les défauts, les déformations, les asymétries sont bien plus visibles sur un modèle trois fois plus grand.

Je me souviens lui avoir montré les prototypes et les empreintes servant à l’enfonçage chez Tekno. M. Juge admira la finesse et la grande dextérité des Danois, au niveau des micros soudures, technique qu’il n’utilisait visiblement pas. C’est à cette occasion qu’il me céda un ensemble de maquettes en bois ayant été réalisées au 43 rue Cavendish.

Certaines ont connu la série en série, comme la Lola T70, la Ligier JS5 ou la Ferrari 312T. Par contre, la Lancia Stratos, la Mirage Ford de 1967 ou l’Alpine Renault A442 de 1977 n’ont jamais vu le jour. J’avais aussi vu dans son bureau du boulevard Sébastopol, dans les années 90, une Porsche 935 Mugello 1976 qui a disparu. La mise en route d’un modèle nécessite de lourds investissements. Parfois la raison l’a emporté. Par exemple, la Mirage n’a connu qu’une saison et elle a toujours été aux couleurs Gulf. Dans ces conditions, il n’était pas facile de créer des versions différentes. Il en est de même pour la Porsche 935 qui dans sa carrosserie Mugello, phares dans le spoiler et ailes arrières rondes, n’a couru qu’une fois.

A l’opposé, la Lancia Stratos aurait pu être un vrai filon pour les amateurs de variantes. Mais la sortie du modèle Solido a dû tempérer les ardeurs des décideurs chez Champion.

la carte postale appartenant à Mr Raymond
la carte postale appartenant à Mr Raymond

M. Raymond, connu pour sa collection unique au monde de Peugeot 404 habite le quartier, comme son papa, qui lui habite la rue Cavendish. Intéressé par l’histoire du quartier, ce dernier m’a confié une carte postale des plus intéressantes. La vue est prise en bas de la rue Cavendish. En fait c’est l’immeuble du 43 qui est le sujet de la photo et plus précisément, le fameux local décrit ci dessus. Le fronton de l’entrée porte l’inscription « Monnier Modeleur ». Une quinzaine d’ouvriers et d’apprentis posent devant l’entrée. Notre modeleur des années 80 était donc le descendant d’une lignée établie au moins depuis le début du siècle dernier.