20 ans d’absence

L’histoire commence en 1979. Nous avions déjà bien entamé notre collection. Au départ, notre intérêt s’était porté sur les autos de course, puis sur les poids lourds et les véhicules publicitaires. Une fois bien entamés ces domaines, c’est tout naturellement que mon père a décidé de commencer à rassembler les autos de chez Dinky Toys. Client chez M. Scherpereel, mon père lui a donc annoncé son souhait d’élargir le périmètre de sa collection et je suppose que devant l’enthousiasme de mon père, M Scherperrel s’est frotté les mains. Il nous conseilla de venir un lundi, journée plus tranquille. A l’époque, il y avait au milieu de son échoppe une petite vitrine dont la vitre se soulevait. Elle reposait sur un socle en bois.

Dinky Toys Opel
Dinky Toys Opel

Ce que peu de clients savaient c’est que ce socle contenait une partie du stock de ce grand marchand parisien. Nous avons sélectionné un certain nombre de modèles dont une curieuse Opel. Nous étions néophytes et avides d’apprendre. Mais nous eûmes beau chercher cette teinte dans le livre de Jean-Michel Roulet qui venait de sortir, nous ne trouvâmes rien. L’Opel était bleue, avec un pavillon gris clair. Le bleu était foncé et n’avait rien à voir avec celui de l’Opel turquoise. Quant au modèle Afrique du Sud, il était unicolore. Cela resta un mystère pendant quelques années.

Les choses évoluèrent lorsque Jean Vital-Remy, que mon père avait invité à voir la collection, fit comprendre qu’il était intéressé par cette auto. L’affaire en resta là, puis Jean Vital-Rémy comprit que sa seule chance de récupérer le modèle était de faire intervenir Jean-Bernard Sarthe. Ce dernier inscrivit ce challenge dans ses priorités absolues. Il proposa alors à mon père les termes d’un échange : 4 Dinky Toys France qui avaient comme point commun d’être des modèles hors commerce, contre 4 modèles également hors du commun qu’il possédait. Je me souviens qu’il y avait dans la balance une Renault 4cv Cinzano neuve, et un Berliet GBO fardier en état neuf en boîte. Ce fut un échange constructif car les deux parties étaient ravies. Et puis cela donna l’occasion à Jean- Bernard de parader devant Jean Vital-Remy qui ne récupéra jamais l’Opel.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Nous avions fait un choix et nous l’assumions sans aucun regret.

Puis survint un événement. J’eus l’occasion d’acheter un lot qui restera à n’en point douter le plus beau qu’il m’ait été donné d’acquérir : plus de 300 Dinky Toys dont 34 essais de couleur ou prototypes. Jean-Bernard et Jean Vital-Rémy firent notre siège et nous ne fermâmes pas la porte aux négociations. Mais ils eurent la maladresse d’entamer les pourparlers par une proposition que mon père qualifia de « ridicule » dans une lettre qu’il leur adressa conjointement. Cette petite provocation nous convainquit de la nécessité de récupérer les 4 modèles que nous avions précédemment échangés. Ce fut chose faite, en dix ans pour 3 d’entre eux. Restait l’Opel que Jean-Bernard avait conservée. Nos bonnes relations l’avaient conduit à promettre de me céder en priorité cette auto le jour où il déciderait de s’en séparer. Je n’hésitais pas à lui rappeler régulièrement son engagement. Mais Jean-Bernard était imprévisible et le jour où je vis que l’auto était programmée en salle des ventes, mon sang ne fit qu’un tour. Il avait besoin de moi, et je lui fis remarquer combien son opération était maladroite. Il dut intervenir au grand dam du propriétaire de la salle pour retirer l’auto. Elle passa quand même, mais ce fut la seule fois de ma vie où assistant à une vente je savais à l’avance que l’auto serait adjugée à son vendeur, en accord avec le propriétaire de la salle des ventes. Nous avions convenu préalablement du prix et je ne sais quelles pénalités il encourut. Mais la chose la plus importante est qu’après 20 ans d’absence, l’Opel réintégrait nos vitrines. Le modèle est vraisemblablement unique. En fait, il s’agit d’une erreur de gravure du moule : la personne qui travaillait à l’élaboration de ce moule s’est trompée dans l’échelle de reproduction du logo de capot, les lettres d’Opel sont disproportionnées. Il y a une quinzaine d’années, un autre exemplaire de couleur bordeaux a fait surface, mais il était en état d’usage. Les deux modèles avaient une finition au pinceau mais étaient dûment rivetés. Je suis persuadé que les premières injections ont été conservées afin de faire des essais de couleurs. Il est donc probable qu’un jour d’autres couleurs réapparaissent.
Je tiens beaucoup à ce modèle qui me lie à Jean-Bernard.
Drôle de personnage tout de même !

La folie des grandeurs

Jean-Bernard Sarthe nous a quittés le 18 Janvier 2012. Il m’a fallu laisser un peu le temps passer avant de parler de lui. Jean-Bernard était un collectionneur de miniatures hors norme. Le qualificatif qui lui convient le mieux est celui d’excessif. Jalousé, craint, admiré, détesté, aucun collectionneur ne pouvait rester insensible devant le personnage. Les avis étaient tranchés. Il faisait ce qu’il fallait pour entretenir la légende. Un brin mégalomane, il cherchait avant tout à mettre en avant sa collection.

Dinky Toys Cibié
Dinky Toys Cibié

Nous avons fait sa connaissance en 1978, je n’avais que quinze ans. Bien entendu nous avions déjà entendu parler du docteur Sarthe : à l’évocation de son nom résonnaient déjà tous les superlatifs. Je peux dire que j’ai eu avec lui une relation particulière. Ce ne fut jamais une relation complètement apaisée mais au fil des ans une certaine complicité s’installa entre nous.
Jean-Bernard fonctionnait par mimétisme. Il eut plusieurs modèles, au titre desquels on peut citer Jean-Michel Roulet, Jean Vital-Rémy et mon père. Il faut dire qu’ils étaient tous quatre de la même génération. Ils avaient en commun une vision « volontaire » de la collection. Ils étaient passionnés et n’hésitaient pas à consacrer une grande partie de leur temps, de leur énergie et de leurs moyens à rassembler des miniatures. Il y avait une forme d’émulation entre eux : ils avaient le goût du beau et du rare. Mais chacun avait sa personnalité et sa façon d’arriver à ses fins.

Ce qui plaisait surtout à Jean-Bernard, c’est que les autres admirent ses trouvailles. Pour satisfaire ce petit plaisir, il était prêt à tout. Combien de fois a-t-il surpayé un objet ou offert en échange un nombre impressionnant de modèles pour acquérir une pièce convoitée ? Cependant, une fois la pièce acquise et présentée à ses compères, l’intérêt qu’elle avait suscité s’éteignait rapidement. Quelque temps après, cela ne le gênait pas de la céder à ces derniers afin de leur faire plaisir.
Plus tard il trouvera une jubilation dans le négoce de ses modèles en bourse d’échange, auprès de collectionneurs aisés, ou en salle des ventes. Les plus anciens se souviennent de la pleine page de publicité dans un magazine spécialisé qui mettait en scène des dizaines de Dinky Toys, parfois en plusieurs exemplaires ou de la couverture d’un catalogue de salle des ventes. Personnage complexe, il pouvait lors d’une vente aux enchères racheter un modèle qui lui appartenait. Ceci est arrivé de nombreuses fois !

Posséder à long terme n’était pas son but, contrairement à Jean Vital-Rémy ou à mon père. Sa collection, il l’a vendue, reconstituée, revendue. Bien évidemment, au fil des années, certaines pièces sont devenues impossibles à trouver. Adolescent j’ai été fasciné par la collection des frères Schlumf à Mulhouse. J’ai visité cet endroit lors de l’ouverture au public. Plus encore que le spectacle les autos réunies, c’est la volonté incroyable de ces deux frères qui m’a fasciné. Ils sont pour moi des personnages hors norme, capables de se surpasser pour atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés. Je n’hésiterai pas à comparer Jean-Bernard aux deux Alsaciens. Il avait ses domaines de prédilection. Il aimait les Mercury, les Spot-On, les Solido les Dinky Toys. Il a également cherché à avoir toutes les déclinaisons de couleurs des Solido ou des Spot-On. Je le revois comparant des nuances infimes de couleur, orientant les modèles à la lumière de telle sorte qu’il finissait toujours par trouver une petite variante de teinte. Mais il lui fallait toutes les variantes et je pense qu’il fut le premier à collectionner les variantes de moules. Cela lui faisait plaisir d’acquérir un nouveau modèle : il lui fallait de la quantité. Le docteur Sarthe aimait aussi entretenir sa légende.
Pour lui rendre hommage, j’ai réuni un florilège de pièces qui proviennent de sa collection : essais de couleurs, prototypes, variantes rares.